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Sous-marin Titan : faut-il interdire le «tourisme des profondeurs» ?

Le Titan, petit submersible en fibre de carbone, a implosé alors qu'il descendait vers l'épave du Titanic, à plus de 3000 mètres dans l'océan Atlantique.
Le Titan, petit submersible en fibre de carbone, a implosé alors qu'il descendait vers l'épave du Titanic, à plus de 3000 mètres dans l'océan Atlantique. OCEANGATE EXPEDITIONS / REUTERS

DÉCRYPTAGE - Quelques jours dans un submersible à des milliers de mètres sous la surface : certains sont prêts à débourser des sommes astronomiques pour s'offrir ce frisson. Les cinq occupants du petit sous-marin d'OceanGate y ont perdu la vie.

La terrible nouvelle est tombée ce jeudi soir. Les cinq passagers du Titan, petit sous-marin disparu depuis dimanche à l'est des côtes d'Amérique du Nord, sont morts. Des débris du submersible ont été retrouvés à quelques centaines de mètres de l'épave du Titanic, engloutie à 3800 mètres sous les eaux de l'Atlantique, ne laissant aucune chance de retrouver ses occupants en vie. L'engin a probablement implosé alors qu'il descendait vers le fond.

Une conclusion tragique à ce qui devait, au départ, être une expérience exceptionnelle pour trois voyageurs, prêts à casser la tirelire pour quelques jours de grand frisson. Prix de l'expérience à bord du petit submersible de carbone ? 250.000 dollars. C'est la somme déboursée par les trois visiteurs à bord du sous-marin, le milliardaire anglais Hamish Harding, l'homme d'affaires pakistanais-britannique Shahzada Dawood et son fils Suleman, 19 ans. À leurs côtés se trouvaient le fondateur d'OceanGate, Stockton Rush, et le grand spécialiste du Titanic, le Français Paul-Henry Nargeolet. Rappelons qu'avant cette ultime expédition, le sous-marin d'OceanGate avait déjà transporté environ 60 clients payants et 15 à 20 chercheurs vers le Titanic.

Expérience «sous-marin» pour touristes fortunés

Notre journaliste Valérie Sasportas à bord du sous-marin du Four Seasons des Maldives. Valérie Sasportas / Le Figaro

Les expéditions en eau profonde à visée touristique comme celle du Titan se comptent sur les doigts de la main, en raison des coûts astronomiques de construction - ou d'acquisition - d'un engin d'exploration des abysses. Plusieurs sociétés se sont toutefois frottées à ce business de niche, dont Oceangate, implantée à Everett, dans l'état de Washington. Selon son site web, la société «construit des sous-marins 5 places voués à la recherche scientifique et au tourisme». Elle revendique 14 expéditions et 200 plongées couronnées de succès dont déjà plusieurs avec le Titan. Fondée en 2009 par l'homme d'affaires Stockton Rush, OceanGate a d'abord acquis deux submersibles, deux robots et plusieurs navires avant de construire l'un des seuls appareils privés au monde à pouvoir descendre à 4000 mètres de profondeur. Le Titan. Un engin si innovant, d'après la compagnie, que personne n'a accepté de le certifier.

Faut-il y voir une preuve de précipitation, d'amateurisme ? Tout comme l'espace, le secteur du tourisme, en quête de terrains de jeu toujours plus extraordinaires, lorgne les profondeurs de l'océan. La perspective est vertigineuse : des océans, qui recouvrent 70% de notre planète bleue, seuls 5 % ont été explorés par l'homme. Jusqu'ici, il faut le dire, ces convoitises ne sont pas heurtées à beaucoup de réglementations. Sans s'enfoncer aussi loin dans les profondeurs que le Titan, certains hôtels de luxe des Maldives, de l'île Maurice ou du Vietnam proposent depuis plusieurs années à leurs hôtes l'«expérience sous-marin». C'était le cas jusqu'à récemment du Four Seasons des Maldives avec un engin capable de plonger à 300 mètres, au toit transparent pour admirer les coraux et autres habitants des atolls. Tarif : 1500 dollars l'heure. L'archipel a aussi accueilli en 2018 un premier hôtel immergé. En 2019, c'était Under, un restaurant en Norvège. Et on ne compte plus les musées sous-marins, à explorer palmes au pied, y compris au large de nos côtes.

