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Reportage

Soudan: à Khartoum, les civils pris entre les feux croisés de l'armée et des paramilitaires

Les combats se poursuivent entre les forces armées soudanaises dirigées par Abdel Fattah al-Burhan et les paramilitaires des Forces de soutien rapide. Le face-à-face est toujours incertain alors que les deux armées sont lancées dans une guerre de propagande. À Khartoum, le conflit a tourné à la guérilla urbaine. Malgré les appels à la désescalade qui se multiplient à l’étranger, les deux camps poursuivent leur guerre fratricide qui a fait 97 morts, selon un bilan dressé ce lundi matin par le syndicat des médecins. Sans eau ni électricité dans certains quartiers, les civils vivent sous les feux croisés.

Un homme assis près de magasins fermés à Khartoum, au Soudan, le lundi 16 avril 2023.
Un homme assis près de magasins fermés à Khartoum, au Soudan, le lundi 16 avril 2023. © AP - Marwan Ali
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Avec notre envoyé spécial à Khartoum, Eliott Brachet

Les échanges de tirs sont continus dans la ville malgré l’annonce d’une trêve humanitaire de trois heures censée permettre aux civils d’évacuer les zones de combat. Au milieu du chaos, certains habitants se sont aventurés dans la rue pour aller faire le plein de provisions dans les rares échoppes encore ouvertes.

À l’intérieur, les gens se bousculent. Certains, comme Kamal, n’avaient plus de nourriture depuis deux jours : « C’est au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. Je suis sous le choc. Si les deux parties ne négocient pas, le pays va se fragmenter. Malheureusement, on s’y attendait… »

Ma seule crainte est, qu’après ce bras de fer, l’un d’eux reviennent au pouvoir. C’est une bataille ridicule. Et nous, les civils, sommes coincés entre les deux. Nous n’avons rien à voir avec tout cela. Je ne veux pas prendre position pour l’un ou pour l’autre. Les deux ont versé du sang. Nous sommes juste coincés au milieu.

00:19

Le témoignage d'une Soudanaise, sur le conflit entre les camps d'Abdel Fattah al-Burhan et de Mohamed Hamdan Daglo «Hemedti»

Alexandra Brangeon

Malgré les risques de balles perdues, des hommes ont étendu un tapis à même le sol pour partager l’iftar, la rupture du jeûne en ce mois sacré du ramadan. « C’est une guerre entre deux armées, mais ce sont les citoyens qui versent leur sang. On ne sait pas qui va gagner, les deux forces sont puissantes, mais les civils se retrouvent pris entre deux feux. Ce sont des jours difficiles, on ne sait pas de quoi demain sera fait. »

Dans le centre de la ville, de nombreuses personnes sont encore bloqués dans des bâtiments proches du quartier général de l’armée ou du palais présidentiel. Depuis le premier jour, certains sont bloqués dans des banques, des écoles. «  Les blessés ne peuvent pas atteindre les hôpitaux. Nous sommes des civils coincés au fond d’une tranchée. Partout, les Soudanais traversent des conditions terribles. »

La guérilla urbaine se poursuit. Plusieurs cas de pillages et d’intrusions de miliciens dans les habitations ont été rapportés. Au moins 5 hôpitaux ont été frappés par des obus ou des tirs d’artillerie. « La ville est en état de siège. Assiégée par ses propres forces armées, ses propres généraux qui siégeaient encore, il y a peu, dans les palais en flammes du cœur de la ville », rappelle cet habitant de Khartoum.

 « Le peuple a choisi son camp. Aucun de ces deux généraux ne nous représentera jamais. Ce ne sont pas des chefs d’État, sinon, aucune de ces balles n’aurait été tiré, aucun citoyen n’aurait été blessé, aucune âme ne se serait éteinte, ils nous auraient protégés. Que les armées rentrent dans leurs casernes et que les Forces de soutien rapide soient dissoutes ! Ce pays doit être gouverné par des civils, pas par des militaires. » 

Ces combats, nous les redoutions depuis le coup d’État du 25 octobre. On ne peut pas avoir deux armées dans un seul pays. Même si nous, révolutionnaires, nous avons un problème avec l’armée, ce n'est pas pour autant que les FSR d'Hemedti ont le droit de prendre le contrôle du pays. Et plus tard, quand tout cela sera terminé, on va devoir régler le problème avec l’armée. Mais les FSR doivent partir, ça doit se terminer. Nous ne pouvons pas accepter d’avoir deux armées dans un pays. Les seuls à souffrir de cette situation ce sont les pauvres citoyens. Vous savez, dans notre pays, 50 à 60 % de la population gagne sa vie au jour le jour. Et là, avec les combats... Nous espérons que cela va se terminer. Il va y avoir des victimes, mais nous espérons que ce sera le moins possible.

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Asma al-Amin, responsable d’un comité de résistance à Khartoum, une organisation de la société civile

Paulina Zidi

Situation confuse

Après une relative accalmie cette nuit entre 01h00 et 04h00, les affrontements ont repris avec intensité au lever du jour, ils se concentrent toujours autour du palais républicain et du QG des forces armées. Des combats à l’artillerie ont également lieu dans les quartiers résidentiels, les obus tombant parfois au hasard sur les toits.

Les Forces armées soudanaises (FAS) du général al-Burhan avaient, semble-t-il, repris l’avantage dimanche avec la reprise confirmée de la base aérienne de Méroé, dans le nord du pays.

Le commandement des FAS a assuré pourchasser les paramilitaires dans les rues de Khartoum. Des tanks ont quadrillé plusieurs quartiers hier soir. L’armée conserve encore la supériorité dans les airs et a d’ailleurs mené de nouvelles frappes aériennes à Khartoum ce matin.

Les Forces de soutien rapide (FSR), elles, affirment avoir abattu plusieurs avions et hélicoptères. Les miliciens connaîtraient plus de succès au Darfour où ils auraient pris l’aéroport de Nyala.

Les tirs et les bombardements se sont poursuivis ce dimanche dans les rues de Khartoum. Bien que les deux parties aient accepté d'ouvrir des couloirs humanitaires durant trois heures l'après-midi, les combats n'ont pas ralenti, au grand regret des médecins qui comptabilisaient dimanche déjà plus de 600 blessés.

Nous allons bientôt être à court de matériel médical. Pour le moment ça va, mais le personnel est exténué. Certains sont mobilisés depuis vendredi, non-stop depuis trois jours. C'est dangereux dehors. Toutes les villes sont figées. On entend encore des tirs autour de l’hôpital, on ne peut pas passer d’un quartier à l’autre. Les ambulances ne peuvent pas circuler, elles ne peuvent pas nous ramener des poches de sang ou des fournitures médicales supplémentaires. Certains blessés ne peuvent pas rejoindre l'hôpital. Des médecins voudraient venir aider, mais n’y arrivent pas non plus. Etre dehors est très dangereux. Mais nous devons pouvoir faire venir plus de personnel, nous devons recevoir des fournitures médicales supplémentaires. Il faut trouver une solution dans les prochaines heures. Les deux forces militaires doivent mettre un terme à cette situation, elles ne peuvent pas nous laisser dans cette situation d’urgence. Tout cela doit cesser. Cela doit être considéré comme une situation humanitaire très grave.

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Le témoignage d'un médecin travaillant dans un hôpital de Khartoum

Paulina Zidi

Le Programme alimentaire mondial a, quant à lui, suspendu son aide humanitaire après la mort de trois de ses employés. Et Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, a réclamé que les responsables soient « traduits en justice au plus tôt. » La Ligue arabe et l'Union africaine se sont chacune réunie en urgence dimanche. Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l'UA, se rendra au plus vite au Soudan pour « engager les parties vers un cessez-le-feu ».

Je crois que c’est un combat existentiel entre d’un côté une armée régulière qui est l’héritière d’Omar el-Béchir, de ce régime militaro-islamiste qui a dirigé le Soudan pendant trente ans, et de l’autre côté une bande de rebelles qui n’a rien à perdre finalement. Et l’enjeu c’est de prendre en mains non seulement le pouvoir mais aussi toutes les richesses du Soudan.

02:58

Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS

Catherine Potet

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