Les rangées sont interminables : 230 lits vides ont été disposés sur place Safra, devant l’hôtel de ville de Jérusalem. Autant que de personnes retenues otages à Gaza. L’installation révèle le trou béant laissé par leur disparition dans la société israélienne. De ce vide et de la douleur de l’attente naît une colère sourde. Un peu plus de trois semaines après la guerre, le silence de la sidération et de la solidarité a laissé place à une critique de plus en plus ouverte du gouvernement israélien et de son chef, Benyamin Netanyahou.

« Libérez-nous, maintenant ! »

Le sort des otages en est l’épicentre. « Nous sommes victimes de votre échec politique, sécuritaire et militaire », enrage Danielle Aloni, une des otages, dans une vidéo en hébreu adressée au premier ministre israélien diffusée par le Hamas lundi soir, alors que les bombardements s’intensifient sur la bande de Gaza. « Personne ne nous a défendus (…) Nous sommes des citoyens innocents, nous payons des impôts à un État, mais aujourd’hui nous sommes en captivité, et vous êtes en train de nous tuer », accuse Danielle Aloni, avant de hurler : « Libérez-nous, maintenant ! »

Ces images, filmées sous la contrainte, n’ont pas été diffusées par la télévision israélienne. Mais le message des otages, habitantes de kibboutz issues de la gauche, a trouvé un écho dans une partie de la société israélienne très présente auprès des familles des otages. À Tel-Aviv ou à Jérusalem, leurs rassemblements font renaître le vent de la contestation anti-Netanyahou qui a agité le pays toute l’année. « L’État a un contrat moral avec ses citoyens, celui d’assurer leur sécurité. Le 7 octobre et ses conséquences montrent que la politique de Bibi n’était, et n’est pas, orientée vers ce but », peste Shira, les traits usés, entre les lits disposés à Jérusalem. Sa fille, Liri, 16 ans, a été enlevée au festival de musique de Ré’im.

Cote de popularité en chute libre

La cote de popularité du premier ministre est au plus bas. Selon un sondage publié par le quotidien israélien Maariv, le 13 octobre, si des élections avaient eu lieu en octobre, le parti centriste de Benny Gantz aurait remporté 41 sièges (contre 12 actuellement), et le Likoud serait tombé à 19 sièges (contre 32 aujourd’hui). L’enquête donne respectivement cinq et quatre sièges aux partis radicaux Otzma Yehudit et Sionisme religieux, qui avaient remporté 14 sièges à eux deux en novembre 2022.

Le capital-confiance de Benyamin Netanyahou s’érode à vue d’œil. « Le manque total et constant d'attention, d'honnêteté, de décence et de responsabilité de la part du premier ministre ne fait qu’aggraver son cas », note Uriel Abulof, sociologue à l’Université de Tel-Aviv. Samedi dernier, devant une presse inquisitrice, Benyamin Netanyahu a refusé de s’étendre sur ses torts.

Plus tard dans la soirée, il fera même porter le chapeau de son impréparation à ses généraux sur le réseau X : « Contrairement aux affirmations mensongères, en aucun cas le premier ministre Nétanyahou n’a été averti de l’intention du Hamas d’entrer en guerre. Tous les responsables de la défense (...) pensaient que le Hamas était dissuadé d’agir et cherchait des accommodements. C’est l’évaluation qui a été présentée à maintes reprises au premier ministre et au cabinet par tous les responsables de la défense et la communauté du renseignement, jusqu’au déclenchement de la guerre. »

Le tweet est supprimé dans la foulée du tollé qu’il provoque. « J’ai dit des choses qui n’auraient pas dû être dites » , a regretté Benyamin Netanyahou, dans ses seules excuses prononcées depuis le début de la guerre. Pour Gayil Talshir, politologue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, la séquence est révélatrice : « Comme toujours, Bibi n’agit que selon le compas de son ambition personnelle et de sa soif de pouvoir. Il refuse d’admettre ses torts parce qu’il estime que s’il le fait, on lui demandera de démissionner. Or ce qui l’inquiète avant tout, c’est sa survie à la tête du pays, seul levier dont il dispose pour échapper à ses procès. »

« Pas de désaccord sur la manière d'atteindre la victoire »

Près de 80 % des Israéliens estiment que Netanyahou doit assumer publiquement la responsabilité des échecs du 7 octobre, selon une enquête réalisée par l’institut israélien Lazar. Le chef d’état-major de l’armée, le lieutenant-général Herzi Halevi, et le chef du renseignement intérieur (le Shin Bet) Ronen Bar, ont déjà fait leur acte de contrition, tout comme le ministre de la Défense Yoav Gallant et le ministre des Finances Bezalel Smotrich.

Alors que le « roi Bibi » dispose toujours d’un ou deux fidèles députés du Likoud prêts à le défendre, les réseaux sociaux sont restés silencieux. Le tweet maladroit a été condamné par Benny Gantz, ancien général et membre de l’opposition qui a rejoint le gouvernement d’unité nationale. À la question : « Avez-vous confiance dans le premier ministre », posée lors de la conférence de presse du 28 octobre, le ministre de la Défense Yoav Gallant a répondu un sobre : « Il n'y a pas de désaccord sur la manière d'atteindre la victoire. »

« Psychotique » et « déséquilibré »

Il y a deux semaines, le Likoud, le parti de Netanyahou, le défendait, affirmant qu'il offrirait à Israël une victoire qui restaurerait son image de « leader fort » . Mais l’entrain des premiers jours s’est estompé. Des critiques relayées par la presse israélienne et pour le moment anonymes, s’élèvent, soulignant un comportement « psychotique » , « déséquilibré ».

Dans l’opposition, relativement calme ces derniers jours pour laisser au pays le temps de digérer le choc, on fait désormais monter la pression : « Netanyahou prouve qu’il est un lâche et j’ai peur de laisser mon sort entre ses mains, lance Yael German, membre du parti d’opposition yesh Atid et ancienne ambassadrice d’Israël en France. Comment peut-on laisser les rênes sur le cou d'un cheval qui nous a jetés dans l'abîme ? » D’anciens responsables de la sécurité appellent ouvertement à sa démission.

« Bibi ne démissionnera jamais de lui-même, estime Gayil Talshir de l’Université hébraïque. Il faut que cela vienne de la coalition. Mais à moins d’un revirement de situation, la ligne actuelle est qu’on ne change pas de cheval pendant la guerre. »

Après 16 ans de règne, cette guerre signe à la fois l’héritage et le déclin du « roi Bibi ». Lui qui avait toujours rechigné à lancer une offensive militaire dans la bande de Gaza, se retrouve aujourd’hui à faire de l’éradication du Hamas la « mission de (sa) vie. » Mais en aura-t-il le temps ?

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Un doyen de la politique israélienne

Né à Tel-Aviv le 21 octobre 1949, Benyamin Netanyahou devient le plus jeune premier ministre de l’histoire d’Israël en 1996 : à 46 ans, il l’emporte sur le doyen Shimon Peres et restera trois ans au pouvoir.

Après une courte pause politique, il prend la tête du Likoud et redevient premier ministre en 2009 jusqu’en 2021.

Malgré son inculpation pour corruption et alors que son procès est encore en cours, il l’emporte de justesse lors des législatives du 1er novembre 2022 et retrouve le pouvoir en prenant la tête d’une coalition formée avec l’extrême droite. Son projet de réforme de la Cour suprême suscite une vaste mobilisation populaire contre son gouvernement.