Le 12 janvier, les plus proches collaborateurs d'Emmanuel Macron se réunissent autour de lui pour peaufiner les derniers arbitrages. Dans quatre jours, le chef de l'État donnera une grande conférence de presse. Un chiffre, alors inconnu du grand public, l'alerte tout particulièrement. La natalité chute de 6,6 % en 2023, année durant laquelle 678 000 bébés sont nés en France, soit le nombre le plus faible depuis 1946. L'Insee publiera ces données le matin même du grand oral présidentiel. Il faut donc avoir une réponse politique immédiate. Autour de la table, il n'y a pas vraiment de débat. « L'infertilité est un "beau sujet" qui mérite d'être traité au niveau présidentiel », dixit un participant. Mardi soir, dans la salle des fêtes de l'Élysée, le président annonce la mise en place d'un congé de naissance de six mois, mieux rémunéré que l'actuel congé parentalité, mais aussi un « grand plan » sur l'infertilité, qu'il qualifie de « tabou du siècle ». C'est la première fois qu'Emmanuel Macron, pas le plus volontariste sur les questions sociétales, s'empare de ce thème.
Mais son propos reste très général. Un grand plan infertilité, cela veut tout et rien dire. Que veut-il faire concrètement ? En réalité, l'Élysée travaille déjà sur plusieurs pistes. Selon nos informations, l'exécutif voudrait généraliser un examen gynécologique pour les femmes et un spermogramme pour les hommes, pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale, à 25 ans, soit l'âge où les femmes sont le plus fertiles. « On veut créer un effet signal pour dire aux jeunes "ne vous posez pas la question à 35 ans" », détaille-t-on dans l'entourage d'Emmanuel Macron. Le futur plan infertilité prévoit aussi le renforcement de la lutte contre les perturbateurs endocriniens, le développement de la recherche sur la procréation médicalement assistée (PMA) ou encore l'ouverture de 100 000 places en crèche ou chez des assistantes maternelles d'ici à 2027. L'idée de disposer de jours de congé pour les couples qui sont dans un parcours PMA, comme certaines entreprises ont commencé à le faire, va aussi être « expertisée ». Exit en tout cas toute politique fiscale ou sociale incitative. « Les gens ne vont pas faire des enfants pour avoir 50 euros d'aides de plus », évacue-t-on à l'Élysée.
Derrière cette nouvelle ambition, il y a une femme, Constance Bensussan, qui est arrivée début décembre à l'Élysée au poste de secrétaire générale adjointe. Durant le premier quinquennat Macron, elle était conseillère solidarités à l'Élysée et à Matignon, avant de devenir en 2022 directrice de cabinet de Jean-Christophe Combe puis d'Aurore Bergé au ministère des Solidarités et des Familles. C'est elle qui pousse le président à parler publiquement d'infertilité.
Cela fait quelques mois que plusieurs « signaux faibles » reviennent à l'Élysée sur deux sujets préoccupants pour les parents ou ceux qui aspirent à l'être : la lutte contre les écrans et l'infertilité. Ça tombe bien, Emmanuel Macron cherche à s'emparer de ces objets très concernants mais relativement absents du débat public. Quel responsable politique parle d'infertilité ? Pourtant, un couple sur quatre rencontre désormais des difficultés pour avoir un enfant, soit potentiellement plus de 3 millions de personnes en France. Un enfant sur trente est aujourd'hui conçu par PMA, soit un enfant par classe en moyenne.
Cette fois, il n'y a aura pas de grande commission sur le sujet. Car tout ce travail a déjà été fait. Au printemps 2021, le cabinet d'Emmanuel Macron avait plusieurs fois reçu à l'Élysée Salomé Berlioux, jeune entrepreneuse sociale autrice d'un roman sur l'infertilité, La Peau des pêches (Stock). Le président avait alors directement échangé par texto avec elle. À l'hiver 2022, le ministre de la Santé Olivier Véran et celui de l'Enfance Adrien Taquet l'avaient missionnée, avec le professeur Samir Hamamah, spécialiste de la question, pour rendre un rapport sur le sujet. Mais comme c'est souvent le cas pour les rapports, ces 137 pages très fournies sont restées dans un placard, la campagne présidentielle de 2022 ayant pris le pas sur le reste. Le document va aujourd'hui être dépoussiéré, même si l'exécutif ne compte pas reprendre comptant les 21 propositions qui y sont faites, parmi lesquelles la création d'un grand institut consacré à l'infertilité ou encore la mise en place d'un logo « repro-toxique » sur les produits, sur le même modèle que le Nutri-Score.
