"Je n'ai aucune réponse positive" : pourquoi une telle pénurie de logements étudiants ?

Près de 3 millions d'étudiants font leur rentrée chaque année en septembre. Le marché de la location, complètement saturé, ne permet pas de loger tout le monde. Pourquoi ?

En raison du nombre en augmentation de location sur le secteur de Mortagne, il devient compliqué de trouver un logement.
Aucune ville étudiante n’échappe à ce manque de logements (©Marjolaine Margue/Le Perche)
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Sur sa messagerie Leboncoin, Alban* compte frénétiquement ses demandes envoyées pour des logements étudiants. « 29 », nous souffle-t-il. Malgré ses presque 30 demandes via ce site, toujours aucune réponse positive. L’étudiant de 22 ans à l’INSA de Rennes (une école d’ingénieur), qui y entamera bientôt sa cinquième rentrée, désespère.

Il a fini par faire une demande pour une chambre de 9m² dans une résidence de l’école. Une solution de repli en désespoir de cause, loin d’être conforme à ses espérances. 

Le cas d’Alban n’est pas isolé. Sur les groupes Facebook d’étudiants de nombreuses grandes villes universitaires, les messages de demandes de bons plans pour des logements pleuvent, à quelques jours de la rentrée. Tous les étés désormais, c’est la même rengaine : la situation, loin de s’améliorer, empire.

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Trop d’étudiants et pas assez de logements

Le fond du problème : le manque de logements, répondent d’emblée les professionnels du secteur.

« Ce n’est pas nouveau : il n’y a pas assez de logements, or on constate une augmentation démographique du nombre d’étudiants, et notamment d’étudiants internationaux. Le nombre de constructions n’ayant pas suivi cette hausse démographique, on ne peut pas loger tout le monde », explique Philippe Campinchi, délégué général de l’AIRES (Association Interprofessionnelle des Résidences Étudiantes et Services). 

Pour le directeur de ce réseau qui rassemble des exploitants de près de 2000 résidences universitaires partout en France, les pouvoirs publics ont une responsabilité à ce niveau. « Les promesses de construction de logements n’ont pas vraiment été tenues, donc on se retrouve dans une situation où le foncier atteint des prix exorbitants, alors ça n’incite pas à la construction, puis à la location derrière. »

« Ça coince dans toutes les grandes villes universitaires de France »

Mécaniquement, avec un parc immobilier locatif insuffisant par rapport au nombre croissant d’étudiants – un peu moins de 3 millions chaque année – les loyers grimpent… « et c’est le serpent qui se mord la queue ! », ironise Eric Allouche, directeur exécutif du réseau ERA Immobilier, contacté par actu.fr.

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Moins il y a de constructions, et donc de logements en location, plus les loyers grimpent, et plus les étudiants galèrent. Ça devient le parcours du combattant pour des jeunes qui sont parfois précaires, avec des bourses insuffisantes, ou sans bourse du tout, et qui ne trouvent donc pas de toit car les loyers sont trop chers.

Eric AlloucheDirecteur exécutif d'ERA Immobilier

Les studios d’ERA Immobilier sont pris d’assaut de plus en plus tôt, « et encore plus cette année ». Le problème est flagrant à Paris et en périphérie de la capitale, notamment à Créteil, « mais ça coince dans toutes les grandes villes étudiantes de France, et particulièrement à Lyon, Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse… », énumère Eric Allouche.

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« Il faudrait échelonner la rentrée »

Une autre raison à cette pénurie de logements étudiants est à chercher du côté du calendrier universitaire.

« En France, celui-ci fonctionne sur une forte rentrée au 1ᵉʳ trimestre, dès septembre, puis le rythme décroit à partir de janvier, avec les étudiants qui partent en stages, ou à l’étranger. Donc on constate une situation d’engorgement à la rentrée en septembre. Si l’on avait un échelonnement des rentrées universitaires, on n’aurait pas cette crise. C’est assez aberrant de voir les résidences étudiantes engorgées dès le mois de juin », commente encore Philippe Campinchi.

Manque de bol pour les étudiants qui connaissent leurs affectations plus tardivement que les autres : les jeunes en classes prépa par exemple, qui ont parfois les résultats de leurs concours courant août.

Les propriétaires pas incités à louer

Si le nombre de locations est si faible, c’est aussi parce que l’investissement locatif est de moins en moins intéressant pour les propriétaires. Un problème aggravé par les obligations de rénovation énergétique que les propriétaires ont dans leurs logements.

« Les propriétaires doivent payer cher pour remettre leurs logements aux normes, donc parfois ils abandonnent et arrêtent de les louer, ou alors les vendent, donc les offres baissent encore. Ajoutez à cela les propriétaires qui préfèrent se tourner vers Airbnb pour occuper leurs logements, ou encore le fait que les investissements locatifs sont pénalisés aujourd’hui (avec plus de difficultés pour les primo-accédants d’acheter, le prêt à taux 0, des aides qui disparaissent comme le dispositif Pinel)… », constate encore Eric Allouche.

Dernier phénomène : l’approche des JO de Paris 2024. « Beaucoup de propriétaires flairent les bonnes affaires, et gonflent les loyers… », se désole le directeur exécutif d’ERA Immobilier.

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Forcément, ces freins ont pour conséquence une frilosité des propriétaires à louer leurs biens. Et d’autant plus à des étudiants, considérés comme des locataires précaires ou volatiles.

Le locataire étudiant n'est pas une cible parfaite : même s'il a des aides, des garants, pour le propriétaire, il ne restera pas longtemps dans le logement, ou risque d'abandonner ses études, donc cette instabilité ne l'incite pas.

