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Buitoni, Kinder, fromages... Y a-t-il des dysfonctionnements dans l'industrie alimentaire?

Alors que les cas de rappels semblent se multiplier, les spécialistes de la sécurité alimentaires assurent qu'il s'agit de malheureux hasards même si des pistes d'améliorations dans la transmission d'information au consommateurs doivent être envisagées.

Loi des séries ou failles dans la sécurité alimentaires? Depuis une semaine, les cas de contamination ou de risques de présence bactérienne sur des produits alimentaires se multiplient. Il y a d'abord eu les contaminations à la bactérie E.coli pour lesquelles les pizzas Buitoni sont suspectées. Cette semaine, ce sont des produits de la marque Kinder qui ont été rappelés à la suite de cas de salmonelloses détectés. Ce mardi soir enfin, le site gouvernemental Rappel Conso lançait un rappel pour des fromages vendus en grande surface produits par le groupe Graindorge (Lactalis) susceptibles d'être contaminés à la listeria.

Des cas très médiatisés qui concernent des produits de grandes marques et surtout pour Kinder à une période de l'année où les achats de chocolat sont particulièrement importants.

Y a-t-il cependant des dysfonctionnements dans l'industrie agroalimentaire? Des images de l'usine de Caudry (59) où sont fabriquées les pizzas Fraich'Up de Buitoni révélées par RMC la semaine dernière montraient un site aux conditions d'hygiène défaillantes. Pourtant la direction de Nestlé, qui a démenti que les conditions de fabrication étaient celles montrées dans les images, assure que les tests effectués dans l'usine pour rechercher des traces de la bactérie à l'origine de deux décès se sont avérés négatifs.

Concernant les conditions d'hygiène, "si cela correspond à une réalité", il ne pourrait s'agir que de situations ponctuelles, "après une panne" ou "lors du processus de nettoyage", assurait jeudi dernier Pierre-Alexandre Teulié, le directeur général de Nestlé France.

Une enquête a en tout cas été ouverte par le parquet de Paris pour "homicides involontaires". Ce mardi matin, le préfet du Nord a ordonné l'interdiction de fabrication de pizzas dans cette usine après que "deux inspections d'hygiène approfondies" mettent en évidence "un niveau dégradé de la maîtrise de l'hygiène alimentaire dans l'usine de Caudry".

"La loi des séries"

Du côté du ministère de la Santé, on reconnaît la gravité des alertes alimentaires récentes mais on estime qu'il s'agit plutôt de la loi des séries, autrement dit d'un malheureux et dramatique hasard. Les deux grosses alertes concernent en effet des produits différents qui sont produits par des entreprises différentes (Nestlé et Ferrero) et dans des pays différents (en France pour les pizzas, en Belgique pour les chocolats Kinder).

Il s'agit de plus de marques connues et de grands industriels pour lesquels les consommateurs sont plus suspicieux.

"L’une des affaires sanitaires dont les conséquences ont été les plus importantes ces dernières années est celle de la contamination dans une ferme allemande bio productrice de graines, qui a provoqué une trentaine de morts en 2011, rappelle dans La Croix. Bruno Parmentier, ingénieur spécialisé dans les questions alimentaires. Elle n’a provoqué que des remous limités dans l’opinion publique en raison de la bonne image du bio."

Mise en place par le gouvernement en 2021, la plateforme Rappel Conso qui centralise l'ensemble des produits rappelés par les enseignes françaises a enregistré en un an plus de 4300 références de produits alimentaires suspectés de présenter un danger sanitaire. Principalement des produits laitiers (1730 rappels) devant les viandes (567) et les aliments diététiques (363).

Mais pas tous les produits ne présentent pas des risques aussi élevés que des contaminations à la Listéria ou à la bactérie E.coli. Il peut s'agir d'erreurs d'étiquetages, d'ingrédients présents non prévus, de concentrations trop élevées de tel ou tel produit qui ne présentent pas un risque sanitaire majeur.

"Des rappels sanitaires de produits, il y en a assez régulièrement, mais des rappels de produits impliquant des contaminations humaines, il n’y en a qu’une dizaine par an, rappelle Henriette de Valk, responsable de l’unité des maladies infectieuses d’origine alimentaire à Santé publique France dans Le Parisien. Mais c’est aussi parce que le système de surveillance est de plus en plus performant et que l’on remonte plus facilement à la source de l’aliment qui a été infecté."

