En Europe, des voix pro-palestiniennes «réprimées»

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Conflit entre Israël et le HamasEn Europe, des voix pro-palestiniennes «réprimées»

En France, manifestations pro-palestiniennes prohibées, conférences annulées et, dernièrement, convocation policière de deux responsables politiques, de gauche radicale, pour «apologie du terrorisme».

Lors d'une manifestation appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, place de la République, à Paris, le 9 mars 2024.

Lors d'une manifestation appelant à un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza, place de la République, à Paris, le 9 mars 2024.

AFP

Évènements annulés, intellectuels et militants inquiétés… Plusieurs ONG interrogées par l’AFP s’inquiètent d’une «répression» des voix pro-palestiniennes en Europe, dans un climat de polarisation extrême des opinions sur le conflit entre Israël et le Hamas. «Les lois contre les discours de haine et les lois antiterroristes sont instrumentalisées pour s’attaquer» aux propos pro-palestiniens, pourtant «légitimes selon les normes internationales», dénonce Julia Hall, chercheuse d’Amnesty international.

L’Europe a connu «une avalanche d’annulations et de ciblages de manifestants pacifiques, d’universitaires, de toute personne qui est fondamentalement solidaire des droits de l’Homme des Palestiniens ou qui critique l’Etat d’Israël». L’assaut sanglant du Hamas, le 7 octobre, contre Israël et la guerre dévastatrice de représailles d’Israël à Gaza ont exacerbé le débat autour du conflit du Proche-Orient et attisé les rancœurs entre deux camps irréconciliables.

Dans ce climat tendu, les voix pro-palestiniennes sont souvent accusées de complaisance vis-à-vis du Hamas, d’antisionisme virulent, voire d’antisémitisme. Des dérapages constatés lors de manifestations pro-palestiniennes, et l’ambiguïté historique d’une partie de la gauche radicale, qui a qualifié les attaques du Hamas d’acte de «résistance», alimentent ces accusations.

«Mesures disproportionnées»

Le débat est omniprésent aux Etats-Unis, où, en pleine campagne présidentielle, des centaines d’étudiants ont été arrêtés dans des campus qu’ils occupent pour dénoncer le soutien militaire américain à Israël et la catastrophe humanitaire à Gaza.

Dans l’UE, au moins douze Etats ont «pris des mesures disproportionnées, y compris l’interdiction de manifestations sur la base d’un risque apparent pour ‹l’ordre public› et la ‹sécurité›», pointe un rapport du Forum civique européen (ECF), basé à Bruxelles. Une «répression de la solidarité pro-palestinienne» qui s’explique par le «soutien massif» de l’Europe à Israël, lié à la Shoah, estime Aarti Narsee, de l’ECF.

En France, pays européen comptant les plus grandes communautés juive et musulmane, où les autorités redoutent une importation du conflit, les mesures se sont multipliées: manifestations pro-palestiniennes prohibées, conférences annulées et, dernièrement, convocation policière de deux responsables politiques de gauche radicale pour «apologie du terrorisme».

En Allemagne, l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis s’est vu interdire d’entrée, mi-avril, «afin d’empêcher toute propagande antisémite et anti-israélienne», selon les autorités allemandes. La police a fermé le «Congrès palestinien» auquel il devait participer à Berlin, une heure après son ouverture. Le Grec est également ciblé en Autriche, comme la prix Nobel française de littérature Annie Ernaux, par le président conservateur du Parlement Wolfgang Sobotka, qui demande le retrait de leur invitation au «Wiener Festwochen».

Qualifier l’écrivaine d’«antisémite» pour sa critique d’Israël est «aussi absurde» que la juger «francophobe» parce qu’elle critique son propre gouvernement, a réagi le directeur artistique du festival, Milo Rau, qui refuse de s’exécuter.

«Raison d’Etat»

Le nombre d’actes antisémites a été multiplié par 5 en Autriche, après le 7 octobre. Ils ont également «explosé» en France, selon les autorités. Mais invoquer la lutte contre l’antisémitisme pour museler des critiques du gouvernement israélien a d’autant moins de «sens» que celles-ci émanent parfois d’opposants juifs, dénonce Julia Hall, d’Amnesty.

En octobre, la psychothérapeute Iris Hefets a été arrêtée à Berlin pour une pancarte: «En tant que juive et israélienne, arrêtez le génocide à Gaza». Toujours en Allemagne, Judische Stimme, une association juive dénonçant «la coopération allemande» avec «l’apartheid politique de l’Etat d’Israël en Cisjordanie», affirme avoir eu ses comptes gelés.

Alors que Berlin se défendait début avril devant la Cour internationale de justice contre le Nicaragua, qui l’accuse de faciliter un «génocide» à Gaza, le quotidien berlinois TAZ (gauche) a fustigé «la censure et la violence» contre le congrès interrompu à Berlin. «L’Allemagne a déclaré que sa solidarité sans restriction avec Israël était une raison d’État», analyse le TAZ.

Le Centre de soutien juridique européen (ELSC), aux Pays-Bas, avait dénombré en Europe, entre octobre 2022 et octobre 2023, 310 «actes de répression» contre des manifestations ou personnalités pro-palestiniennes - «actions judiciaires», «harcèlement», «annulations d’évènements»... Un chiffre qui a plus que doublé du 7 octobre à mars dernier, avec 836 actes recensés. Et «ce n’est que le sommet de l’iceberg», affirme à l’AFP Layla Katterman, de l’ELSC.

En France, les autorités ont mis en place «un dispositif administrativo-judiciaire» visant «les personnes s’exprimant en soutien aux Palestiniens», mais pas celles «soutenant Israël», observe pour sa part l’avocat Arié Alimi, membre de la Ligue des droits de l’homme. Une situation que l’auteur de «Juif, Français, de gauche... dans le désordre» juge «regrettable». Car «les luttes antiracistes et les causes humanistes doivent toujours rester indivisibles.»

(afp)

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