Eric AlloucheDirecteur exécutif d'ERA Immobilier

Les deux professionnels du secteur du logement sont formels : sans augmentation du nombre de locations, les loyers ne pourront pas baisser.

Quid de l’encadrement des loyers alors ? Une fausse bonne idée, pour eux. « Ce n’est pas parce que l’on plafonne les loyers que l’on va augmenter le stock. Le vrai problème est au niveau de la quantité », répond Eric Allouche.

« L’exploitant n’a pas intérêt à avoir un loyer trop cher non plus, sinon il ne remplira pas ses logements. Mais c’est sûr que si vous avez des résidences à la Défense, le loyer sera plus cher parce que les prix sont alignés aux prix du foncier là-bas », abonde Philippe Allouche.

Des prix « délirants »

Les prix sont pourtant un critère absolu, pour les jeunes qui cherchent un toit. Alban a tout de même fini par augmenter son budget, dans l’espoir d’avoir plus de chances de tomber sur l’annonce parfaite. Alors qu’il pensait mettre 450 euros au maximum dans un studio, il a fini par faire grimper son budget à 600 euros.

Mais rien n’y fait. « Courant août, j’ai commencé à voir des offres à des tarifs délirants, 1600 euros par mois pour un pauvre T3 », ironise-t-il.

L’étudiant en école d’ingénieur partait pourtant serein dans ses recherches au début de l’été. Mais après un faux plan d’une agence, il se retrouve fin juillet sans aucune piste. Et commence alors à chercher, au pire moment. Malgré de très nombreuses demandes sur plusieurs sites de petites annonces, il n’a aucune réponse positive… et même aucune réponse du tout.

La plupart du temps, mes demandes restent lettre morte, car les propriétaires ou les agences ont déjà eu trop de messages, et les annonces sérieuses disparaissent en quelques minutes.

AlbanÉtudiant à l'INSA Rennes

La galère pour rechercher à distance

Même constat pour Emma, 24 ans, étudiante à Paris Dauphine à la rentrée. Après avoir cherché dans des résidences étudiantes, ou des studios conventionnés avec des loyers plafonnés, elle s’attaque aux demandes pour des logements classiques, ou pour des colocations.

« Beaucoup de propriétaires n’ont juste pas répondu à mes messages, et sur la Carte des colocs [un site d’annonces de chambres dans des colocations, NDLR], on me disait avoir déjà reçu 100 demandes, alors je n’avais aucune chance, surtout en cherchant à distance », raconte la jeune femme interrogée par actu.fr.

En effet, l’ex-étudiante à Grenoble fait ses recherches depuis la Franche-Compté, où vit son père. « J’ai fait quelques allers-retours à Paris pour faire des visites, ou j’ai même demandé à des amis parisiens de visiter pour moi, mais ça reste une galère sans être sur place », relate celle qui a passé « près de 4h par jour quotidiennement » dans ses recherches cet été. Sans succès.

Une situation que vivent beaucoup de jeunes, et qui complique les recherches. Alban, en stage à Toulouse tout l’été, a fait quelques visites pour des appartements à Rennes, mais en visioconférence. « C’est sûr que face à d’autres candidats qui ont fait les visites de visu, je n’avais aucune chance », se désole l’étudiant.

Maëlle, étudiante à l’INSA à Rennes, a passé son été en Espagne, où elle a fait un stage. Forcément, pas évident pour chercher un logement dans la capitale bretonne. 

Le business des résidences haut de gamme

Certaines agences demandent aussi de payer 50 euros pour avoir accès à leur catalogue d’annonces pendant quelques mois, et la plupart demandent aux candidats d’envoyer leurs dossiers complets avant même de visiter.

Du côté des résidences étudiantes, un business juteux émerge : des immeubles haut de gamme pour étudiants qui peuvent mettre le prix pour des services annexes (salle de sport, sécurité à l’entrée, parking privatif, ménage)… Pour des studios au prix exorbitant in fine.

« Cela répond à une véritable demande de parents qui veulent tous ces services pour leurs enfants, et qui ne veulent pas qu’ils se retrouvent dans des 9m² avec des punaises de lit », se défend Philippe Campinchi. Qui ajoute qu’à côté de ces résidences luxueuses, il en existe aussi d’autres plus abordables. Et que les étudiants boursiers ou aux budgets très serrés peuvent se tourner vers le Crous ou les résidences conventionnées.

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Engorgement au Crous aussi

Pourtant, au Crous, les résidences sont complètement saturées, et ce dès le début des procédures de demandes, en juin. 

Sur les quatre premières vagues d’admission, Maëlle, boursière échelon 0 bis, a été refusée à chaque fois. Elle a fini par avoir une place durant la phase complémentaire pour une chambre de 9m² un peu éloignée du centre, alors qu’elle recherchait des studios au départ. Emma, qui arrive bientôt à Paris pour sa dernière année de master, a été refusée à toutes les vagues d’admission, alors qu’elle est boursière échelon 4.

Mais comment débloquer le marché de la location alors ? Pour les professionnels du secteur, pas de solution miracle : « Il faut que les pouvoirs publics incitent à l’investissement locatif, en proposant des aides pour le logement étudiant spécifiquement ». Pour que le statut étudiant des candidats attire plutôt qu’il ne repousse, avec des contreparties à la clé par exemple.

Pourtant, tout se fait sur le temps long sur le marché immobilier, selon le directeur exécutif d’ERA Immobilier : « Si l’on met en place des mesures dès maintenant, c’est positif, mais cela prendra tout de même des années pour que la situation se débloque. »

*Le prénom a été modifié.

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