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Réforme de la justice en Israël : Netanyahou annonce une «pause»

La réforme de la justice, en cours d'examen au Parlement, est contestée dans la rue depuis près de trois mois dans le pays.

De notre correspondant à Jérusalem

Benyamin Netanyahou a laissé le mystère durer jusqu'au bout. Lundi soir, le premier ministre israélien a fini par céder : le vote de la réforme judiciaire, qui met Israël en ébullition depuis le début du mois de janvier, sera repoussé à la fin de la session d'été, en juillet. En attendant, le chef de l'opposition, Yaïr Lapid, s'est dit prêt à un «véritable dialogue».

La Knesset, dont la session d'hiver doit prendre fin ce jeudi avant des vacances d'un mois, n'aura plus qu'à se concentrer que sur le vote du budget, essentiel pour la survie d'un gouvernement qui, au cours des dernières heures, a failli voler en éclat.

Ce ne sont pas douze semaines consécutives de manifestations sans cesse plus massives contre un projet accusé de mettre en péril l'État de droit en Israël, ni l'opposition des élites économiques et intellectuelles du pays, ni la pression croissante des États-Unis, encore moins les différentes tentatives du président israélien pour trouver un compromis qui ont finalement fait plier Netanyahou. Ce sont les menaces sur la sécurité d'Israël.

Tout avait commencé par le mouvement des réservistes de l'armée israélienne, dont un nombre grandissant a fait savoir, au cours des dernières semaines, qu'il n'accepterait pas de risquer sa vie si la démocratie n'était pas garantie. Avec les soldats de métier et les appelés, les réservistes sont un des trois piliers de l'armée. Ils servent souvent dans des corps d'élite, comme l'aviation de chasse. En annonçant leur refus de s'entraîner, puis en menaçant de ne plus accomplir leurs missions, ils finissaient par mettre en péril le bon fonctionnement de l'armée. Alors que le Ramadan, période traditionnellement tendue, vient de commencer, que la Cisjordanie est au bord du chaos, que Gaza est plus que jamais une poudrière, et que l'Iran se fait de plus en plus menaçant, l'armée ne pouvait se permettre un tel risque. Depuis plusieurs jours, Yoav Gallant, le ministre de la Défense, tirait sur la sonnette d'alarme. Après avoir hésité, il a finalement pris la parole samedi soir, non pour dénoncer le principe de la réforme judiciaire, mais pour demander une pause afin de garantir le bon fonctionnement des troupes. Cela lui a coûté son poste.

« Netanyahou a franchi une ligne rouge »

Vingt-quatre heures plus tard, un communiqué lapidaire annonçait son limogeage par le premier ministre. Aussitôt, le pays bascule. Les boucles WhatsApp sur lesquelles s'organisent les manifestants entrent en action. Dans tout le pays, des routes sont bloquées. À Tel-Aviv, les manifestants envahissent, une fois de plus, l'autoroute Ayalon, le principal axe d'entrée dans la ville. À Beer Sheva, dans le Sud, à Karkur, dans le Nord, des routes aussi sont bloquées. À Jérusalem, devant la résidence du premier ministre, des affrontements ont lieu avec les forces de l'ordre. Çà et là, les canons à eau entrent en action. Peu avant 23 heures, le chef de la Histadrut, la puissante confédération syndicale, fait savoir qu'il tiendra le lendemain une conférence de presse au cours de laquelle il annoncera la grève générale. Au même moment, les deux leaders de l'opposition, Yair Lapid et Benny Gantz, publient un communiqué : « Netanyahou a franchi une ligne rouge », proclament-ils, en demandant aux ministres et aux députés du Likoud de ne pas « prêter la main à la destruction de la sécurité nationale ». Les médias israéliens font état de « hauts responsables du Likoud » déplorant la « tragique erreur » de Netanyahou. L'ancien premier ministre Naftali Bennett s'inquiète de voir le pays confronté à sa plus grande menace « depuis la guerre de Yom Kippour », en 1973. Des maires de plusieurs villes annoncent le début d'une grève de la faim, des administrations locales font savoir qu'elles se joignent au mouvement lancé par la Histadrut.

