opération électoraleUne présidentielle russe sans suspense… Poutine est-il indétrônable ?

Présidentielle en Russie : Vladimir Poutine est indétrônable, mais jusqu’à quand ?

opération électoraleLes résultats de l’élection présidentielle russe, organisée de vendredi à dimanche, laissent peu de place au doute : Vladimir Poutine va l’emporter avec une très large majorité des suffrages
Vladimir Poutine à Solnechnodolsk, dans la région de Stavropol, en Russie, le 5 mars 2024.
Vladimir Poutine à Solnechnodolsk, dans la région de Stavropol, en Russie, le 5 mars 2024. - Mikhail Tereshchenko/SPUT/SIPA / SIPA
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Vladimir Poutine est candidat à sa réélection à la tête de la Fédération de Russie, pour la troisième fois d’affilée.
  • Il sera sans aucun doute réélu dimanche à l’issue des trois jours pendant lesquels les citoyens russes sont invités à se rendre aux urnes.
  • A l’heure de la guerre en Ukraine et des sanctions économiques qui pèsent contre la Russie, le chef d’Etat semble plus fort que jamais.

Opposition muselée, multiplication des lois liberticides, président tout-puissant… Le mot « démocratie », en Russie, n’est plus qu’une façade, derrière laquelle se cache un régime de plus en plus autoritaire. A sa tête, celui qui œuvre à incarner la figure de l’homme tout-puissant, Vladimir Poutine.

A l’issue de l’élection présidentielle en Russie, dont le vote se déroule de vendredi à dimanche, il sera sans aucun doute reconduit pour la troisième fois d’affilée à la tête du Kremlin, et pour la quatrième fois de sa carrière. A court et moyen terme, l’espoir d’une éclaircie, avec un changement de ton et de visage, paraît inatteignable. Vladimir Poutine est inarrêtable. Mais jusqu’à quand ?

L’immobilisme des élites

Posons la question autrement : comment imaginer la Russie sans Vladimir Poutine ? Le président apparaît aujourd’hui indiscutable jusque dans ses cercles les plus proches. Il y a bien eu la menace de coup d’Etat menée par Evgueni Prigojine en juin 2023. Mais elle n’a pas abouti, et le leader de la milice Wagner a été condamné au silence éternel, tué dans un crash d’avion – particulièrement commode – survenu deux mois plus tard. Selon plusieurs experts russes * qui se sont exprimés la semaine dernière lors d’un séminaire sur la présidentielle à venir, « il ne faut rien attendre des élites russes. Elles ont peur de tout et aujourd’hui, tout va bien pour elles. Qu’obtiendraient-elles d’un putsch ? L’Occident ne veut pas d’elles, il vaut mieux rester au chaud avec Vladimir Poutine et améliorer sa situation personnelle »

Certains ont beau avoir vu leur style de vie dégradé par les sanctions occidentales, « il ne reste plus que des loyaux, ceux qui soutiennent Vladimir Poutine et croient en lui. Ils sont prêts à couler avec le navire et son capitaine », estime Carole Grimaud, fondatrice du Creer (Center for Russia and Eastern Europe Research) à Genève. Les autres, « ceux qui étaient proches du pouvoir et se sont exprimés contre la guerre, ont quitté le pays. On ne voit pas de contradicteurs à l'intérieur du Kremlin », rappelle-t-elle. Toutefois, depuis quelques mois, un changement s'opère. Certaines personnes de l’administration parlent au site Meduza, média indépendant russophone, déclaré « indésirable » par Moscou, sous couvert d’anonymat. « Même si elles le font secrètement, elles s’exposent à des représailles et prennent un risque. Cela sous-entend que certains s’opposent au régime, du moins à la guerre en Ukraine », souligne la chercheuse.

