Sur le plan du droit international, toutes les annexions russes en Ukraine se valent : elles sont considérées comme illégales. Mais existe-t-il des nuances d’approche, chez les acteurs directs et indirects du conflit, lorsqu’il s’agit de la Crimée, absorbée de force par la Russie en 2014 ? Cette question refait surface en raison de l’attaque contre le pont stratégique de Crimée – qui n’a pas été revendiquée par les forces ukrainiennes. Elle a entraîné une violente riposte russe, lundi 10 octobre, avec le pilonnage indiscriminé de plusieurs villes en Ukraine.
Cette destruction partielle de l’ouvrage reliant la Crimée à la Russie constituait-elle une attaque isolée, ou bien les prémices d’une tentative de reconquête par Kiev ? La réplique russe sonne quoi qu’il arrive, comme un avertissement susceptible de « changer la nature de la guerre », a estimé Emmanuel Macron dans la journée, après un nouvel appel au président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Rattachée à la Russie en 2014 après un simulacre de référendum, la Crimée a une charge historique, culturelle et émotionnelle pour le Kremlin que n’ont pas les territoires occupés des régions du Donbass, de Kherson et de Zaporijia, où viennent de se tenir des consultations de même nature. « Dans le cœur et l’esprit des gens, expliquait Vladimir Poutine en mars 2014, la Crimée a toujours été une partie inséparable de la Russie. » Le dirigeant russe n’hésitait pas, alors, à employer une comparaison audacieuse avec la réunification allemande.
Depuis le début de l’invasion russe, le sort de la péninsule, épargnée par les combats, semblait déconnecté de celui du reste de l’Ukraine. Les alliés de Kiev n’ont certes jamais reconnu l’annexion de la Crimée, mais ils estimaient jusqu’ici, officieusement, qu’elle constituait un cas particulier, tant il paraissait inconcevable de la reprendre par la force. Au début de l’invasion en février, Vladimir Poutine exigeait même, en échange d’un cessez-le-feu, que Kiev reconnaisse l’appartenance de la péninsule à la Russie.
« Une tentation très forte »
Avant même l’attaque sur le pont de Crimée, le rattachement des territoires ukrainiens occupés à l’est et la contre-offensive des forces ukrainiennes avaient replacé la région au cœur de la guerre. « L’annexion de nouveaux territoires, qui subissent peu ou prou le sort de la Crimée, a quelque peu banalisé le statut de la péninsule », analyse une source diplomatique. Surtout, le coup de force politique de Moscou, masquant à grand-peine ses difficultés militaires, a renforcé la volonté des Ukrainiens de reprendre la totalité de leur territoire, y compris la Crimée. L’enchaînement des événements depuis la destruction partielle du pont de Kertch confirme cette hypothèse et le risque d’une escalade supplémentaire. « Cette attaque démontre que la reprise de la Crimée est une tentation très forte de la part des Ukrainiens, indique un diplomate. La riposte russe montre aussi que Poutine ne restera pas sans rien faire, sans même parler d’une riposte nucléaire. »
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