La junte militaire en Birmanie a confirmé avoir mené une frappe aérienne qui a fait, mardi 11 avril, des dizaines de morts dans un village du centre du pays. L’attaque a été immédiatement condamnée par la communauté internationale.
Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit « horrifié », et l’organisation mondiale a demandé que les responsables soient traduits en justice. « Il semble que des enfants qui dansaient, ainsi que d’autres civils, lors de la cérémonie d’ouverture d’un centre du village de Pazi Gyi, dans le district de Kanbalu, fassent partie des victimes », a déclaré M. Türk dans un communiqué.
Au moins cent morts et des dizaines de blessés ont été signalés par BBC Burmese, The Irrawaddy et Radio Free Asia. Un homme qui a travaillé avec le personnel de secours dans le village a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP), sous le couvert de l’anonymat que des restes humains jonchaient le secteur de l’attaque et a estimé que le nombre de victimes devrait s’établir au-delà de cent vingt.
« Il y avait une cérémonie d’ouverture d’un bureau de la Force de défense du peuple [PDF], (…) [mardi] matin vers 8 heures dans le village de Pazi Gyi. Nous avons attaqué cet endroit », a confirmé le porte-parole de la junte, Zaw Min Tun. Selon lui, certains morts étaient des combattants en uniforme défavorables au coup d’Etat, et il a reconnu qu’« il pourrait y avoir des personnes portant des vêtements civils », mais sans donner de bilan. « D’après les informations que nous avons obtenues sur le terrain, les personnes tuées ne l’ont pas été uniquement à cause de notre attaque. Il y avait des mines enfouies par les PDF autour de cette zone », a-t-il déclaré.
« Mépris »
Washington s’est dit « profondément préoccupé » par ces attaques, qui « soulignent une fois de plus le mépris du régime pour la vie humaine et sa responsabilité dans la terrible crise politique et humanitaire qui sévit en Birmanie depuis le coup d’Etat de février 2021 », a déclaré dans un communiqué le porte-parole du département d’Etat, Vedant Patel. « Les Etats-Unis appellent le régime birman à cesser ces violences atroces, à permettre un accès humanitaire sans entrave et à respecter les véritables aspirations démocratiques et inclusives du peuple birman », a-t-il ajouté.
M. Türk a accusé l’armée birmane d’avoir une fois de plus ignoré « les obligations juridiques claires (…) de protéger les civils dans la conduite des hostilités » et d’avoir fait preuve d’un « mépris flagrant pour les règles du droit international qui s’y rapportent ».
Dans un tweet, le ministère des affaires étrangères allemand a également condamné mardi soir « le raid aérien de l’armée birmane qui a tué des dizaines de civils, dont des enfants ». « Nous exigeons que le régime cesse toute violence contre la population immédiatement », a ajouté le texte.
« La France condamne avec la plus grande fermeté l’attaque abominable commise hier par les forces armées birmanes dans le village de Pazi Gyi », a déclaré le ministère des affaires étrangères français, dans un communiqué.
« Alors que les habitants de Birmanie célèbrent le Nouvel An, l’UE est profondément choquée par les informations faisant état des dernières atrocités commises par le régime militaire à Sagaing, qui ont coûté la vie à des dizaines de civils innocents », a déclaré, pour sa part, Nabila Massrali, porte-parole de l’Union européenne pour les affaires étrangères.
« Cela renforce le climat de peur. Il y aura plus de réticences pour organiser des événements de masse de quelque nature que ce soit, au vu du risque de bombardements », a dénoncé auprès de l’AFP Phil Robertson, directeur adjoint pour l’Asie de l’organisation Human Rights Watch.
Le gouvernement d’unité nationale (NUG), un organe fondé par d’anciens députés – pour beaucoup en exil – du parti d’Aung San Suu Kyi et qui fédère un parti de l’opposition à la junte, a dénoncé un « nouvel exemple de l’usage aveugle de la force extrême contre des civils innocents ».
Un pays déchiré depuis le coup d’Etat
La région de Sagaing, proche de Mandalay, la deuxième ville du pays, oppose une farouche résistance à la junte, et d’intenses combats s’y déroulent depuis des mois. Le haut-commissaire de l’ONU a estimé qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire que l’armée et les milices qui lui sont affiliées sont responsables d’un large éventail de violations des droits humains et d’abus depuis le 1er février 2021 ».
La Birmanie est déchirée par un violent conflit entre la junte et ses opposants depuis le coup d’Etat survenu à cette date. L’armée birmane mise sur son avantage aérien, grâce à ses jets fabriqués en Russie et en Chine, pour compenser ses difficultés sur le terrain face à des groupes rebelles qui contrôlent des parties du pays. Les Nations unies ont compté plus de trois cents frappes aériennes en 2022, ainsi que plusieurs incidents comprenant des victimes civiles.
Selon l’Institut international d’études stratégiques, qui surveille le conflit, l’armée a mené 689 bombardements et attaques aux drones depuis le coup d’Etat. Des groupes de défense des droits humains ont appelé la communauté internationale à restreindre davantage l’accès de la Birmanie au carburant d’aviation à la suite de l’attaque.
Mais l’analyste de sécurité basé à Bangkok, Anthony Davis, a indiqué à l’AFP qu’une telle demande n’était pas réaliste. « La Russie est un allié ferme de la junte et l’un des plus grands exportateurs de pétrole au monde. Croyons-nous sérieusement que Moscou va simplement regarder l’armée de l’air birmane être lentement clouée au sol par manque de carburant d’aviation ? », a-t-il commenté.
Le chef de la junte, Min Aung Hlaing, a conditionné la tenue d’élections qu’il promet depuis sa prise de pouvoir au retour de la « paix et de la stabilité » dans le pays. La junte a reconnu en février qu’un tiers de la Birmanie échappait à son contrôle. Une organisation locale de surveillance des droits de l’homme a évoqué plus de 3 200 tués depuis le putsch, quand l’armée en a compté plus de 5 000, qu’elle attribue à ses opposants.
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