Campagne de désinformation russe : ce que l’on sait après les accusations de la France envers Moscou

La Russie est accusée de mener une vaste campagne de désinformation numérique en créant de faux sites d’informations identiques à ceux de certains quotidiens français, dont Le Parisien, et en y publiant des fake news. Plusieurs sites gouvernementaux ont également été visés.

Plusieurs sites de médias français et du gouvernement ont été la cible de cette opération russe. (Illustration). LP / Philippe de Poulpiquet
Plusieurs sites de médias français et du gouvernement ont été la cible de cette opération russe. (Illustration). LP / Philippe de Poulpiquet

    Une « guerre hybride ». Mardi, la France a accusé la Russie de mener une vaste opération d’ingérence numérique en publiant de faux articles de grands quotidiens français, dont Le Parisien, hostiles à l’Ukraine. Elle pointe du doigt des agissements relevant de la « guerre hybride » de Moscou et « indignes d’un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ».

    Qu’ont découvert les autorités ?

    « Les autorités françaises ont mis en évidence l’existence d’une campagne numérique de manipulation de l’information contre la France impliquant des acteurs russes et à laquelle des entités étatiques ou affiliées à l’État russe ont participé en amplifiant de fausses informations », a dit la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna dans une déclaration lue par sa porte-parole, ajoutant que Paris était en « lien étroit » avec ses alliés « pour mettre en échec la guerre hybride menée par la Russie ».

    Quels médias ont été visés ?

    Le Parisien fait partie des médias français visés par cette campagne de désinformation. Durant plusieurs semaines, notre journal a vu sa charte graphique copiée par le mystérieux « leparisien.ltd », qui diffuse des fake news, le plus souvent contre l’Ukraine et l’Occident. Des fausses informations parfois ostensiblement complotistes qui ont été largement partagées sur les réseaux sociaux. Le 11 mai 2023, Le Parisien a porté plainte afin de récupérer le nom de domaine frauduleux.

    Au moins trois autres quotidiens français, Le Figaro, Le Monde et 20 minutes, ont été victimes de l’opération, mais d’autres grands médias ont aussi été visés, notamment allemands (FAZ, Der Spiegel, Bild, Die Welt…) ou encore britanniques, comme The Guardian.

    La campagne a aussi visé le site du ministère des Affaires étrangères et d’autres sites gouvernementaux, en créant des sites miroirs, a précisé la porte-parole Anne-Claire Legendre.

    Qui est derrière l’opération Doppelgänger ?

    « L’implication d’ambassades et de centres culturels russes qui ont activement participé à l’amplification de cette campagne, y compris via leurs comptes institutionnels sur les réseaux sociaux, est une nouvelle illustration de la stratégie hybride que la Russie met en œuvre pour saper les conditions d’un débat démocratique », a déclaré la ministre.

    L’opération dévoilée par le gouvernement est plus précisément « la seconde phase d’une campagne déjà connue, mais avec des modes d’action plus sophistiqués destinés à contourner les contre-mesures et être moins visibles », explique à l’AFP une source sécuritaire impliquée dans le dossier.

    Il s’agit de l’opération Doppelgänger (dans certains folklores européens, un Doppelgänger est le double maléfique d’une personne), déjà documentée en 2022 notamment par l’organisation européenne EU DisinfoLab et le géant américain Meta. Fin septembre, la maison mère de Facebook a annoncé avoir démantelé sur sa plateforme une opération « d’influence secrète » provenant de Russie pour amplifier la visibilité de ces articles issus de sites pirates, pour laquelle ses promoteurs, deux sociétés de conseil en marketing et technologie de l’information, avaient dépensé 105 000 dollars. « Meta espérait que son rapport mettrait fin aux opérations, ce ne fut pas le cas », explique la source sécuritaire.

    Quels objectifs ?

    « On a trouvé des dizaines de noms de domaines achetés par les Russes pour faire du typosquattage. On n’a pas affaire à des gens qui agissent à dose homéopathique. Ils sont au début d’un processus d’industrialisation », explique à l’AFP la source sécuritaire, qui assure qu’ « on ne connaît pas leur objectif final ».

    La structure initiale de l’opération est baptisée RRN, du nom du site prorusse RRN. world, pour Reliable Recent News, un site créé quelques mois après le début de la guerre en Ukraine qui a partagé de nombreuses intox, notamment sur une soi-disant mise en scène du massacre de Boutcha. Outre le typosquattage, elle se livre à d’autres opérations d’influence, comme la production de dessins animés anti-Zelensky ou de narratifs prorusses et de désinformation via certains sites dits de « réinformation ».

    Cette opération vient s’inscrire dans une pratique déjà longue et documentée d’actions d’influences menées par la Russie. Dans le cas de l’invasion de l’Ukraine, Moscou mise sur les fausses informations pour saper le soutien des opinions publiques occidentales. Poutine « attend que les sociétés occidentales se fatiguent », estimait lundi un haut responsable européen, rappelant que « l’hiver dernier a été doux », mais que « si le prochain est dur » et que le prix du chauffage s’envole, cela pourrait « générer des tensions dans les sociétés ».