«Cette forme de tourisme est dangereuse»

Les cinq victimes de l'accident du Titan. JOEL SAGET - HANDOUT / AFP

Autre symbole de cet engouement, depuis 2021, l'école hôtelière des Roches à Marbella accueille une fois l'an le SUTUS, ou «Space and Underwater Tourism Universal Summit», une série de conférences dédiées au tourisme spatial et sous-marin. Parmi les invités de l'édition 2021, la Floridienne Triton Submarines, première manufacture mondiale de submersibles à l'origine en 2019 de la plongée la plus profonde jamais réalisée, plus de 10.928 mètres, dans la Fosse des Mariannes. Comme la majeure partie de l'activité de Triton, cette expédition était vouée à la recherche. Mais l'entreprise propose aussi, à la marge, des sorties touristiques, plus lucratives et permettant de financer les premières. Au chapitre de ses projets, un sous-marin ultra-luxueux conçu avec Aston Martin et capable de plonger à 500 mètres, destiné aux propriétaires de superyachts. Contactée par Le Figaro, Triton n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

«Envoyer des touristes dans le fond des océans est complètement stupide», s'emporte le plongeur français Christian Petron, directeur technique des premières campagnes d'exploration du Titanic et proche de Paul-Henri Nargeolet. «C'est très dangereux car plonger à de telles profondeurs ne peut se faire qu'avec de tout petits sous-marins. L'expérience sera réservée à une poignée de milliardaires et, dans le cas des plongées Titanic, elle se double d'une composante voyeuriste, quand on pense au nombre de morts qu'a fait ce drame.»

Quand le tourisme finance la recherche

Paul-Henri Nargeolet lui-même n'était pas favorable à ce que des quidams plongent à de telles profondeurs, assure le Français. Mais il voyait dans ces expéditions «hybrides» un moyen de poursuivre son œuvre scientifique. L'expédition du Titan prenait ainsi part à un projet de cartographie en 3D de l'épave du Titanic. «Il y allait pour la science, par curiosité même s'il était très réservé sur l'appareil en lui-même, on l'a dit. Mais partir avec OceanGate était le seul moyen de revoir l'épave du Titanic, faute d'expéditions purement scientifiques qui ne sont pas financées. C'est la grande différence entre le tourisme sous-marin et le tourisme spatial», nous confie l'une des proches du Français disparu.

Dans une interview pour France 2 en 2020, Stockton Rush répondait aux premières critiques, d'archéologues notamment, qui considéraient que l'épave du Titanic ne devait pas être accessible à tous. «Nous ne touchons pas l'épave, les objets. Nous respectons ce site extraordinaire. Ce n'est pas Disneyland mais il ne faut pas limiter le nombre de visiteurs», jugeait alors l'homme d'affaires. Les abysses, l'espace, faut-il s'aventurer par-delà ces ultimes frontières ? Une chose est sûre, s'enfoncer si haut, si profond a un coût. Financier, mais aussi humain, c'est désormais une certitude.

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68 commentaires
  • anonyme 310

    le

    Faut-il interdire d’interdire ?

  • CFF

    le

    Si nous avions dû interdire à tout les aventuriers et casse-cou en herbe au début du siècle dernier de s'élancer dans les airs avec 2 bouts de bois et un peu de toile, l' aviation n'existerait pas. Ah ce bon vieux "principe de précaution" qui nous empêche d' avancer....

  • Marco54

    le

    Mais arrêtez d'interdire, celui qui veut y aller,y va il est responsable de ses actes tant qu'il ne met pas les autres en danger, point final !

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