retours forcésPourquoi le Pakistan expulse-t-il des centaines de milliers d’Afghans ?

Attentats, crise économique, tensions… Pourquoi des milliers d’Afghans sont-ils expulsés du Pakistan ?

retours forcésLes autorités pakistanaises ont donné jusqu’au 1er novembre au 1,7 million d’Afghans vivant selon elles illégalement dans le pays pour en partir
Des enfants afghans à bord d'un camion attendent leur enregistrement dans un centre de rapatriement volontaire du HCR pour retourner dans leur pays, à Peshawar, au Pakistan, le lundi 30 octobre 2023.
Des enfants afghans à bord d'un camion attendent leur enregistrement dans un centre de rapatriement volontaire du HCR pour retourner dans leur pays, à Peshawar, au Pakistan, le lundi 30 octobre 2023. - Muhammad Sajjad/AP/SIPA / SIPA
20 Minutes avec AFP

20 Minutes avec AFP

Ils sont 1,7 million d’Afghans à vivre au Pakistan. Tous doivent repartir d’ici le 1er novembre sur ordre des autorités pakistanaises. Dès mardi, plus de 10.000 migrants afghans se sont précipités mardi à la frontière. A partir de mercredi, les Afghans en situation irrégulière risquent d’être arrêtés, placés dans des centres de rétention, puis expulsés vers l’Afghanistan.

Certains ont décidé de ne pas attendre et préféré partir sans délai. Kaboul, où règnent désormais les talibans, a dénoncé une mesure de « harcèlement ». La recrudescence des attentats, la crise économique et les tensions avec le gouvernement afghan expliquent cette décision, selon des analystes.

Pourquoi le Pakistan compte-t-il tant d’Afghans sur son sol ?

Le Pakistan est l’un des pays accueillant le plus de réfugiés au monde, en très grande majorité des Afghans, qui ont afflué au cours des quatre dernières décennies de guerre. La plupart vivent dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, frontalière de l’Afghanistan, dont la population partage souvent avec eux la même ethnicité pachtoune.

Selon les derniers chiffres de l’ONU, le Pakistan compte environ 1,3 million de réfugiés afghans dûment enregistrés. Les autorités pakistanaises estiment, elles, à 1,7 million les Afghans vivant illégalement au Pakistan.

Au moins 600.000 Afghans sont arrivés au Pakistan depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021, selon l’ONU, nombre d’entre eux cherchant à obtenir l’asile dans des pays tiers. Le Pakistan n’est pas signataire des conventions internationales relatives au statut des réfugiés et ne dispose pas non plus de législation nationale garantissant leur protection.

Pourquoi le Pakistan a-t-il décidé d’expulser les Afghans ?

Le gouvernement pakistanais s’est justifié par la détérioration de la sécurité dans le nord-ouest du pays, à la frontière avec l’Afghanistan, où les attentats se sont multipliés ces derniers mois. En annonçant en octobre la date butoir pour les départs volontaires, le ministre pakistanais de l’Intérieur, Sarfraz Bugti, a affirmé que plusieurs attentats suicides avaient été perpétrés par des ressortissants afghans.

Pendant des années, l’appareil militaire et du renseignement pakistanais a été suspecté de soutenir l’insurrection talibane contre le gouvernement pro-occidental à Kaboul. Mais les relations entre les deux voisins se sont énormément tendues après l’arrivée des talibans au pouvoir.

Islamabad les accuse de laisser les talibans pakistanais du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) préparer leurs attaques contre le Pakistan depuis le territoire afghan, ce que Kaboul nie. « Les attentes du Pakistan envers le régime taliban [en matière de sécurité] n’ont pas été satisfaites et il a décidé d’utiliser ça comme un instrument de pression à leur encontre », a déclaré à l’AFP l’analyste politique Muhammad Amir Rana.

Le Pakistan a aussi renforcé les contrôles aux frontières pour notamment freiner la contrebande entre les deux pays, dont il estime qu’elle accentue ses difficultés économiques. Les défenseurs des droits humains considèrent les Afghans comme des boucs émissaires, qui paient le prix de la brouille entre les deux pays.

Comment les expulsions vont-elles se dérouler ?

Les Afghans ont jusqu’à mercredi pour partir d’eux-mêmes. Mais à Karachi notamment, nombre d’entre eux ont accusé la police d’avoir déjà procédé à des rafles et fermé des commerces. « Après le 1er novembre, nous ne ferons aucune concession », a prévenu Sarfraz Bugti.

Les sans-papiers seront placés dans des centres de rétention, où ils seront gardés quelques jours avant d’être expulsés. Des milliers de familles afghanes ont toutefois préféré partir sans attendre et se pressent depuis plusieurs jours à la frontière.

Comment cette initiative a-t-elle été accueillie au Pakistan ?

Les réfugiés afghans ont souvent été considérés avec suspicion, soupçonnés d’encourager l’extrémisme et la criminalité, et de peser comme un fardeau sur les infrastructures et les finances du Pakistan. La population pakistanaise, confrontée à une inflation effrénée ces deux dernières années, semble majoritairement soutenir l’initiative, selon les observateurs.

Un éditorial dans le quotidien anglophone The Express Tribune l’a qualifiée de « mesure réfléchie » et a appelé le gouvernement à faire en sorte qu’elle ne devienne pas une « nouvelle promesse non tenue ». Mais il y a aussi eu au Pakistan des appels à adopter une attitude moins intransigeante et à laisser plus de temps aux Afghans pour partir.

Quelles conséquences pour les Afghans et leur pays ?

Ces Afghans se sont souvent retrouvés dans des camps avec un accès limité à l’éducation, aux soins et à l’emploi. Mais certains vivent depuis des décennies au Pakistan ou y sont nés, le considèrent ainsi comme leur pays et ignorent tout de l’Afghanistan.

Les autorités pakistanaises avaient par le passé déjà plusieurs fois envisagé de les contraindre au départ, mais le conflit en Afghanistan les en avait empêchées. L’amélioration de la sécurité en Afghanistan depuis août 2021 permet d’appliquer cette mesure, jugée « cruelle et barbare » par Kaboul.

Les organisations de défense des droits humains ont mis en exergue les risques de retour dans leur pays pour les Afghans, dont certains craignent de faire l’objet de représailles de la part des talibans. L’ONU a prévenu qu’ils encourent « un grave risque d’être victimes de violations des droits humains ».

Pour les femmes, rentrer signifie aussi devoir vivre avec les mesures liberticides prises à leur encontre par les autorités talibanes, comme l’interdiction pour les filles d’être scolarisées après le primaire. L’économie afghane, déjà très fragile, pourrait aussi souffrir de ce retour massif et du durcissement des règles encadrant le commerce transfrontalier.

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