Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Quels sont les liens de Marine Le Pen avec la Russie de Vladimir Poutine ?

Déclarations, voyages, soutiens, financements… Marine Le Pen et le Rassemblement national entretiennent des liens étroits avec le régime russe, qu’ils tentent de minimiser depuis l’invasion de l’Ukraine.

Par  et

Publié le 20 avril 2022 à 10h49, modifié le 20 avril 2022 à 20h48

Temps de Lecture 7 min.

Read in English
Marine Le Pen et le président russe, Vladimir Poutine, au Kremlin, à Moscou, le 24 mars 2017.

A la veille de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen s’était rendue à Moscou pour serrer la main de Vladimir Poutine, dans une scène aux allures d’adoubement politique. Cinq ans plus tard, la candidate du Rassemblement national (RN) a singulièrement changé de ton à l’égard du maître du Kremlin, qui a entre-temps envahi l’Ukraine :

« Je n’ai pas de lien d’amitié avec Vladimir Poutine, que j’ai rencontré une fois dans ma vie, je n’ai même pas de liens financiers avec lui. »

Une tentative d’occulter une décennie de proximité politique, idéologique et financière entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine.

De multiples déclarations de soutien ou d’admiration

Depuis son accession en janvier 2011 à la présidence du Front national (FN) – renommé Rassemblement national en 2018 –, Marine Le Pen a clamé à de multiples reprises son admiration pour Vladimir Poutine et son soutien à sa politique, en dépit des multiples violations des droits humains et du droit international de la part du régime russe. Elle n’a commencé à véritablement infléchir sa position qu’après l’invasion de l’Ukraine, en février 2022.

13 octobre 2011

« Je ne cache pas que, dans une certaine mesure, j'admire Vladimir Poutine. (...) Nous devons développer des relations avec Moscou, nous partageons de nombreux intérêts communs, tant sur le plan civilisationnel que stratégique »

(interview au journal russe Kommersant)

Mars 2014

La Russie annexe la Crimée, après l'intervention militaire de séparatistes prorusses et un référendum contesté avalisant le rattachement de la péninsule à la fédération russe.

30 septembre 2015

Vladimir Poutine intervient en Syrie. Si Moscou assure viser des membres du groupe Etat islamique, les Occidentaux soupçonnent l'armée russe de cibler surtout les opposants à Bachar Al-Assad. Le même jour, la France ouvre une enquête pour « crime contre l'humanité » visant les actes de torture commis par le régime Assad.

1er octobre 2015

« Ces doutes exprimés sur les frappes russes, de la même manière que l'enquête lancée en France, participent de la décrédibilisation de l'action menée par Vladimir Poutine. La France aurait dû faire ce que la Russie est en train de faire. »

(interview sur Europe 1)

3 janvier 2017

« Je ne crois absolument pas qu'il y a eu une annexion illégale de la Crimée : il y a eu un référendum, les habitants souhaitaient rejoindre la Russie »

(interview sur BFMTV)

24 mars 2017

Vladimir Poutine reçoit pour la première fois Marine Le Pen au Kremlin.

2 février 2021

L'opposant russe Alexeï Navalny est condamné à trois ans et demi de prison : la justice lui reproche d'avoir violé son contrôle judiciaire, alors qu'il est parti se soigner en Allemagne après son empoisonnement au Novitchok par une équipe d'agents secrets russes.

5 février 2021

« On va avoir du mal à demander à la justice d'un pays étranger d'opérer la relaxe de quelqu'un [Alexeï Navalny]. En revanche, je demande à la Russie d'être attentive aux droits de la défense de M. Navalny, qui a été jugé pour avoir été à l'encontre de son contrôle judiciaire (...) Donc tout ça n'a pas grand chose à voir avec la politique. »

(interview sur BFMTV/RMC)

8 février 2022

« Je ne crois pas du tout que la Russie ait le souhait d'envahir l'Ukraine. »

(interview sur BBC News)

21 février 2022

Vladimir Poutine reconnaît l'indépendance des républiques séparatistes pro-russes du Donbass.

21 février 2022

« La décision de Vladimir Poutine est un acte éminemment regrettable qui ne participe pas à la nécessaire désescalade des tensions que j’appelle de mes vœux (...) Néanmoins, tout doit être fait pour retrouver la voie du dialogue afin d’assurer la paix en Europe. »

(communiqué)

24 février 2022

L'armée russe envahit l'Ukraine.