La confusion est complète. Après minuit, des sources au sein du Likoud affirment que le premier ministre va mettre le processus en pause. Mais quelques minutes plus tard, le chef de la commission des lois de la Knesset annonce que la loi prévoyant de modifier les règles de nomination des juges de la Cour suprême, une des onze composant le corpus de la réforme judiciaire, sera bien étudiée le lendemain matin, comme prévu. Peu de temps après, le Judaïsme unifié de la Torah et le Shass, les deux partis ultraorthodoxes, pourtant très favorables à la refonte du système judiciaire, se disent d'accord pour un arrêt du processus, mais Yariv Levin, vice-premier ministre et ministre de la Justice, à la manœuvre depuis le lancement de la réforme, menace de démissionner si tout est arrêté. Une position aussitôt critiquée au sein même du Likoud. Vers une heure du matin, le ministre de l'Économie demande une pause : « La réforme est essentielle et nous la réaliserons, affirme-t-il, mais pas au prix de la guerre civile. » La survie du gouvernement de Netanyahou est en jeu : ses soutiens les plus extrémistes, le Parti sioniste religieux et Otzma Yehudit, ne semblent pas prêts à abandonner la réforme. À deux heures du matin, le ministre des Finances Bezalel Smotrich poste un pouce dressé vers le haut en commentaire d'un tweet contre les manifestants. À Jérusalem, des manifestants convergent vers la Knesset. À Tel-Aviv, la police expulse les derniers bloqueurs de l'autoroute Ayalon peu avant l'aube.

Risque de violence

Le lendemain matin, le président Isaac Herzog appelle à l'arrêt du processus. Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité nationale, menace de lâcher la coalition si la réforme est interrompue. La sauvegarde de la coalition ne tient plus qu'à un fil. L'allocution de Netanyahou est repoussée. Des milliers de manifestants convergent vers la Knesset, à Jérusalem, pour maintenir la pression sur les députés. L'aéroport Ben Gourion est paralysé.

Dans les jours qui viennent, les manifestants ont l'intention de maintenir la pression sur le gouvernement, malgré la levée de la grève générale par la Histadrut : lundi soir, ils annonçaient à nouveau des manifestations à travers le pays, toute la nuit. Le risque que la violence fasse son irruption dans les rues est réel : à l'appel de Bezalel Smotrich et d'Itamar Ben-Gvir, des contre-manifestations étaient prévues lundi soir, tandis que des groupes extrémistes et notoirement violents annonçaient leur intention de descendre dans la rue. Jusqu'à présent, ils s'étaient tenus calmes.

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9 commentaires
  • Lux _Aeterna

    le

    Il est à noter que bon nombre de ceux qui s’élèvent aujourd’hui contre cette réforme judiciaire … appelaient en fait cette réforme de tous leurs voeux lorsque la gauche était au pouvoir ! Leur argument principal était de limiter le pouvoir des juges de la cour suprême.
    .
    Maintenant que le centre-droit a repris le pouvoir, cela n’a plus vraiment l’air de les préoccuper...

  • Lux _Aeterna

    le

    Cette réforme prévue depuis longtemps est simplement ajournée, et sera à nouveau à l’ordre du jour lors de la prochaine session du parlement (Knesset) qui débutera après la période de vacances qui débute cette semaine.
    .
    Mais elle doit se faire, et ce afin de préserver l’un de piliers de tout état de droit, à savoir la séparation entre les pouvoirs exécutif et judiciaire.

  • MacronDemission

    le

    J’ai vaguement compris qu’il cherchait à se mettre à l’abris du pouvoir des magistrats grandissants. Ce que je comprends moins, c’est pourquoi ça cause de telles manifestations. Ou alors j’ai loupé une case

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