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TOUT COMPRENDRE. Président séquestré, institutions suspendues... Que se passe-t-il au Niger?

Le colonel-major Amadou Abdramane, au centre, porte-parole du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) lors d’une intervention télévisée annonçant le Coup d'État mené par la garde présidentielle.

Le colonel-major Amadou Abdramane, au centre, porte-parole du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) lors d’une intervention télévisée annonçant le Coup d'État mené par la garde présidentielle. - ORTN - TÉLÉ SAHEL / AFP

Le président nigérien Mohamed Bazoum est séquestré dans sa résidence par des membres de la garde présidentielle, qui ont annoncé prendre le pouvoir. Une déstabilisation scrutée par les Occidentaux.

Au Niger, des membres de la garde présidentielle ont annoncé mercredi soir avoir pris le pouvoir et destitué le président Mohamed Bazoum, élu démocratiquement en avril 2021. Ils disent avoir fomenté ce coup d'État "suite à la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale".

Les journalistes présents dans la capitale Niamey, dont ceux de l'AFP et du Figaro, décrivent une situation chaotique mais où la violence reste limitée, alors qu'un couvre-feu a été instauré et que les frontières du pays ont été fermées.

Après le Mali et le Burkina Faso, le Niger devient le troisième pays du Sahel miné par les attaques de groupes liés à l'Etat islamique et à Al-Qaïda, à connaître un coup d'Etat depuis 2020. Il était jusqu'ici l'un des derniers pays alliés des pays occidentaux dans une région où les rapprochements avec la Russie se sont multipliés au cours des dernières années, au Mali et au Burkina Faso notamment, sur fond de rejet de la présence militaire française.

· Que s'est-il passé mercredi à Niamey?

Le coup d'État a été mené en l'espace de quelques heures. L'accès à la présidence à Niamey a été bloqué mercredi matin par des membres de la garde présidentielle pour une raison qui n'a pas été précisée. Les accès à la résidence du président Mohamed Bazoum ainsi qu'aux bureaux du complexe présidentiel étaient interdits.

L'ambiance autour du palais était calme et aucun coup de feu n'a été entendu, selon un journaliste de l'AFP présent sur place.

"Au terme des pourparlers, la garde présidentielle a refusé de libérer le président, l'armée lui a lancé un ultimatum", a ensuite indiqué à la mi-journée une source proche de la présidence, sans donner de détails sur le sujet de ces négociations.

Dans un message publié (et supprimé depuis) sur Twitter, la présidence a de son côté indiqué que, "des éléments de la garde présidentielle (GP) ont engagé un mouvement d'humeur anti-républicain". Un message toujours présent sur ce compte Twitter indique que "l'Armée et la Garde Nationale sont prêtes à attaquer les éléments de la GP".

Dans l'après-midi, des manifestants se sont rassemblés devant la résidence officielle du président pour demander sa libération. Ils ont été dispersés par des tirs de sommation. Une personne a été blessée, sans que l'on sache si cela est dû à l'un des tirs ou à la bousculade qui les a suivie.

Des partisans du président nigérien Mohamed Bazoum, portant un portrait du président, se rassemblent pour lui manifester leur soutien, à Niamey le 26 juillet 2023.
Des partisans du président nigérien Mohamed Bazoum, portant un portrait du président, se rassemblent pour lui manifester leur soutien, à Niamey le 26 juillet 2023. © AFP

En fin de journée, un gradé putschiste vêtu de bleu, le colonel-major Amadou Abdramane, a pris la parole, entouré de neuf autres militaires en tenues kaki.

"Nous, Forces de défense et de sécurité (FDS), réunis au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), avons décidé de mettre fin au régime que vous connaissez", a expliqué Amadou Abdramane.

"Toutes les institutions issues de la 7e République sont suspendues, les secrétaires généraux des ministères se chargeront de l'expédition des affaires courantes, les Forces de défense et de sécurité gèrent la situation", indique en outre la déclaration.

Le colonel-major a affirmé vouloir respecter "l'intégrité physique et morale des autorités déchues". Le président Bazoum et sa famille "se portent bien", selon une source proche de la présidence nigérienne.

· Quelle est la réaction du pouvoir?

Ce jeudi, Mohamed Bazoum, toujours séquestré au palais présidentiel, a assuré dans son premier message publié sur Twitter depuis le coup d'État que les acquis démocratiques seraient "sauvegardés". Le Niger a connu une tentative de putsch ratée en 2021 et quatre coups d'État réussis depuis son indépendance de la France en 1958.

"Les acquis obtenus de haute lutte seront sauvegardés. Tous les Nigériens épris de démocratie et de liberté y veilleront", a déclaré le président dans son message publié ce jeudi vers 7h, heure de Paris.

