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Analyse

Le Hamas fracture la planète en trois

Trois groupes se dessinent depuis le 7 octobre. Les pays occidentaux qui condamnent sans ambiguïté les attaques terroristes en Israël. Ceux, au nombre d'une vingtaine, qui les soutiennent. Et la grande majorité, réfugiés dans la neutralité pour ne pas se couper de ce qu'ils perçoivent comme « la rue arabe » ou pour cultiver un rôle de puissance d'équilibre.

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(Pinel)

Par Yves Bourdillon

Publié le 20 oct. 2023 à 07:20Mis à jour le 20 oct. 2023 à 16:51

Une ligne de fracture planétaire et un instant de vérité pour le même prix.

L'attaque du Hamas du 7 octobre a révélé, ou peut être simplement confirmé, la division de l'humanité en trois blocs. Les pays qui condamnent sans réserve cette organisation ayant phagocyté la légitime cause palestinienne. Ceux qui l'approuvent carrément, et ceux qui renvoient dos à dos Israël et le Hamas, ou se réfugient dans un prudent silence.

Une séparation entre un Ouest cimenté et un Sud global embarrassé, sans doute amenée à s'élargir en fonction des victimes civiles collatérales de la riposte israélienne.

Les Occidentaux font bloc

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Le premier bloc regroupe la cinquantaine de pays « occidentaux », au sens géopolitique du terme, qui soutiennent le droit d'Israël à se défendre, en limitant les victimes collatérales, comme l'Ukraine. Aucun n'a manqué à l'appel, même pas la Hongrie. Et les cafouillages à Bruxelles, une forme de routine, sur la suspension de l'aide à la Palestine, ou au sein de la coalition de gauche à Madrid, ont été mineurs. Ils côtoient une dizaine de pays africains, une huitaine d'Amérique latine, dont l'Argentine, nouveau membre des BRICS, et surtout l'Inde, pourtant neutre sur l'Ukraine et à la diplomatie purement transactionnelle d'habitude. Ce bloc concentre de ce fait un tiers de la population mondiale… en sus de la grande majorité de ses revenus, réserves de change, capacités militaires, technologiques, etc.

Ces pays ne sont pourtant pas tous des alliés d'Israël et ont de mauvaises relations avec Benyamin Netanyahou, à l'image de Joe Biden. Mais les Occidentaux, à cause du 11 septembre, du Bataclan, etc., « sont peut-être aussi les seuls à saisir la menace singulière que représente le Hamas, qui s'avère comparable seulement à Daech, ou Al Qaida », note François Heisbourg, de l'International Institute for Strategic Studies. Ils voient aussi désormais dans le Hamas un facteur d'embrasement potentiel d'un Proche-Orient produisant un quart des hydrocarbures mondiaux, ou de leur propre population immigrée.

« Un acte de résistance »

Le deuxième bloc, antagoniste, approuve sans ambages l'action du Hamas « dans toutes ses modalités » et salue en l'attaque du 7 octobre « un acte de Résistance contre l'occupation sioniste ». En clair, les pires atrocités, égorger des bébés, violer des femmes, exécuter de sang-froid 1.200 civils seraient acceptables du moment qu'elles sont dirigées contre Israël. Quitte à oublier que le Hamas cherche plus à instaurer une dictature islamique qu'à défendre les droits légitimes des Palestiniens. Il compte une vingtaine de pays (dont deux anciennes colonies françaises). Le contraste est saisissant avec le dernier attentat de cette ampleur, le 11 septembre 2001, où, même si le discours « les Américains l'ont bien cherché » avait fait florès, aucun gouvernement n'avait osé approuver ouvertement Al Qaida.

Ces Etats, dont aucun n'a de relations avec Israël et qui souhaitent souvent sa disparition, pèsent environ 5 % de la population mondiale et 2,5 % de son PIB. Ce bloc compte, en sus de trois pays foncièrement « anti-Yankee » d'Amérique latine, des Etats musulmans du Proche-Orient, du Maghreb et d'Asie du, Sud-Est où l'antisémitisme reste prégnant et qui ont en tout cas toujours ressenti la présence d'un foyer national juif au Proche-Orient comme le prolongement du colonialisme blanc.

Les membres des trois blocs

Condamnent le Hamas et soutiennent Israël : la totalité des pays européens, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, le Japon, après des hésitations initiale s liées à sa dépendance pétrolière, la Corée du Sud, l'Inde, une huitaine de pays d'Amérique latine, dont l'Argentine et l'Uruguay, et une dizaine d'Afrique noire, dont Kenya et Cameroun.

Soutiennent le Hamas : Syrie, Iran, Algérie, Yémen, Irak, Qatar, Koweït, Oman, Tunisie, Soudan (qui a pourtant des relations avec Jérusalem), Venezuela, Cuba, Nicaragua, Corée du Nord, Afghanistan, Malaisie et Qatar (soutien financier du Hamas mais médiateur possible sur les otages).

Refusent de choisir entre Hamas et Israël : Egypte, Jordanie, Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Arabie saoudite, Mauritanie, Somalie, Mexique, Brésil, Colombie, Turquie, Chine, Pakistan, pourtant habituellement très anti-israélien, Russie, Philippines, Colombie, Chili, Equateur, Pérou, Indonésie, Thaïlande et pays d'Asie centrale.

Autour de 80 pays n'ont pas jugé utile de prendre position, ou ont émis des communiqués… inclassables, comme le Liban.

Deux tiers de l'humanité neutre ou indifférente

Un troisième bloc, concentrant rien de moins que les deux tiers de l'humanité, a choisi, lui, de ne pas choisir : ses membres n'ont pas jugé utile de s'exprimer, ou renvoient, dans des communiqués riches en sous-texte et propices à exégèse, le Hamas et Israël dos à dos sous couvert d'appels à la désescalade, ou de condamnation du terrorisme assortie d'« Israël a fourni le terreau ». Ce bloc regroupe les pays arabes, embarrassés , ayant des relations avec Israël suite aux accords d'Abraham, ou en voie de normalisation , les ténors du Sud global, Russie, Chine, Afrique du Sud, Brésil, ainsi que la Turquie, pourtant alliée d'Israël et membre de l'OTAN.

Des dissensions à l'Ouest aussi

Cette neutralité-ambiguïté s'avère au demeurant relativement répandue dans l'opinion publique, ou le monde politique en Occident, comme l'illustrent les circonvolutions de LFI, le refus de l'ancien leader travailliste britannique, Jeremy Corbyn, de condamner le Hamas et des manifestations de soutien au Hamas ou à la Palestine au Royaume-Uni, en Italie, en France, paradoxalement plus amples qu'au Proche-Orient. Avec même une foule scandant « gazez les juifs » à Sydney.

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Les gouvernements de ces pays musulmans ont pour priorité, sans pour autant cautionner un mouvement terroriste lié de surcroît aux Frères Musulmans qu'ils redoutent, de ne pas braquer leur population, pour qui la cause palestinienne est incandescente. Ils jugent aussi opportun de « canaliser ainsi les frustrations politiques et sociales populaires » , souligne le spécialiste du djihad Hugo Michelon, dans la revue « Le Grand Continent ». Afin aussi de ne pas se couper de la « rue arabe », si tant est qu'elle existe, la Chine et la Russie cherchent à préserver leur stature de puissance d'équilibre, confinant parfois à l'équilibrisme. En somme, tirer les marrons du feu.

« Ce n'est pas leur guerre »

La position de la Russie, pourtant prétendument amie d'Israël, a ainsi été saluée par le Hamas. « Le Kremlin analyse tout en fonction de son opposition à l'Occident depuis l'invasion de l'Ukraine, que cela lui soit utile ou pas. La Chine, elle, est prudente et sa grille de lecture du Moyen-Orient est équivalente à celle des Occidentaux lors du premier choc pétrolier ; ne compte que sa sécurité d'approvisionnement en hydrocarbures. Pour les autres pays de ce bloc, on pourrait résumer par 'ce n'est pas leur guerre'. Et peut-être sont-ils plus sensibles à l'analyse mettant en avant Israël comme pays colonisateur face à un peuple dominé », explique François Heisbourg.

https://twitter.com/BNONews/status/1711532849571197179

Au risque de ne pas voir de différence juridique ou éthique fondamentale entre exécuter des enfants de sang-froid et faire des victimes collatérales , la majorité de l'humanité renvoie donc, peu ou prou, dos à dos le Hamas et Israël. En oubliant au passage que si le Hamas disposait de l'aviation israélienne, il n'y aurait plus âme qui vive en Israël.

VIDEO. Israël : ces failles qui ont permis l'attaque du Hamas

Yves Bourdillon

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