25 février 2022

« Tout le monde a une forme d'admiration pour Vladimir Poutine. Mais je considère que ce qu'il a fait est éminemment condamnable, ça change en partie la vision que je peux avoir de lui. »

(interview sur BFMTV)

22 mars 2022

« Je n'ai pas de lien d'amitié avec Vladimir Poutine que j'ai rencontré une fois dans ma vie, je n'ai même pas de liens financiers avec lui. »

(interview sur BFMTV)

Des voyages à Moscou et une réception officielle

La présidente du RN s’est rendue au moins à quatre reprises en Russie depuis 2013, en recevant à chaque fois les honneurs du régime.

  • Juin 2013 : reçue à la Douma dès son premier voyage attesté en Russie
Marine Le Pen reçue par le président de la Douma, à Moscou, le 19 juin 2013.

Un an après sa première candidature à l’élection présidentielle, Marine Le Pen fait un voyage de dix jours en Crimée (encore ukrainienne à l’époque) et en Russie. A Moscou, avec Louis Aliot (alors vice-président du FN), elle est reçue par deux figures importantes de la Douma, la chambre basse du Parlement russe : son président, Sergueï Narychkine, un ancien du KGB/FSB, et le président du comité des affaires internationales, Alexeï Pouchkov. Durant cette visite, elle dénonce « une sorte de guerre froide contre la Russie menée par l’Union européenne [UE] ». « La Russie est présentée sous des traits diabolisés (…). Je me sens plus en phase avec ce modèle de patriotisme économique qu’avec celui de l’UE », insiste-t-elle devant les caméras.

  • Avril 2014 : deuxième visite en Russie, elle est reçue à nouveau à la Douma

Quelques semaines après l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et moins d’un an après sa dernière visite à Moscou, Marine Le Pen est de nouveau reçue à bras ouverts par Sergueï Narychkine. Ce proche de Poutine, propulsé au sommet du pouvoir grâce à ses liens étroits avec le président russe, est lui-même visé par les sanctions de l’UE et des Etats-Unis depuis l’annexion de la péninsule ukrainienne. L’occasion pour la présidente du RN de lui apporter son soutien et de lui rappeler son opposition à de telles mesures :

« J’ai dit dès le début que les sanctions et même les menaces de sanctions (…) étaient tout à fait contre-productives. Je le maintiens. »

  • Mai 2015 : troisième voyage à Moscou, toujours accueillie à la Douma
Marine Le Pen devant la Douma, à Moscou, avant une rencontre avec Sergueï Narychkine, le 26 mai 2015.

Pour la troisième année consécutive, Marine Le Pen est reçue par Sergueï Narychkine à la Douma. Ce dernier complimente longuement la députée européenne d’extrême droite, qualifiant le FN de formation politique « stable et persistante ». « Grâce à votre influence personnelle, les définitions nouvelles de votre parti correspondent au temps et à l’esprit de la France moderne », ajoute ce proche de Vladimir Poutine.

« Ce traitement, Moscou ne l’accorde pas à tout le monde, rappelait la correspondante du Monde à l’époque. Deux jours auparavant, Karl-Georg Wellmann, député de la CDU, le parti conservateur d’Angela Merkel, s’était vu refouler du territoire à son arrivée le 24 mai à l’aéroport de Moscou en raison de ses liens avec l’Ukraine, dont il préside le groupe d’amitié au Bundestag. »

  • 24 mars 2017 : une première réception officielle par Vladimir Poutine
Marine Le Pen reçue par Vladimir Poutine au Kremlin, le 24 mars 2017.

Moins de quatre semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2017, la candidate du RN se rend pour la quatrième fois en cinq ans à Moscou, où les portes du Kremlin lui sont désormais ouvertes.

Vladimir Poutine, pour qui elle n’a jamais caché son admiration, la reçoit pendant une heure et demie. Devant les photographes, ils échangent une poignée de main chaleureuse et s’assoient autour d’une même table. « Je sais que vous représentez un spectre politique en Europe qui croît rapidement », lui glisse le président russe.

« Nous ne voulons en aucune façon influencer les événements en cours », lance Vladimir Poutine, anticipant les accusations d’ingérence dans la campagne présidentielle. Selon l’équipe de Marine Le Pen, la réunion était avant tout destinée à mettre en avant les convergences de vue, notamment sur la lutte contre le terrorisme et la crise migratoire qui touchait alors l’Europe. Se disant « entièrement d’accord » avec la candidate française sur ces questions, il assure que « c’est seulement en combinant nos efforts que nous pourrons effectivement faire face à la menace terroriste ».

Lors de ce voyage, Marine Le Pen fait également un crochet à la Douma, où elle est reçue par son nouveau président, Viatcheslav Volodine, lui aussi proche du président russe. Elle y salue l’intervention des forces russes en Syrie et réitère son « point de vue sur l’Ukraine qui coïncide avec celui de la Russie », réaffirmant sa volonté de faire lever les sanctions internationales qui pèsent sur des personnalités russes.