"Plusieurs milliers de morts dans les années 1960"

Les spécialistes de la sécurité alimentaires semblent unanimes sur le fait que les produits alimentaires n'ont jamais été aussi sûrs et contrôlés qu'ils ne le sont aujourd'hui.

"Nous n’avons jamais aussi bien mangé et c’est aussi parce que nous mangeons de façon beaucoup plus sécurisée, assure Bruno Parmentier. Il faut se souvenir qu’en France, dans les années 1960, il y avait plusieurs milliers de morts chaque année suite à des intoxications alimentaires."

Une étude réalisée par Santé Publique France portant sur la période 2008-2013 faisait état d'une mortalité comprise entre 232 et 358 décès par an liés à des intoxications alimentaires et entre 15.000 et 21.000 hospitalisations.

Selon des données qui circulent et reprises dans un rapport du Sénat en 2004 (bien que peu sourcées), la France enregistrait 15.000 décès liés à des intoxications alimentaires en 1950. Selon Sylvie Brunel, l’ancienne présidente d’Action contre la faim, les intoxications alimentaires étaient un fléau à l'origine de 4000 morts par an au début des années 1960 dans l'Hexagone.

"De nos jours, quand il y a un problème, ce dernier prend beaucoup d’ampleur : meilleure est la qualité de la nourriture, moins les scandales sont tolérés. Notre niveau de sensibilité est très élevé", estime Bruno Parmentier.

Une culture de la sécurité alimentaire qui a progressé avec les technologies de réfrigération et de normes sur la chaîne du froid et qui s'est accru avec la crise de la vache folle.

"L’affaire de la vache folle, dans les années 1990, a entraîné un tel séisme que l’Europe a décidé de s’emparer de la question de la sécurité sanitaire des aliments, rappelle dans La Croix François Collart-Dutilleul, professeur émérite de l’université de Nantes, spécialiste en sécurité alimentaire. Cela a conduit à une nouvelle législation en 2002 avec, pour les industriels, de nouvelles normes d’hygiène, de nouvelles procédures et de nouveaux niveaux de contrôles obligatoires."

144.000 contrôles par an

Le spécialiste reconnaît qu'il peut y avoir des négligences et des fraudes comme avec l'affaire de la viande cheval dans les lasagnes surgelés en 2013 mais "qu'on ne va pas faire ses courses avec la peur au ventre!"

Le système repose sur un autocontrôle de la part des entreprises de l'agroalimentaire avec un référent sur chaque site chargé de contrôler les procédures. Des contrôles qui peuvent être vérifiés sur la base de documents par les inspecteurs de la DGCCRF ou de la répression des fraudes.

Des contrôles voire des investigations sur site peuvent être effectués en cas de signalement de la part des consommateurs et des autorités sanitaires. Selon le rapport du Plan national de contrôles officiels pluriannuel de la France (PNCOPA), ce sont 6000 agents de différents organismes publics qui réalisent quelque 144.000 contrôles par an (données de 2019) sur des sites français et 126.000 à l'importation.

Des contrôles qui peuvent donner lieu à des sanctions administratives et pénales pouvant aller jusqu'à jusqu’à 750.000 euros d'amende et 7 ans d’emprisonnement.

"Le montant de ces amendes peut être porté de manière proportionnée aux avantages tirés du délit à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les 3 derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits", précise le rapport.

Les marges de progressions concernent principalement selon les experts du secteur la transmission de l'information qui malgré la mise en place du site gouvernemental Rappel Conso reste encore très tributaire des campagnes de presse et des affichages en magasin.

"Des spécialistes réfléchissent donc à la manière dont des magasins pourraient approcher plus directement des acheteurs, un peu comme les concessionnaires de voitures peuvent rappeler leurs clients, envisage François Collart-Dutilleul. Certains magasins ont déjà pu joindre des acheteurs qui étaient passés en caisse avec leur carte de fidélité."

Tickets de caisse nominatifs, système d'information entre les magasins et les banques qui disposent des coordonnées des clients... Les pistes d'améliorations sont nombreuses.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco