Après de longs mois de tergiversations sur la méthode, la décision a été prise par le gouvernement de faire passer la réforme des retraites par la voie d’un projet de loi de finances rectificatif de la Sécurité sociale (PLFSS rectificatif). Ce détail technique a en réalité une incidence majeure. La crainte du gouvernement est en effet d’être mis en échec par une conjonction classique de quatre facteurs : une opposition faisant de l’obstruction à l’Assemblée ; des grèves et une contestation qui montent durant la bataille parlementaire ; une opinion qui fait grève par procuration en soutenant les blocages ; une majorité qui se divise sur la conduite à tenir.
Lors du précédent projet de loi retraite en 2020, le gouvernement a été mis en difficulté par amateurisme procédural, puisqu’il s’est appuyé sur l’ensemble des dispositifs constitutionnels existants. Chat échaudé craignant l’eau froide, il a cette fois-ci sorti la grosse artillerie. En passant par un PLFSS rectificatif, il s’assure de pouvoir faire usage d’un 49.3, sans sacrifier une cartouche pouvant être utilisée pour un projet de loi ordinaire, notamment le projet de loi immigration. Le PLFSS rectificatif ouvre également la possibilité d’utiliser le dispositif prévu au second alinéa de l’article 47-1 de la Constitution. Celui-ci dispose que, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours ».
La procédure parlementaire implique du temps. Le texte va d’abord passer en commission, or sur un PLFSS la commission ne peut pas le modifier, son examen n’a que valeur d’avis. Les évolutions proposées doivent être adoptées en séance. Ce sera donc du temps presque perdu au regard des délais. Or si l’on compte le temps passé en commission et si une obstruction, même très modérée, a lieu, il est plus probable qu’in fine l’Assemblée nationale n’ait même pas le temps de voter le texte. Il sera alors transmis au Sénat qui, en quinze jours, n’aura guère le temps de l’apprécier en détail. Il est même possible qu’avant la Commission mixte paritaire et le vote final d’un bloc, aucune des deux assemblées n’ait vraiment eu l’occasion de se prononcer sur l’ensemble du projet.
Nulle urgence
Les délais qui enserrent un PLFSS ont un objectif : permettre l’adoption d’un budget avant la fin de l’année civile. En effet, si aucun n’est adopté avant le 1er janvier, nous pourrions nous retrouver en situation de shutdown (fermeture) à l’américaine. Le constituant a donc prévu des délais et, en cas d’échec, une application temporaire par ordonnance. Or, ici, pas de limite du 1er janvier, pas d’urgence, sauf à considérer que si la réforme n’était pas votée en mars, le régime des retraites serait en faillite… ce que personne ne dit.
Il vous reste 44.77% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.