Des votes systématiquement favorables à la Russie

Le soutien du RN et de Marine Le Pen à Vladimir Poutine va au-delà des mots. Par l’intermédiaire de ses députés européens, le parti d’extrême droite a presque systématiquement défendu le régime russe en votant contre les résolutions du Parlement européen qui condamnaient les actions belliqueuses ou les violations du droit international commises par le maître du Kremlin.

Le Monde
-50% sur toutes nos offres
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 11,99 € 5,99 €/mois pendant 1 an.
S’abonner

Les élus RN n’ont commencé à infléchir leur position qu’après l’invasion de l’Ukraine, en consentant à approuver, le 1er mars 2022, l’un des paquets de sanctions décidés par l’UE.

Les principaux votes des eurodéputés RN relatifs à la Russie

Votes : Contre Abstention Absent Pour
? Cliquez sur une ligne pour voir le détail
Sources : Parlement européen et MEP Watch.

Des proches aux liens étroits avec la Russie

Comme son père, Marine Le Pen a toujours compté dans son entourage proche des personnalités russophiles aux liens étroits avec le pouvoir russe. Entre 2010 et 2015, son conseiller en politique internationale, le géopolitologue Aymeric Chauprade, multipliait les rencontres avec des proches de Vladimir Poutine. S’il a aujourd’hui rompu avec le RN, sa proximité avec le Kremlin a été confirmée en 2019, avec l’embauche comme collaboratrice parlementaire stagiaire d’Elizaveta Peskova, la fille du porte-parole du président russe.

En 2014, Marine Le Pen s’était appuyée sur Jean-Luc Schaffhauser, consultant international bien introduit en Russie et eurodéputé FN, pour obtenir un financement auprès d’une banque russe.

Aujourd’hui, l’homme-clé des relations entre le RN et la Russie est l’eurodéputé Thierry Mariani, un ancien ministre de Nicolas Sarkozy que Marine Le Pen songe à nommer ministre en cas de victoire. Poutinophile assumé, Thierry Mariani joue depuis des années les VRP du régime russe en France. La guerre en Ukraine n’a pas entamé son admiration pour Vladimir Poutine, qu’il a rencontré personnellement en 2019 : il juge l’Occident responsable de la situation ukrainienne et met en doute l’existence des crimes de guerre commis par l’armée russe.

Au Parlement européen, Thierry Mariani et ses collègues peuvent bénéficier de l’entregent de Tamara Volokhova : cette ancienne top-modèle franco-russe, qui aurait l’oreille du Kremlin, devenue conseillère politique des eurodéputés RN, a organisé ou participé à plusieurs déplacements des élus RN en Russie ou en Crimée annexée.

Des liens financiers et le soupçon de contreparties

Le RN a pu trouver en Russie un soutien financier qui lui faisait souvent défaut en France, en raison de la frilosité des banques à prêter de l’argent à l’extrême droite.

En avril 2014, le microparti de Jean-Marie Le Pen, Cotelec, a reçu un prêt de 2 millions d’euros de la part d’une obscure société offshore chypriote, Vernonsia Holdings Ltd. Si l’identité du propriétaire de cette société n’a jamais été clairement établie, Mediapart a révélé qu’elle était alimentée par des fonds russes et liée à Yuri Kudimov – un ancien agent du KGB qui a dirigé la banque d’Etat russe VTB, et qui est proche de l’influent oligarque Konstantin Malofeev. Le RN a indirectement bénéficié de ce prêt, puisqu’il a emprunté de l’argent à Cotelec pour financer la campagne présidentielle de 2017.

En 2014, le FN a aussi directement contracté un prêt auprès d’une banque russe, la First Czech Russian Bank, pour financer sa campagne pour les élections régionales et départementales de 2015. Un crédit de 9,4 millions d’euros que le parti doit rembourser jusqu’en 2028 auprès des créanciers de la banque, qui a fait faillite entre-temps.

Ces deux prêts posent question. Selon des conversations piratées de responsables du Kremlin révélées en avril 2015 par Mediapart, les intéressés se demandent comment Marine Le Pen devait être « remerciée » pour son soutien à l’annexion de la Crimée. Marine Le Pen, elle, réfute les liens entre ses positions vis-à-vis de la Russie et ces facilités financières. Elle assure n’avoir eu d’autre choix que de bénéficier de financements étrangers, en raison des difficultés à obtenir des prêts auprès des banques françaises.

Les emprunts auprès des banques non européennes étant interdits depuis 2017, Marine Le Pen s’est tournée vers la Hongrie pour financer sa campagne de 2022.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Contribuer

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.