Les élections législatives organisées par le président Kaïs Saïed samedi 17 décembre viennent d’enregistrer le plus faible taux de participation de l’histoire récente du pays : seulement 8,8 % du corps électoral s’est rendu aux urnes, révélait peu après la fermeture des bureaux de vote Farouk Bouasker, le président de la commission électorale. Ce qui ne l’empêchait pas de se féliciter de la tenue de ces élections, rapporte le site Africanews.

“De mon point de vue, la raison [de cette très faible participation] est claire. C’est un changement dans le système de scrutin et l’absence de financement des campagnes électorales. Pour la première fois, il y a eu des élections propres et une campagne électorale propre, exempte des financements politiques qui permettaient d’acheter les votes”, a notamment soutenu Farouk Bouasker.

Étonnant satisfecit que ne partage pas l’opposition, qui avait d’ailleurs appelé au boycott de ces élections. Ahmed Nejib Chebbi, le leader du Front de salut national (FSN), la coalition regroupant les partis et mouvements politiques qui entendent résister au “coup d’État” du président Kaïs Saïed, a aussitôt déclaré :

“La commission électorale dit que la participation est de 8,8 %. Nous disons que c’est un séisme de 8,8 sur l’échelle de Richter.”

“Depuis ce matin, très peu de gens se sont déplacés, constataient les journalistes d’Al-Jazeera au cours de la journée. Il y a plus de personnel de sécurité que d’électeurs dans les bureaux de vote.” Ces élections législatives constituaient le “dernier tournant de l’épineuse saga politique de la Tunisie”, alors que l’organisation d’élections libres et équitables à la suite de la destitution du président Ben Ali, en 2011 avait été saluée comme une rare réussite du Printemps arabe, rappelle le site d’information.

“Pour les Tunisiens, ces élections sont une imposture”

Mais depuis, la Tunisie a été confrontée à une série de crises à la fois sécuritaires, politiques et économiques, “le vote de samedi intervenant au milieu de manifestations et après des mois de pénuries alimentaires qui ont mis en évidence des inégalités béantes au sein d’une population de près de 12 millions d’habitants”.

Monica Marks, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de New York à Abu Dhabi, explique :

Les Tunisiens pensent que l’élection est une imposture et qu’ils ont perdu le contrôle du processus, mais ils sont tellement concentrés sur les biens de première nécessité qu’ils n’ont pas l’énergie de sortir dans la rue et de faire une autre révolution.”

Le scrutin de samedi a été précédé par trois semaines d’une campagne électorale plus que discrète, “avec peu d’affiches dans les rues et aucun débat sérieux au sein d’une population largement préoccupée par les difficultés économiques”, rapporte le Jordan Times.

De plus, alors que le Parlement précédent disposait de pouvoirs étendus, les candidats élus au scrutin de samedi “ne pourront ni nommer un gouvernement ni le censurer, sauf dans des conditions draconiennes quasi impossibles à respecter”, explique le politologue Hamadi Redissi. Comme toutes les lois depuis juillet 2021, la nouvelle loi électorale a été promulguée par décret, souligne The New York Times. Elle neutralise les partis politiques en obligeant les candidats à se présenter à titre individuel dans chaque circonscription. “Et même une assemblée pleine d’opposants politiques serait largement impuissante, car la nouvelle Constitution augmente considérablement le pouvoir du président, réduisant le Parlement à un rôle consultatif.”

“Je n’ai plus d’espoir”

“Ce qui se passe n’est qu’une mascarade. Nous ne pouvons pas appeler cela des élections”, déclare au quotidien américain Haifa Homri, 24 ans, étudiante en droit qui avait soutenu M. Saïed lors de son élection, en 2019. “Je n’ai plus d’espoir”, confiait de son côté samedi au Guardian Lamia Kamoun, une électrice qui hésitait à aller voter.

“J’avais foi dans ce pays, mais plus maintenant. Les choses ont trop empiré.”

Les premiers résultats devraient être publiés lundi 19 décembre, mais sans attendre l’opposition a appelé Kaïs Saïed à démissionner, rapporte le correspondant du quotidien britannique. “À partir de ce moment, nous considérons que Saïed est un président illégitime et nous exigeons qu’il démissionne après ce fiasco”, a déclaré Ahmed Nejib Chebbi. Le Front de salut national a également invité la population à organiser des “manifestations et des sit-in massifs” pour exiger une nouvelle élection présidentielle.