Une pièce de monnaie Bitcoin repose sur un écran montrant le taux de change Bitcoin (illustration AFP).

Une pièce de monnaie Bitcoin repose sur un écran montrant le taux de change Bitcoin (illustration AFP).

dpa Picture-Alliance via AFP

Dans le grand huit du marché des cryptomonnaies, les cours peuvent parfois donner le vertige. Mais forcément, en contrepartie, les pentes sont toujours raides. La correction entamée dimanche et toujours à l'oeuvre en est une nouvelle illustration. Le bitcoin, son jeton star, s'échangeait ce jeudi 12 mai sous le seuil symbolique des 30 000 dollars, perdant alors plus d'un quart de sa valeur sur une semaine. De quoi le faire redescendre loin, très loin des sommets atteints à l'automne, autour de 68 000 dollars. Dans le sillage du bitcoin, personne n'échappe à cette dégringolade. L'ether perdait quant à lui 36 % sur les sept derniers jours, indiquait, à 10h30, le site spécialisé CoinMarketCap. Le binance coin et le solana, respectivement 38 et 50 %.

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"Rien de surprenant", estime Xavier Fenaux, associé chez Interactiv Trading. "Il y a une corrélation de plus en plus forte entre les cryptomonnaies et les marchés traditionnels. Or aujourd'hui, ces derniers, à cause de l'inflation et de la hausse des taux directeurs, comme ceux de la Fed, ou encore de la guerre en Ukraine, manquent fondamentalement de visibilité." Mais pourquoi les "cryptos" chutent-elles si brutalement par rapport à d'autres actifs ? "Le secteur s'est professionnalisé. Dans ces périodes difficiles, les investisseurs ont donc tendance à récupérer de l'argent, du cash, dans leurs actifs les plus risqués. Ce que sont les cryptomonnaies. Et comme ce marché reste très petit, celui-ci est soumis à de plus fortes secousses en cas de mouvements", répond l'analyste.

Une confiance à long terme

Reste à savoir si cette saignée peut se poursuivre, notamment pour le bitcoin, la plus valorisée des cryptomonnaies et véritable moteur de l'écosystème. "C'est impossible de le prédire à court terme, estime Adrian Sauzade, administrateur de l'association Le Cercle du Coin. Le prochain support - une limite de prix sur laquelle une résistance se crée - se trouve aux alentours des 20 000 dollars. Mais cela peut descendre encore plus bas. En vérité, tout dépend des évènements : si la stagflation (mélange d'inflation et de faible croissance) se poursuit longtemps, si les problèmes géopolitiques et économiques actuels s'aggravent..."

"Je reste optimiste, complète toutefois Xavier Fenaux. Pour le bitcoin spécifiquement, celui-ci a connu des chutes encore plus drastiques par le passé. En 2018, son cours a perdu environ 80 %, s'effondrant à l'époque de 20 000 dollars à un peu moins de 4000." Avant, sans cesse, de remonter la pente, et d'exploser tous les records lors de la pandémie de Covid-19, qui a vu s'accélérer l'adoption des cryptomonnaies.

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Même son de cloche du côté d'Alexandre Stachtchenko, directeur Blockchain & Cryptos chez KPMG France. "Ce qu'il se passe actuellement ne remet pas en cause la proposition de valeur fondamentale de bitcoin, qui reste sécurisé, décentralisé, ni la progression de son adoption ou la tendance haussière à long terme. En effet, avec plus de 300 millions d'utilisateurs dans le monde et sa reconnaissance comme monnaie légale dans au moins deux pays, les signaux restent positifs." Mais il est vrai, le marché, en dehors de cet "ovni financier", reste "hétérogène", admet-il. Sous-entendu : tous les projets cryptographiques ne se valent pas. Et pour certains d'entre eux, l'inquiétude grandit.

Des doutes sur les stablecoins

La communauté "crypto" s'est enflammée sur deux cas particuliers. Les deux jetons de l'écosystème Terra, parmi les dix plus valorisées au monde, ont totalement perdu pied en quelques heures. Alors qu'il se situait à environ 65 dollars, le cours du premier, le Terra (Luna), a dégringolé sous le dollar mercredi, en fin de journée, perdant presque l'intégralité de sa valeur.

Ce qui a entraîné par le fond le deuxième, le TerraUSD (UST), son stablecoin (monnaie stable), jeton dont le prix vaut toujours un dollar et ne fluctue pas. Ce dernier s'établissait mercredi, dans la matinée, à 0,3 dollar, avant de remonter à 0,6 après une intervention de ses créateurs. La capitalisation de ce stablecoin a ainsi chuté de 10 milliards de dollars durant cet épisode.

Une véritable secousse, car les stablecoins sont de plus en plus populaires. Ils représentaient 180 milliards de dollars de capitalisation en mars 2022, en nette progression. Ils permettent en théorie de bénéficier des avantages des cryptomonnaies, tout en conservant la valeur des monnaies fiduciaires, comme le dollar ou l'euro. Ils sont, de fait, également utilisés afin de réaliser des prêts aux rendements sans cesse plus attractifs. Parfois trop : TerraUSD promettait jusqu'à 19,5 % de rendement, contre seulement 3 à 4 % pour ses concurrents.

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Comment est-il tombé ? Pour assurer la sécurité de ces prêts, une entreprise qui émet un stablecoin doit disposer en garantie de son équivalent en dollar en réserve. Mais le TerraUSD, en misant sur une nouvelle méthode, dite algorithmique, et en introduisant son autre jeton en garantie - le volatile Terra Luna - a considérablement augmenté le risque de déséquilibrer son fonctionnement.

Tout s'est donc effondré. Les alertes ne manquaient pourtant pas. Un projet similaire, Iron Finance, avait déjà échoué de la même manière, il y a un an. Plus largement, les monnaies stables soulèvent de nombreux doutes. Le plus valorisé, le Tether, avait déjà été épinglé en 2019, n'ayant pu prouver qu'il disposait des réserves en dollars équivalentes à celle de ses jetons. La Réserve fédérale américaine avait encore critiqué, lundi 9 mai, dans un rapport, le "manque de transparence quant au risque et à la liquidité des actifs garantissant les monnaies stables". Ce jeudi matin, dans la panique, Tether perdait 2%, décrochant légèrement face au dollar.

"Il n'y a aucun usage économique réel adossé à ces stablecoins. C'est un produit destiné à faciliter la spéculation et à alimenter le levier de l'écosystème grâce aux rendements artificiels des prêts proposés à leurs détenteurs", critique à leur sujet Denis Alexandre, professeur de finance et spécialiste en risque management. Les régulateurs américains et européens pourraient maintenant être tentés de se pencher rapidement sur le sujet. Alexandre Stachtchenko craint, dans ce contexte, une "régulation disproportionnée par rapport au marché", pénalisant également dans le lot les cryptomonnaies classiques, aux méthodes sûres, éprouvées. L'expert n'y voit qu'une leçon à retenir. "Il faut toujours se renseigner et être très prudent sur ses achats. Les rendements à 20%, sans risque, ça n'existe pas."

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