Deux heures auparavant, Hassoumi Massoudou, ministre des Affaires étrangères de Mohamed Bazoum et vraisemblalement resté fidèle au président, a indiqué sur Twitter qu'il était désormais "chef du gouvernement par intérim", en remplacement du Premier ministre qui n'a pas pris la parole depuis le coup d'État. Il promet que le coup d'État "échouera", qualifiant les actes des militaires d'"aventure aux objectifs funestes".

"Nous sommes les autorités légitimes", a-t-il assuré lors d'une interview sur France 24.

L'Union africaine (UA) a a de son côté condamné la "tentative de coup d’Etat" au Niger et appelé au "retour immédiat et sans conditions des militaires félons à leurs casernes".

· Quelle est la situation sécuritaire au Niger?

Cette prise de pouvoir intervient alors que le Niger est miné par l'insécurité en lien avec les exactions de groupes jihadistes opérant dans le sud-est du pays, notamment dans la région de Tillaberi, qui comprend la "Communauté urbaien de Niamey", une entité autonome, et où 300 habitants ont été tués au cours d'un flambée de violences qui a couru de 2019 à 2021.

Cette région fait partie de la "zone des Trois frontières", où les limites du Niger rencontre celles du Burkina Faso et du Mali, sans délimitations physiques. L'État islamique dans le Grand Sahara et Al-Qaïda au Maghreb islamique contrôlent cette zone depuis le début des années 2010 et les États n'arrivent pas à en reprendre le contrôle.

Début juillet, plus de 10.800 personnes issues d'une dizaine de villages de la région de Tillabéri, dans la partie frontalière du Burkina Faso, ont fui leurs domiciles après des "violences" d'hommes armés, selon des informations partagées par les sources humanitaires et les autorités locales.

En parallèle, le désert progresse chaque année vers le sud du pays et les zones déjà désertiques sont marquées par des sécheresses récurrentes, ce qui menace de plus en plus les cultures et les élevages. Le 6 juillet, le gouvernement a annoncé avoir lancé la distribution gratuite de 42.900 tonnes de céréales à 1,5 million de personnes dans les huit régions du pays, en particulier les communautés paysannes frappées par les mauvaises récoltes.

L'ONU estime que 17% de la population du Niger aura besoin d’une assistance humanitaire cette année et le pays est classé 189 sur 191 sur le classement de l'Indice de développement humain (IDH) 2021 réalisé par les Nations Unies.

· Quelle est la réaction des Occidentaux?

Le Niger est l'un des derniers pays alliés des Occidentaux dans cette région en proie au jihadisme, après le changement de diplomatie au Mali et au Burkina Faso, qui ont préféré se rapprocher de la Russie après des coups d'État militaires, respectivement en 2020 et 2021 pour Bamako et 2022 pour Ouagadougou.

Le Niger n'est pas imperméable à l'influence russe. En septembre 2022, plusieurs centaines de manifestants avaient réclamé le départ des militaires français du pays, aux cris de "Barkhane dehors", "A bas la (France)" ou encore "Vive Poutine et la Russie".

Dans sa lutte contre les jihadistes, Niamey bénéficiait du soutien de plusieurs pays occidentaux, dont France qui continue d'y déployer 1500 soldats, alors que l'opération Barkhane a pris fin en novembre 2022. Selon le New York Times, 1100 soldats américains sont également stationnés dans le pays. Le 6 juillet, l'Union européenne avait annoncé l'attribution d'une "centaine de millions d'euros" au Niger pour l'aider à renforcer son dispositif sécuritaire.

La stabilité du Niger est également une priorité pour Paris: 10 à 15% des besoins français en uranium sont satisfaits par un complexe minier nigérien, affirmait Orano (ex-Areva) au quotidien Le Monde dans un article publié en avril dernier.

"La France est préoccupée par les événements en cours au Niger (...). Elle condamne fermement toute prise de pouvoir par la force", a indiqué la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans un court communiqué publié sur Twitter dans la nuit de mercredi à jeudi.

Ce jeudi le ministère des Affaires étrangères français a fait savoir qu'il "condamne fermement le coup de force contre les autorités civiles et démocratiques" du Niger, et appelle à la "libération du président Mohamed Bazoum et de sa famille" séquestrés par les putschistes.

"Nous appelons au respect et à la restauration immédiate de l'intégrité des institutions démocratiques du Niger", ajoute le Quai d'Orsay.

De son côté, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres "condamne fermement le changement anticonstitutionnel de gouvernement" au Niger et se dit "profondément troublé" par la détention du président Mohamed Bazoum par des membres de la Garde présidentielle, a déclaré son porte-parole Stéphane Dujarric dans un communiqué ce mercredi.

"Le Secrétaire général appelle à la cessation immédiate de toutes les actions qui sapent les principes démocratiques au Niger", a ajouté le porte-parole.

La Maison Blanche a enfin exigé "spécifiquement que les membres de la garde présidentielle libèrent le président Bazoum et s'abstiennent de toute violence", rappelant que le Niger est "un partenaire crucial" pour les Etats-Unis.

Glenn Gillet avec AFP