Au terme de près d’une heure de discussions à Matignon, mercredi 5 avril, l’intersyndicale a déploré « l’échec » de sa rencontre avec Elisabeth Borne, qui a, sans surprise, refusé de revenir sur la réforme des retraites. Les organisations réclament de concert son « retrait » et ont appelé un « maximum de travailleurs et de citoyens » à participer aux manifestations prévues jeudi.
« Nous avons redit à la première ministre qu’il ne saurait y avoir d’autre issue démocratique que le retrait du texte. La première ministre a répondu qu’elle souhaitait maintenir son texte, une décision grave », a déclaré Cyril Chabanier, au nom de l’intersyndicale, sur le perron de Matignon. « Nous refusons de tourner la page et d’ouvrir, comme le souhaite le gouvernement, d’autres séquences de concertation sur des dossiers aussi divers que le plein-emploi ou le partage des richesses », a précisé le président confédéral de la CFTC.
« On est en train de vivre une grave crise démocratique, on avait une crise sociale qui se transforme en crise démocratique », a dit Laurent Berger à sa suite, avant de poursuivre : « C’est la responsabilité du Conseil constitutionnel, que nous respectons et que nous ne mettons pas sous pression, d’entendre aujourd’hui que notre démocratie a besoin d’apaisement et que l’apaisement, ce serait que ce texte ne s’applique pas. » Mercredi midi, la présidence de la République a tenu à réfuter le terme de « crise démocratique » utilisé par le secrétaire général de la CFDT.
A la veille de la onzième journée de mobilisation nationale, le syndicaliste a enfin appelé « un maximum de travailleurs et de travailleuses, de citoyens, dans ce pays à rejoindre les cortèges partout en France demain. Il faut qu’on démontre la force de la démocratie sociale dans le calme, sans violence ».
« Le gouvernement porte la responsabilité du désordre »
Présente pour la première fois dans une séquence institutionnelle au sein de l’intersyndicale, la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a qualifié la réunion d’« inutile » depuis la cour de Matignon. « Notre présence ici, elle prouve notre sens des responsabilités et du dialogue. Nous avons trouvé face à nous un gouvernement radicalisé, obtus et déconnecté », a-t-elle précisé, avant de déplorer une « stratégie jusqu’au-boutiste, violente et irresponsable. Le gouvernement porte la responsabilité du désordre. »
Quelques minutes après le départ des syndicalistes, Elisabeth Borne a pris à son tour la parole depuis la cour de Matignon. « Même si nos désaccords sur l’âge n’ont pas permis de discuter de façon approfondie, je pense que cette réunion marque néanmoins une étape importante, a estimé la première ministre. Les organisations syndicales, comme elles ont pu vous l’indiquer, sont disponibles pour travailler ultérieurement sur ces sujets et je leur ai dit ma disponibilité et celle de mon gouvernement parce que je n’envisage pas d’avancer sans les partenaires sociaux ».
C’est la première fois que la première ministre recevait les organisations syndicales depuis la présentation, le 10 janvier, de la réforme. Celle-ci a généré une mobilisation quasi hebdomadaire inédite allant jusqu’à 1,3 million de personnes dans la rue le 7 mars (selon les autorités), soit davantage qu’en 1995 ou 2010. Et ces manifestations ont connu un regain de tensions après l’adoption sans vote de la réforme au Parlement, grâce au 49.3. Les syndicats avaient déjà demandé, en vain, d’être reçus par Emmanuel Macron. Elisabeth Borne les avait alors renvoyés au ministère du travail.
« Beaucoup de sujets à aborder »
Côté gouvernement, le souhait est de « négocier autre chose » que les retraites, selon un ministre, « inquiet du niveau de tension », en attendant la décision du Conseil constitutionnel. Elisabeth Borne considère qu’il y a « beaucoup de sujets à aborder » sur « la qualité de vie au travail, sur les fins de carrière, sur la prévention de la pénibilité ».
L’exécutif mise aussi sur la fatigue des manifestants, alors que les vacances de printemps débutent le 8 avril. « La manière dont les choses se sont passées mardi [28 mars] est plutôt positive : une mobilisation en baisse, des syndicats qui acceptent d’être reçus », estimait un député Renaissance après la dixième journée de mobilisation.
A l’inverse, les syndicats entendent « montrer [jeudi] que la mobilisation est toujours puissante ». Le leader de la CFDT, Laurent Berger, espère dans L’Obs que le Conseil constitutionnel « censurera la loi ». Car « s’il y a censure de points particuliers comme l’“index seniors”, la pénibilité au travail, etc., mais pas des 64 ans, alors ça ne répondra en rien à la conflictualité sociale en cours », selon lui. Le Conseil constitutionnel rendra sa décision vendredi 14 avril. Les syndicats, comme la gauche, comptent également sur la validation par la haute juridiction du référendum d’initiative partagée (RIP) sur la réforme.
Le nombre de grévistes fléchit
Le 28 mars, la mobilisation avait marqué le pas, avec, selon le ministère de l’intérieur, 740 000 manifestants en France, « plus de 2 millions » selon la CGT. Jeudi, les autorités attendent, de source policière, entre 600 000 et 800 000 personnes, dont 60 000 à 90 000 à Paris, où le défilé ira d’Invalides à place d’Italie. Quelque 11 500 policiers et gendarmes seront mobilisés, alors que les derniers cortèges ont été émaillés de tensions.
Le nombre de grévistes fléchit aussi. La SNCF prévoit de faire rouler trois TGV sur quatre et un TER sur deux, un trafic en nette amélioration par rapport aux journées précédentes. Le trafic sera « quasi normal » pour le métro et le RER à Paris. Dans l’éducation nationale, autour de 20 % des enseignants du primaire seront en grève, selon le Snuipp-FSU.
Mardi, le groupe pétrolier Esso-ExxonMobil a annoncé le redémarrage de la production de sa raffinerie de Port-Jérôme-Gravenchon (Seine-Maritime). La raffinerie voisine de TotalEnergies, à Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), est la seule dont la production est encore arrêtée en raison de la grève. Si les éboueurs parisiens ont repris le travail, un nouveau préavis a été déposé pour le 13 avril.
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