instabilitéEn Afrique, « l’épidémie de putsch » va-t-elle être contagieuse ?

Coups d’Etat en Afrique : Mali, Niger, Gabon… Comparer les différentes situations politiques est une « forme de piège »

instabilitéAprès sept coups d’Etat en trois ans sur le continent africain, le Gabon est entré en crise politique. Après une réélection contestée, le président Ali Bongo a été écarté du pouvoir lundi par des militaires putschistes
Des Gabonais célèbrent la prise de pouvoir des militaires qui ont renversé Ali Bongo.
Des Gabonais célèbrent la prise de pouvoir des militaires qui ont renversé Ali Bongo.  - AFP / AFP
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Après 14 ans au pouvoir et une réélection contestée, le président gabonais Ali Bongo a été renversé par un putsch. Les militaires l’ont « mis à la retraite » et préparent un régime de transition.
  • Cette crise politique dans ce petit pays d’Afrique centrale intervient quelques semaines après le coup d’Etat au Niger et une instabilité politique à plusieurs endroits du continent.
  • Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Iris et Lova Rinel, chercheuse associée à la fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la relation entre la France et l’Afrique, analysent pour 20 Minutes la situation politique. Avec un mot d’ordre : ne pas comparer les différents putschs.

Le propos aurait pu être prémonitoire si la localisation avait été plus précise. En ouverture de la conférence des ambassadeurs lundi à Paris, Emmanuel Macron a évoqué « une épidémie de putsch » au Sahel. Deux jours plus tard, la contagion a atteint le Gabon, en Afrique centrale. Des militaires ont annoncé mercredi avoir mis « fin au régime en place », plaçant en résidence surveillée le président Ali Bongo, qui venait de sortir gagnant d’une élection très contestée. Le coup d’Etat des putschistes pourrait précipiter la fin de la dynastie Bongo, qui dirige (le père Omar puis le fils Ali) ce petit pays de deux millions d’habitants depuis plus d’un demi-siècle.

Avant ce putsch, l’Afrique avait subi sept coups d’Etat en trois ans (Niger, Burkina Faso, Soudan, Guinée, Mali). Englober tous ces faits politiques marquants pour en faire une analyse globale est tentant, mais dangereux, selon Caroline Roussy, directrice de recherche à l’Iris. « Comparer, c’est tomber dans une forme de piège. L’Afrique centrale, le Sahel, et l’Afrique de l’Ouest ne sont pas dans les mêmes problématiques. Parler d’effet domino, c’est une analyse un peu courte. Il y a plutôt une convergence des agendas, avec une élection présidentielle qui vient de se dérouler au Gabon », met en garde l’experte.

Le Gabon, un cas particulier difficile à comparer

Démis de ses fonctions par les militaires, Ali Bongo trustait le pouvoir depuis 14 ans et venait de rempiler pour un troisième mandat au terme d’une élection contestée. Albert Ondo Ossa, son principal opposant politique, a osé évoquer la fraude. Conséquences ? Ali Bongo a fait couper Internet et a instauré un couvre-feu, officiellement pour garantir la « sécurité du pays ». En 2016, déjà, la victoire à la présidentielle de l’héritier Bongo avait déclenché de violentes manifestations à travers le pays. Un enchaînement d’évènements que l’on a pu constater lors d’autres coups d’Etat, bien que le Gabon puisse être considéré comme un « cas particulier ». « Ça a été l’emblème de la Françafrique puis de son évolution : l’intérêt de riches africains qui viennent maîtriser le rapport de force avec la diplomatie française, rappelle Lova Rinel, chercheuse associée à la fondation pour la recherche stratégique. Ces systèmes néocoloniaux ont généré des mafias et une défaite des promesses démocratiques. »

L’un des rares points communs de ces crises politiques africaines qui ne touchent pas exclusivement l’ex-empire colonial français serait le système démocratique, dans sa remise en cause ou dans sa volonté d’installation. « En mettant de côté le coup d’Etat nigérien, au Sahel, c’est le procès de démocraties qui ont été jugées inefficaces face à la menace terroriste et trop inféodées à Paris. Au Gabon, on a l’impression que c’est un putsch pour mettre en place la démocratie », constate Caroline Roussy.

D’autres crises politiques à venir ?

Ce mercredi, le général putschiste gabonais Brice Oligui Nguema a annoncé la « mise en retraite » d’Ali Bongo au profit d’un dirigeant de transition, pas encore nommé. Comme le Gabon, d’autres régimes africains pourraient basculer dans l’instabilité, prédit Lova Rinel. « Paradoxalement, le moment déclencheur, ce sont les élections. Il faudra observer la situation au Cameroun et au Congo-Brazzaville, avec des dirigeants vieillissants, ou encore à Madagascar ou au Tchad, avec une gouvernance qui n’a pas un bon bilan ».

Face à ces instabilités, la France, souvent décriée par les putschistes, doit désormais se contenter d’un rôle d’acteur secondaire, comme l’a exprimé dans Le Monde le philosophe et historien camerounais Achille Mbembé. « Ce qui est notamment reproché à la France, c’est de ne pas mettre en œuvre des sanctions contre ces systèmes mafieux. »

« Le temps de la Françafrique est révolu », avait martelé Emmanuel Macron lors de sa tournée en Afrique centrale il y a six mois. Malgré la fin de l’opération Barkhane, Paris conserve des camps militaires sur le continent – quelque 350 hommes au Gabon — et n’entend pas se retirer ou se désengager complètement, a rappelé l’Elysée.

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