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Conflit

Haut-Karabakh : l’Azerbaïdjan à l’offensive

L’opération militaire déclenchée par Bakou dans l’enclave sécessionniste avait déjà fait 25 morts dont 2 civils mardi soir. Les autorités locales ont demandé un cessez-le-feu immédiat, mais Bakou, réclame une «reddition totale». A Erevan, de nombreux manifestants appellent la démission du Premier ministre.
par Veronika Dorman
publié le 19 septembre 2023 à 21h09

Les images sont toujours les mêmes : fenêtres soufflées, planchés effondrés, voitures défoncées, amoncellements de ferraille et de béton pilé… Des gens qui courent pour se mettre à l’abri. A l’horizon, une explosion, et un champignon de fumée. Ce qui était redouté depuis plusieurs semaines de tensions croissantes est advenu : Bakou a déclenché, ce mardi 19 septembre, une opération militaire dans le Haut-Karabakh, l’enclave que se disputent depuis plus de trente ans l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Selon des témoignages parvenant depuis la «capitale», Stepanakert, la ville a été bombardée.

Les autorités du Haut-Karabakh affirment que plusieurs autres agglomérations ont été ciblées par des «tirs intensifs» visant essentiellement des infrastructures civiles. Bakou assure de son côté que «seules des cibles militaires légitimes sont neutralisées par l’utilisation d’armes de haute précision». En fin de journée, les autorités du Haut-Karabakh annonçaient 25 morts dont deux civils et plusieurs dizaines de blessés. Plusieurs enfants auraient été hospitalisés, selon des images qui circulent sur les réseaux sociaux.

«Le président azerbaïdjanais Aliyev n’a pas l’intention de négocier»

Les «opérations antiterroristes» pour neutraliser «les positions des forces armées arméniennes» ont été lancées par l’Azerbaïdjan après la mort de quatre policiers et deux civils azerbaïdjanais, tués par une mine, sur un chantier, entre Chouchi et Fizouli, en territoire karabatsi sous contrôle azerbaïdjanais. Pour Bakou, il s’agit d’actes «terroristes» perpétrés par des «saboteurs». «Récemment, la partie azerbaïdjanaise a procédé à des transferts quotidiens de troupes et à la constitution de stocks d’armes diverses, accompagnés d’activités intensives d’information et de propagande, préparant ainsi le terrain pour une agression à grande échelle contre l’Artsakh», a fait circuler dans un communiqué mardi Sergey Ghazaryan, le ministre des Affaires étrangères de la République d’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabakh), non reconnue officiellement. Accusant Bakou d’avoir préparé l’agression en diffusant, depuis vingt-quatre heures, «des informations erronées selon lesquelles la partie de l’Artsakh aurait mené des opérations de sabotage et bombardé des positions azerbaïdjanaises».

Les autorités du Karabakh ont demandé un cessez-le-feu immédiat et des négociations, mais Bakou, qui réclame une reddition «totale et inconditionnelle», a appelé les forces séparatistes à déposer les armes. «Les forces armées arméniennes illégales doivent hisser le drapeau blanc, rendre toutes les armes et le régime illégal doit se dissoudre. Autrement, les opérations antiterroristes continueront jusqu’au bout», a menacé la présidence azerbaïdjanaise.

A l’automne 2020, à l’issue d’une guerre de six semaines, l’Azerbaïdjan avait repris des territoires dans et autour de l’enclave qui étaient détenue par l’Arménie depuis 1994, et peuplée essentiellement d’Arméniens, mais jamais reconnue par la communauté internationale. Moscou, garant du cessez-le-feu, avait envoyé des forces de maintien de la paix pour assurer la stabilité dans la région, mais avec l’enlisement de la guerre en Ukraine, ce contrôle s’est affaibli.

Des manifestations à Erevan

Et notamment autour du corridor de Latchine, la seule route reliant l’Arménie à Stepanakert, que les forces azerbaïdjanaises ont fini par complètement bloquer, empêchant l’approvisionnement de l’enclave et provoquant une crise humanitaire. En mai, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, avait reconnu l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan mais aucun accord de paix n’a jamais été trouvé. «Le président azerbaïdjanais Aliyev n’a pas l’intention de négocier sur une question qu’il considère comme une affaire intérieure. Il cherche maintenant à reprendre un territoire que même l’Arménie reconnaît comme faisant partie de l’Azerbaïdjan», souligne Marie Dumoulin, experte au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).

L’opération militaire conduite par l’Azerbaïdjan est «illégale, injustifiable, inacceptable», a vivement réagi Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU qui a commencé ce mardi à New York. Ajoutant que la France tient «l’Azerbaïdjan responsable du sort des Arméniens du Haut-Karabakh». Paris a également demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, s’est entretenu au téléphone avec le président Emmanuel Macron, et le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, qui juge l’offensive «particulièrement dangereuse».

Tandis que les civils étaient évacués par les soldats russes du maintien de la paix depuis six localités – 469 personnes, dont 185 enfants, selon le ministère de la Défense russe –, a indiqué Gegham Stepanian, le défenseur des droits du Haut-Karabakh, à Erevan, la capitale arménienne, la rue s’agitait. Dès la mi-journée, des manifestants ont commencé à se rassembler devant le siège du gouvernement pour appeler à la démission du Premier ministre. Nikol Pachinian est tenu pour responsable, par l’opposition et une partie de la population, de la défaite militaire de 2020, et se retrouve régulièrement sur la sellette. Ce mardi, il a dénoncé des appels à un coup d’Etat. «Nous ne devons pas permettre à certaines personnes, certaines forces de porter un coup à l’Etat arménien. Il y a déjà des appels venant de différents endroits à mener un coup d’Etat», a-t-il dit dans une adresse à la nation.

«Nikol, traître !» «Nikol, démission !» et «Artsakh ! Artsakh !» scandait la foule de plusieurs centaines de personnes. «Nous exigeons que Pachinian renonce à [sa] déclaration» faite en mai ou démissionne, ont répété plusieurs membres de l’opposition, face à l’assemblée. L’opposition a lancé un appel à un rassemblement à 19 heures. La nuit risquait d’être longue.

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