Un soutien populaire et une opposition silencieuse

Difficile, encore une fois, de trouver une voix dissonante en Russie. L’opposition claire à Vladimir Poutine se trouve principalement « en exil, en prison ou tuée », résume Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques à l’université Rennes-2. D’autant que l’ancien agent du KGB bénéficie d’un vrai soutien populaire. Selon les chiffres du Levada Center, un institut de sondage russe indépendant, la cote de popularité du locataire longue durée du Kremlin a augmenté « rapidement » entre 2022 et 2024, soit depuis le début de la guerre en Ukraine. Et ce grâce à « l’effet d’union derrière le drapeau, derrière le leader », analyse l’un des chercheurs de l’organisation.

Mais les funérailles d’Alexeï Navalny, mort en colonie pénitentiaire mi-février, ont été l’occasion pour des milliers de personnes de montrer leur soutien à l’opposant. Idem pour les files d’attente interminables afin de signer la pétition en faveur de la candidature de l’opposant Boris Nadejdine. De quoi montrer « que la société civile existe encore en Russie, et qu’il y a peut-être 15 à 20 % de la population qui est contre Vladimir Poutine sans pouvoir le manifester publiquement, de peur d’aller en prison. Cela fait environ 30 millions de personnes », soutient un journaliste et polémiste russe. « L’opposition est de plus en plus forte car elle est de plus en plus brimée, mais il y a des très peu de possibilités d’action. Il n’y a pas d’organisation, de porte-parole de l’opposition, de leader », constate pour sa part Carole Grimaud.

La conjoncture économique favorable

Faut-il alors compter sur un déclin de l’économie russe pour voir vaciller Vladimir Poutine ? A priori non. Si les sanctions internationales prises à l’encontre du régime ont bien participé à une baisse du PIB jusqu’à – 2,1 % enregistrée à l’automne 2022, selon les données du Fonds monétaire international, la croissance a remis la marche avant, à 3,6 %, en 2023, d’après Rosstat. Elle a été boostée par la guerre elle-même, notamment les secteurs de l’industrie de la défense, ce qui a permis de faire baisser le taux de chômage et d’augmenter les salaires.

« Il n’y a aucune raison d’attendre l’effondrement de l’économie de la Russie, elle peut continuer à financer son opération spéciale étant donné que le budget fédéral devrait être stable en 2024 », établit ainsi une analyste économique russe. Moscou a donc le budget pour financer sa guerre face à l’Ukraine pour encore quelques années. Mais après ? « A la fin de l’opération militaire spéciale, il y aura un changement de cadre, beaucoup de gens vont démissionner [du secteur militaro-industriel] ; il y aura des correctifs économiques mais on ne peut pas prévoir un effondrement », assure encore la spécialiste.

Et après Poutine ?

« Le régime actuel bénéficie donc, à moyen terme, de perspectives stables », sans facteur de renversement, selon le journaliste russe. Il y a néanmoins quelques lueurs d’espoir pour les anti-Poutine, surtout sur le temps long. Avec une problématique qui pourrait jouer en défaveur du chef d’Etat : le déficit démographique de la fédération. « Il y aura de moins en moins de monde, et donc de moins en moins de main-d’œuvre qualifiée », prédit le journaliste. Un défaut qui empire avec la perte de centaines de milliers d’hommes dans le conflit en Ukraine.

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L’après Poutine reste compliqué à appréhender, voire impossible à l'heure actuelle. « Cela dépendra de la façon et du moment où ça se passera », affirme Cécile Vaissié. La seule certitude, c’est que ce moment « n’est pas clair du tout, abonde Carole Grimaud. Cette période pourrait même être plus dangereuse que la situation actuelle », ajoute-t-elle. En attendant, Vladimir Poutine est dans les starting-blocks pour un nouveau mandat. Probablement pas son dernier, puisqu'il a fait voter une loi l'autorisant à être élu pour deux mandats supplémentaires. Le chef d'Etat de 71 ans pourrait ainsi rester à la tête du Kremlin au moins jusqu'en 2036, à condition que son état de santé, objet de nombreuses rumeurs, lui permette. En dehors d'une mort naturelle, Vladimir Poutine semble donc indélogeable. D'ailleurs, « quand on regarde en arrière, fait remarquer Carole Grimaud, ni Lénine, ni Staline, ni aucun dirigeant soviétique n’a été assassiné ».

* L’ensemble des intervenants a requis l’anonymat

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