Menu
Libération
Violences policières

Nahel, conducteur de 17 ans abattu à Nanterre : les images qui mettent en cause le tir du policier

Mort de Nahel, tué par un tir policier à Nanterredossier
Le conducteur d’une voiture est mort dans la matinée du mardi 27 juin à Nanterre après qu’un policier lui a tiré dessus. La vidéo des faits, authentifiée par «Libération», pose question sur l’intervention de l’agent. L’IGPN a été saisie et la famille va porter plainte.
par Ludovic Séré et Fabien Leboucq
publié le 27 juin 2023 à 10h28
(mis à jour le 27 juin 2023 à 19h48)

Nahel, 17 ans, a été tué tôt ce mardi 27 juin à Nanterre (Hauts-de-Seine) au volant de la voiture qu’il conduisait par un policier qui a fait usage de son arme après que le jeune homme a refusé un contrôle et accéléré devant les agents. Le fonctionnaire de police a été placé en garde à vue pour «homicide volontaire», a indiqué dans la soirée le parquet de Nanterre, précisant que «les opérations de dépistage d’alcoolémie et de consommation de produits stupéfiants ont été réalisées et se sont avérées négatives». «Une autopsie et des examens complémentaires, notamment en matière de toxicologie, ont été ordonnés et doivent être réalisés demain, ajoute le communiqué. L’exploitation des éléments retrouvés sur place, dans le véhicule, et des différentes vidéos de la scène se poursuivent.»

D’après une vidéo circulant sur les réseaux sociaux et authentifiée par Libération, le tir est survenu passage François-Arago, dans le quartier de la préfecture. Contactée par Libé, l’autrice de la vidéo se dit «encore très choquée». Les images montrent ce qui semble être un contrôle routier. Deux policiers motards, casqués et pied à terre, se tiennent au contact de la voiture jaune, près de la fenêtre côté conducteur.

Si la vidéo ne s’affiche pas, cliquez ici.

Une moto avec son gyrophare bleu est garée du côté droit du véhicule, en retrait. L’un des agents est penché à la fenêtre, pistolet dans la main droite ; l’autre est à la gauche du capot, son arme tenue à deux mains. On entend ce qui ressemble à des injonctions de la part des agents, peut-être pour intimer à l’automobiliste l’ordre d’arrêter son véhicule. Mais celui-ci démarre, les deux agents s’en écartent. En moins d’une seconde, le policier proche du capot tire. La caméra suit la voiture, puis revient sur les deux agents, qui semblent se diriger, à pied, vers leurs motos.

Une autre vidéo, filmée après les faits par le journaliste Clément Lanot, montre le véhicule ayant terminé sa course environ une soixantaine de mètres plus loin, renversant un panneau de signalisation, sur la place Nelson-Mandela, parsemée de caméras de surveillance qui pourraient servir les investigations.

D’après les premiers éléments de l’enquête, rapportés par le parquet de Nanterre à Libé dans le courant de la matinée, trois personnes se trouvaient dans le véhicule, une puissante Mercedes AMG, lors des faits survenus à 8 h 18. «Le décès de l’une d’elles, âgée de 17 ans et connue des services de la justice, notamment pour refus d’obtempérer, a été constaté à 9 h 15 suite à au moins une blessure par arme à feu.» Un autre passager, également mineur, a été placé brièvement en garde à vue pour être auditionné et a été relâché en début d’après-midi, a indiqué le parquet de Nanterre. Le troisième passager, en fuite, est toujours recherché.

Le parquet de Nanterre a également annoncé à Libération avoir ouvert deux enquêtes en flagrance, «l’une pour “refus d’obtempérer” et “tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique”, confiée au commissariat de Nanterre et à la Sûreté territoriale des Hauts-de-Seine», ainsi que la seconde «pour “homicide volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique”, confiée à l’IGPN», la police des polices.

