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Libération
Scandale dans les Andes

Pérou : une Présidente, des montres de luxe et une perquisition

Une sombre affaire de montres de luxe non déclarées empoisonne la présidente péruvienne déjà contestée par la rue. Son domicile a été perquisitionné ce samedi.
par Benjamin Delille et AFP
publié le 30 mars 2024 à 18h33

Décidément, la présidence de Dina Boluarte n’est pas un long fleuve tranquille. Ce samedi, les Péruviens se sont réveillés avec les télévisions du pays en boucle sur le domicile de la présidente, à Surquillo, dans la banlieue de Lima, cerné par des enquêteurs. On y voit des policiers forcer la porte d’entrée du domicile à l’aide d’une barre de fer. Et d’autres, en ligne, formant un rempart dans les rues adjacentes pour couper la circulation. En tout, la perquisition a mobilisé peu après minuit une quarantaine d’agents et de magistrats selon l’AFP «dans le but de fouiller la maison et saisir des montres Rolex». Politiquement, l’image est terrible pour la cheffe déjà contestée de l’Etat péruvien.

Il s’agit du dernier épisode d’un scandale qui dure depuis le 15 mars dernier. Ce jour-là, le site d’information La Encerrona publie une série de photos de Dina Boluarte prises entre 2021 et 2022 alors qu’elle n’est encore que vice-présidente au service d’un gouvernement supposément de gauche et antisystème. Sur chacune d’elles, différentes montres Rolex ornent son poignet. Problème : cette jolie collection a priori hors de prix ne semble pas avoir été déclarée dans son patrimoine. S’ouvre alors une enquête pour enrichissement illicite à laquelle la présidente oppose une défense pour le moins bancale.

Corruption endémique

Elle assure d’abord ne posséder qu’une seule montre, achetée bien avant sa prise de fonction et grâce à ses économies personnelles. Puis promet de présenter des montres, au pluriel, avec des justificatifs d’achat. «Je suis entrée au Palais du Gouvernement avec les mains propres et j’en sortirai avec les mains propres, comme je l’ai promis au peuple péruvien», assure-t-elle, bien consciente du caractère explosif de l’affaire dans un pays miné par la corruption - son ancien Premier ministre, Alberto Otarola, vient de démissionner début mars après l’ouverture d’une enquête pour trafic d’influence à la suite de la diffusion d’enregistrements audios le compromettant. Son camp n’a eu de cesse depuis de dénoncer une machination politique destinée à la déstabiliser, elle et son gouvernement.

La perquisition de ce samedi 30 mars intervient à la demande du procureur de la nation après le rejet par le parquet de la demande de Dina Boluarte de présenter elle-même les montres de luxe et les documents relatifs à leur acquisition. «Ce qui s’est passé est une atteinte intolérable à la dignité de la présidence de la République et de la nation qu’elle représente», dénonce aujourd’hui son nouveau Premier ministre Gustavo Adrianzén (centre droit) selon qui l’intervention judiciaire s’appuie «sur des dispositions juridictionnelles discutables». La présidente, qui était à la résidence officielle du Palais du gouvernement au moment de la perquisition, réserve ses mots pour des déclarations «au parquet quand il la convoquera». En cas de mise en examen, elle ne pourra être jugée qu’à l’issue probable de son mandat, en juillet 2026.

Pouvoir contesté

C’est donc un nouveau scandale pour cette présidente de 61 ans déjà visée par une enquête autrement plus grave. Elle est accusée de «génocide, homicide aggravé et blessures graves» après la mort de 50 manifestants pendant les troubles qui ont suivi son accession pour le moins polémique au sommet de l’Etat, en décembre 2022. L’ex-chef de l’Etat Pedro Castillo, populiste de gauche arborant toujours un grand chapeau paysan, lui aussi soupçonné de corruption, et dont elle était la vice-présidente, avait alors été destitué juste après avoir tenté de dissoudre le Parlement. Depuis son élection en juillet 2021, l’opposition majoritaire faisait tout pour l’éjecter du pouvoir. Dans un pays très polarisé, la base paysanne vivant majoritairement dans les Andes qui l’avait porté au pouvoir se soulève contre ce qu’elle juge être une machination politique téléguidée par les élites urbaines de la capitale, Lima.

Dina Boluarte, propulsée à la présidence, effectue alors une volte-face, avec la bénédiction de la droite majoritaire, et déploie l’armée pour réprimer les manifestations qui vont durer près de deux mois. Une répression qui aura raison des revendications populaires : dans l’ordre, la démission de la présidente, la convocation d’élections anticipées, et une nouvelle Constitution pour sortir le pays de l’instabilité politique. Depuis 2016, presque aucun des six présidents qui se sont succédé n’est allé au bout de son mandat, toujours avec la corruption en toile de fond. Dina Boluarte continue pour l’instant de mener sa barque mais les eaux troubles de la politique péruvienne pourraient bien finir par la faire chavirer.


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