Deux membres du gouvernement alimentent aussi le président en notes sur le sujet : les trentenaires Prisca Thévenot et Aurore Bergé, respectivement porte-parole et ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Il y a enfin ce document de 47 pages fourni par le haut-commissaire au Plan François Bayrou en mai 2021, baptisé « Démographie : la clé pour préserver notre modèle social », qui reprend les préceptes les plus classiques d'une politique nataliste (prestations familiales, accompagnement de la petite enfance...). Le texte a été « transmis et regardé », dit-on sans grand enthousiasme à l'Élysée.
Depuis l'annonce d'Emmanuel Macron, Samir Hamamah s'impatiente. « Les mesures sont là. Il y a le feu à la maison. Les crapauds disparaissent, les plantes disparaissent et à ce rythme-là l'être humain disparaîtra aussi. Ce sujet doit être une communion, plaide-t-il, il ne peut pas être de gauche ou de droite. » Mais la question de l'infertilité est en réalité tout sauf consensuelle puisqu'elle touche à l'intime et soulève un nombre incalculable de questions éthiques, philosophiques, démographiques et, donc, forcément politiques. Et si le réarmement démographique passait par l'immigration ? L'extrême droite utilise au contraire la baisse de la natalité pour alimenter sa fameuse théorie du grand remplacement. « Face à des gens qui nous expliquent qu'il y a de moins en moins de petits Français et de plus en plus d'immigrés, nous devons assumer ce débat », estime un membre du gouvernement.
Tous les éléments sont réunis pour qu'il soit passionnel et éruptif. D'autant plus que les mots choisis par Emmanuel Macron pour en parler ne sont pas banals. En utilisant le lexique guerrier du « réarmement démographique », le président a fait l'unanimité contre lui parmi les associations féministes et la gauche, qui font le parallèle avec la série américaine The Handmaid's Tale, qui évoque une société totalitaire au faible taux de natalité où les femmes sont réduites au rôle de procréatrices.
À l'Élysée, on ne comprend pas le problème. « On parle de la nation, il n'y a pas d'injonction individuelle ; l'idée n'est pas de dire aux gens de faire des enfants mais d'accompagner ceux qui ne peuvent pas en avoir », répond un conseiller, citant deux chiffres : le taux de fécondité est de 1,8 enfant par femme alors que le désir d'enfant est de 2,3 enfants par couple. Ce sont ces hommes et ces femmes qui ne parviennent pas à avoir un enfant qui seraient visés. « On ne va obliger personne à faire des enfants, maintient Aurore Bergé. Mais, oui, on considère que l'infertilité est un fait politique et un enjeu de santé publique. »
Est-ce seulement possible d'apporter une réponse politique, pratico-pratique à un problème qui, par définition, relève d'abord de l'intime mais aussi de la liberté individuelle ? Le président marche sur une ligne de crête. Comment endiguer la baisse de la natalité sans avoir l'air de donner l'injonction aux femmes de procréer ? « Emmanuel Macron, l'homme moderne qui n'a pas eu d'enfant et nous demande de faire des gosses..., soupire le porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, Arthur Delaporte, 32 ans. Son injonction nataliste va à l'encontre de tous les discours progressistes depuis vingt ans. Le risque de la parade conservatrice et virile, c'est celui de l'impuissance. »
Décidément, Emmanuel Macron a du talent pour s'attirer les foudres
féministes. En s'emparant avec ses gros sabots de la question démographique, il a de nouveau montré son ignorance des combats des femmes. Le socle de leur émancipation est, d'abord, le droit de disposer de leur corps et le refus de l'assignation à la production d'enfants. Des enfants quand je veux, si je veux. Annoncer le « réarmement démographique» du pays comme s'il s'agissait de l'achat de nouveaux porte-avions est indécent et contre-productif. Dans un discours principalement consacré à la restauration de l'ordre, la préoccupation nataliste ne peut être perçue que comme morale et intrusive. L'obsession nataliste s'accompagne toujours de la nostalgie d'un modèle familial organisé sur la hiérarchie des sexes et d'une hostilité militante aux droits sexuels et reproductifs. C'est un marqueur des droites. Dans un propos principalement destiné aux conservateurs, il provoque trois évocations: le déclinisme, le « grand remplacement » qu'il valide en présentant une alternative et la réassignation des femmes à leur fonction naturelle. Si les femmes font moins d'enfants, c'est leur choix, et les raisons ne manquent pas. Le prix de la fameuse conciliation de la vie familiale et professionnelle est trop cher. Dans les cinq ans qui suivent une naissance, elles perdent en moyenne 25% de leurs revenus. La répartition des tâches familiales progresse peu. La charge mentale est lourde. Et elles savent qu'elles peuvent à tout moment se retrouver seules à élever leurs enfants. Notre problème n'est pas la natalité, mais la condition sociale des femmes. Tant que la maternité demeurera un facteur majeur d'inégalité entre les sexes, il sera vain de compter sur les femmes pour le « réarmement démographique».