Plainte pour «homicide volontaire»

A travers la voix d’un de leurs avocats, Me Yassine Bouzrou, la famille de la victime, Nahel, un livreur âgé de 17 ans, annonce qu’elle déposera plainte «ces prochains jours» pour «homicide volontaire» contre le policier auteur du tir. «Son intention de donner la mort ne fait aucun doute puisqu’il résulte de la bande-son de la vidéo qu’il annonce avant son tir ‘‘je vais te mettre une balle dans la tête’’», avance Yassine Bouzrou auprès de Libé. La plainte visera également, pour «complicité d’homicide volontaire» le second policier, «lequel semble faire injonction à son collègue de faire feu en disant “shoote-le” juste avant le tir», ajoute l’avocat.

Une seconde plainte pour «faux en écriture publique» sera déposée à l’encontre des policiers «qui ont affirmé que le jeune homme avait tenté de commettre un homicide sur leur personne en tentant de les percuter», ce qui, selon l’avocat de la famille, est «formellement démenti» par le visionnage de la vidéo. Yassine Bouzrou va également faire une demande de dépaysement avec dessaisissement immédiat du parquet de Nanterre, jugeant qu’il aurait ouvert «une enquête sur la base de fausses accusations».

Après la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux, les réactions politiques se sont vite multipliées. A gauche, on dénonce une «exécution sommaire». «Un refus d’obtempérer ne peut pas être une condamnation à mort. Pour personne. Jamais», a écrit sur Twitter la députée EE-LV Sandrine Rousseau. Du côté de La France insoumise, Manuel Bompard a lui aussi souligné que «la mort ne fait pas partie des sanctions prévues par le code pénal» pour un refus d’obtempérer. Pour le député LFI Thomas Portes, «ici il s’agit d’une exécution sommaire par un policier sans que celui-ci ne soit en danger». «La police ne peut tirer qu’en cas d’absolue nécessité. Aucune vie ne semble pourtant en danger sur cette vidéo», a également pointé l’élu LFI du Nord David Guiraud.

«Bouleversé par le décès du jeune homme, Patrick Jarry, maire de Nanterre, a de son côté exprimé ses plus sincères condoléances à sa maman ainsi qu’à sa famille et à ses proches. Il souhaite que les enquêtes ouvertes […] permettent de faire au plus vite toute la lumière sur les circonstances exactes de ce drame», a écrit la mairie dans un communiqué. «Choqué» par la vidéo, le maire «appelle chacun et chacune à la retenue et à la dignité, malgré l’émotion légitime suscitée par ce drame», poursuit le texte.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a confirmé sur Twitter qu’«à la suite de la mort ce matin, à Nanterre, d’un jeune conducteur contrôlé par deux policiers, l’IGPN a été saisie pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce drame». Interrogé pendant les questions au gouvernement, le ministre a évoqué des «images extrêmement choquantes» dont «nous ne connaissons pas les conditions exactes». «C’est un drame que ce jeune homme de 17 ans soit mort», a ajouté Gérald Darmanin, qui veut «avoir le plus rapidement possible» les résultats de l’enquête de l’IGPN. Si le ministre n’est «pas juge ni procureur de la République», il affirme que le policier «aura à rendre compte de ses actes».

Le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, s’est quant à lui dit «interpellé» par le geste du policier : «C’est un fonctionnaire de police de 38 ans qui est lui-même très choqué par ce drame.» Sur le plateau de BFM TV, le préfet de police a ajouté que les policiers étaient «actuellement entendus par la justice».

Selon une source policière, les policiers impliqués sont membres de la compagnie territoriale de circulation et de sécurité routière des Hauts-de-Seine. Cette dernière fait partie, avec le service des compagnies motocyclistes de Paris et ses homologues de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, de la division régionale motocycliste de la Direction de l’ordre public et de la circulation, au sein de la préfecture de police.

En 2022, douze personnes ont été tuées par la police alors qu’elles étaient au volant ou passagères d’un véhicule.

Mise à jour le 27 juin à 19h16 avec le dernier communiqué du parquet de Nanterre indiquant le placement en garde à vue pour «homicide volontaire» d’un policier.

Le prénom de Nahel a été modifié pour correspondre à sa juste graphie

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique