INTERVIEW« On peut repousser le Jour du dépassement français de 25 jours »

Jour du dépassement en France : « On peut le repousser de 25 jours d’ici à 2027 », selon le WWF

INTERVIEWLe Jour du dépassement, date à laquelle nous avons consommé les ressources que la Terre est capable de renouveler en un an, tomberait ce jeudi si tout le monde vivait comme des Français. Pierre Cannet, du WWF France, explique comment le repousser
Déforestation au Brésil (illustration).
Déforestation au Brésil (illustration). - Andre Penner/AP/SIPA  / SIPA
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Chaque année, Global Footprint Network calcule le Jour du dépassement mondial, date à laquelle l’humanité a consommé les ressources naturelles que la Terre peut renouveler en un an, que ce soit pour assouvir nos besoins ou absorber nos émissions de CO2.
  • L’an dernier, c’était le 29 juillet. Mais le think tank décline aussi le calcul pour 200 territoires, dont la France. Pour elle, le Jour du dépassement arrive bien plus tôt dans l’année, puisqu’il tombe ce jeudi 6 mai.
  • Le WWF, partenaire du think tank, estime qu’on peut le faire reculer de 25 jours à l’issue du quinquennat qui s’ouvre. A condition de prendre les bonnes décisions.

Plus il tombe tard, mieux c’est…. Calculé chaque année par le think tank Global Footprint Network, le Jour du dépassement mesure la date à laquelle l’humanité a consommé l’ensemble des ressources naturelles que la planète peut renouveler en un an. L’an dernier, au niveau mondial, il est tombé le 29 juillet, soit le même jour qu’en 2018 et 2019, après avoir reculé en 2020 sous l’effet de la pandémie de Covid-19.

En 1971, cette ligne rouge était franchie le 22 décembre, à quelques jours de la fin de l’année. Puis le 4 novembre en 1980, le 4 octobre en 1995, le 7 août en 2010…


Le Global Footprint Network ne s’arrête pas là. Il décline aussi le Jour du dépassement à l’échelle des pays. Et la France fait chuter la moyenne, puisque notre ligne rouge est franchie ce jeudi 6 mai. Autrement dit, si l’ensemble de la population mondiale adoptait le mode de vie des Français, l’humanité vivrait à crédit sur Terre pour le restant de l’année. En prenant les bonnes mesures au cours du quinquennat qui s’ouvre, il serait possible de faire reculer cette date de 25 jours d’ici à 2027, assure le WWF France, qui détaille ce futur possible dans un rapport publié ce jeudi. Pierre Cannet, directeur du plaidoyer de l’ONG, répond à 20 Minutes.

Comment la date du Jour du dépassement français a-t-elle évolué ces dernières années ?

Il a avancé en moyenne de dix jours à l’issue de chaque mandat, entre 1981 et 2007. A la fin de cette période, il survenait alors fin avril. Entre 2007 et 2012 [le quinquennat de Nicolas Sarkozy], le Jour du dépassement a reculé de six jours, en grande partie en raison de la crise financière de 2008 qui, en ralentissant l’économie, a aussi réduit notre empreinte écologique. La crise économique a perduré sous le quinquennat de François Hollande, ce qui a permis de reculer de cinq jours à nouveau. Enfin, sous la présidence d’Emmanuel Macron, entre la reprise économique en début de mandat puis la crise du Covid-19 en fin, la situation est finalement restée inchangée.

Le principal enseignement est que la situation est tout simplement bloquée en France, avec un Jour du dépassement oscillant entre fin avril et la première quinzaine de mai. C’est trois mois plus tôt qu’au niveau mondial qui tend, désormais, à tomber fin juillet. Autrement dit, le mode de consommation des Français (agriculture, bois, énergie, poisson…) est bien plus gourmand en ressources naturelles que celui de la moyenne de la population mondiale. Et nous ne parvenons pas à combler cet écart.

Evolution du Jour du dépassement français entre 1974 et 2022.
Evolution du Jour du dépassement français entre 1974 et 2022. - / Infographie WWF

Qu’est-ce qui pèse particulièrement dans l’empreinte écologique des Français ?

Le Jour du dépassement revient à déterminer la surface terrestre qui serait nécessaire pour subvenir aux consommations de la population française. Pour reconstituer les stocks de poissons que nous consommons, les produits forestiers que nous achetons… Six empreintes sont prises en compte : agriculture, prairies, produits forestiers, pêche, artificialisation et empreinte carbone [lire encadré]. C’est cette dernière – soit la quantité de surface nécessaire pour absorber nos émissions de gaz à effet de serre – qui l’emporte largement. Elle compte pour 57 % de notre empreinte totale. Suivent l’agriculture (18 %), les produits forestiers (12 %), les prairies et la pêche (5 % tous les deux) et l’artificialisation (3 %).

Vous estimez, au WWF, qu’il serait possible de reculer le Jour du dépassement français d’ici à 2027 en prenant les bonnes décisions. Comment ?

Il est possible de le faire reculer de 25 jours. Ce futur possible correspond au scénario « planification écologique » que le WWF propose. Il comprend de grands objectifs à atteindre à l’horizon 2027, plus importants que ceux que la France s’est fixés pour 2030. Notamment sur nos consommations d'énergie. Nous proposons, par exemple, de jouer beaucoup plus sur les leviers sobriété et efficacité énergétique, en visant une baisse de 16 % de nos consommations d’énergie. En parallèle, ce scénario s’appuie sur un développement massif et concerté des énergies renouvelables, point sur lequel nous sommes en retard en France.

Une grande partie de notre empreinte carbone est aussi liée à nos transports. Nous proposons, de nouveau, des objectifs de sobriété en visant une diminution du trafic routier de 18 % et du transport de marchandises de 15 %. Cela impliquerait de développer les circuits courts et de permettre à la société d’être moins consommatrice de biens. L’enjeu est aussi d’accélérer le développement de l’électromobilité avec l’objectif que 18 % du parc automobile soit électrique en 2027.

Enfin, sur le logement, autre secteur clé, nous fixons le cap des 700.000 rénovations par an, comme le vise Emmanuel Macron. Mais nous parlons, nous, de rénovations globales, en une ou deux étapes, et non plus des petits bricolages qui font peu progresser sur le chemin de l’efficacité énergétique, comme c’est le cas aujourd’hui.

Il faut donc agir principalement sur nos émissions de CO2 ?

C’est là, en tout cas, où il y a plus de gains à faire. Nous avons calculé que les mesures citées plus haut permettraient, à elles seules, de gagner 15 jours sur les 25 visés. Mais il est aussi important d’agir sur nos autres empreintes. Dans l’agriculture et l’alimentation, diviser par deux le gaspillage alimentaire d’ici à 2030, et l’utilisation des pesticides d’ici à 2025, baisser de 20 % la consommation de protéine animales et porter à 25 % nos terres agricoles cultivées en bio nous feraient gagner cinq jours. Et trois jours supplémentaires en divisant par deux notre consommation de poissons surexploités et la quantité de captures accessoires rejetées en mer. Une consommation plus responsable du bois, en l’utilisant prioritairement pour la construction de bâtiments et de meubles, repousserait de deux jours, et diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici à 2030 d’un jour en plus.

L'empreinte française, secteur par secteur.
L'empreinte française, secteur par secteur. - / Infographie WWF

Peut-on se contenter de repousser de 25 jours le Jour du dépassement d’ici à 2027 ?

Effectivement, on resterait bien trop loin du Jour du dépassement mondial, et encore plus loin du 31 décembre, date à laquelle il nous faut à terme parvenir. Cela voudrait dire que l’humanité ne consomme pas plus de ressources que la nature est capable de renouveler en une année. Dans ce contexte, repousser au 30 mai d’ici à 2027 est une étape cruciale. Ce serait – enfin – le démarrage d’une transformation colossale de notre société, dans ses modes de consommations et son rapport à la nature.

Il ne faut pas se tromper. A la lecture des derniers rapports du Giec, beaucoup ont cru que nous avions trois ans pour gagner la bataille contre le changement climatique. Non, nous avons trois ans pour enclencher cette transformation colossale qui va nous occuper dans les prochaines décennies quoi qu’il arrive.

Vers quelles trajectoires nous conduiraient les scénarios « laisser-aller » et « engagements déjà pris » que vous avez également étudié dans votre rapport ?

Le premier correspond à un scénario où rien n’est fait au cours du quinquennat. Le second part du principe que le quinquennat qui s’ouvre est mis à profit pour mettre en œuvre les engagements déjà pris par la France. Autrement dit, il modélise la trajectoire à suivre pour atteindre les objectifs fixés par les principaux documents encadrant la transition écologique. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), la loi Egalim, la loi Climat et résilience… Ces deux scénarios nous conduisent à des points relativement proches en 2027. Le scénario du « laisser-aller » avancerait le Jour du dépassement de deux jours, soit le 3 mai. Celui des « engagements déjà pris » permettrait de le repousser de trois jours, le 8 mai. Dans les deux cas, la France stagnerait encore et toujours. Seule une planification écologique permettrait de réellement avancer.

Comment est calculé le Jour du dépassement

D’un côté de l’équation, le Global footprint network se penche sur l’empreinte écologique de l’humanité. « C’est-à-dire la quantité de ressources naturelles [terres agricoles, réserves halieutiques, forêts…] qui sont nécessaires, à l’échelle mondiale, pour satisfaire nos besoins alimentaires, nos besoins en bois, assurer le développement des villes… » Et, surtout, absorber l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre que l’humanité produit chaque année. De l’autre côté, le think tank s’intéresse à la biocapacité réelle de la Terre, soit la quantité de ressources renouvelables qu’elle est capable de régénérer en un an.

Tous ces indicateurs sont ramenés à une unité commune, exprimée en hectares globaux. En divisant la biocapacité de la Terre par l’empreinte écologique de l’humanité, puis en multipliant le résultat par le nombre de jours dans une année, on tombe sur ce « Jour du dépassement ».

« La méthode n’est pas parfaite, ce qui est normal pour un indicateur qui agrège autant de données, indiquait, Arnaud Gauffier, directeur des programmes au WWF, interrogé en juillet dernier par 20 Minutes. En revanche, sa force est d’appliquer la même méthodologie d’une année sur l’autre, ce qui en fait un indicateur très intéressant pour se rendre compte des tendances. »

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