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Silvio Berlusconi, figure majeure de la droite italienne, est mort

Le Cavaliere, parvenu à trois reprises à la tête du gouvernement italien, entrepreneur des médias, longtemps propriétaire du club de football Milan AC, a vu sa carrière marquée par une série de scandales publics et privés. Il est mort à Milan, le 12 juin.

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Publié le 12 juin 2023 à 10h43, modifié le 12 juin 2023 à 16h37

Temps de Lecture 15 min.

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 Silvio Berlusconi, à Rome,  en 2006.

Trois fois président du conseil (de mai à décembre 1994, de 2001 à 2006, enfin de 2008 à 2011), parlementaire de 1994 à 2013, puis de l’automne 2022 à sa mort, chef de file de la droite italienne, dont il est parvenu à unir les composantes, pendant deux décennies, entrepreneur des médias, ex-propriétaire du club de football Milan AC, Silvio Berlusconi est mort, lundi 12 juin, à l’âge de 86 ans.

Outre qu’il a détenu, à plusieurs reprises, le titre d’homme le plus riche d’Italie, il est le premier ministre qui aura passé le plus de temps au pouvoir depuis la naissance de la République italienne : 3 340 jours exactement. Mais, malgré sa longévité, son indéniable sens tactique, ses talents de communicant, son action au gouvernement reste marquée par une série de scandales privés et financiers et par une relative impuissance – fruit de son tempérament désinvolte et jouisseur, de ses conflits d’intérêts et des accords passés avec des forces politiques aux idéologies parfois contraires, tandis que son amitié démonstrative avec Vladimir Poutine, jamais démentie malgré l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022, jetait une ombre sur son image de conservateur atlantiste et modéré. Il sera intéressant de savoir ce que l’histoire en retiendra, lorsque la mousse de l’actualité italienne qu’il a saturée dans toutes ses rubriques (finances, entreprises, scandales, sport et politique) sera retombée.

Né le 29 septembre 1936, Silvio Berlusconi est l’aîné d’une famille de la moyenne bourgeoisie lombarde. Son père, Luigi, est employé de la banque Rasini, dont il deviendra un des dirigeants ; sa mère, Rosa Bossi, est femme au foyer. De leur union naîtront deux autres enfants : Maria Antonietta et Paolo. A 12 ans, Silvio entre au collège Sant’Ambrogio de Milan, tenu par des salésiens.

Silvio Berlusconi, avec ses parents et sa sœur, en 1948.

Selon la légende et le récit de ses amis d’enfance, il y déploie de solides capacités en grec et en latin et montre déjà de belles dispositions pour les affaires. Voulant aider ses camarades de classe, il se propose de faire leurs devoirs à leur place en échange de quelques lires. Mais il se fait fort de restituer leurs dons si la note qu’ils obtiennent n’est pas à la hauteur de leurs espérances. Silvio Berlusconi se targuait également d’avoir entrepris deux années d’études à la Sorbonne, après sa maturita (baccalauréat), une expérience dont il gardera des rudiments de français et une grande connaissance du répertoire de Charles Trenet et de Charles Aznavour.

Investissements immobiliers

Diplômé en droit à l’université de Milan en 1961, avec un mémoire sur les contrats publicitaires, il se laisse parallèlement aller à sa passion pour la chanson en intégrant un groupe, Les Quatre Docteurs, dont fait également partie Fedele Confalonieri. Celui-ci, toute sa vie durant, se mettra au service des stratégies entrepreneuriales de Silvio Berlusconi, en assurant la gérance lorsque ce dernier est au pouvoir. Les deux hommes animent également des croisières en Méditerranée. Toutes les péripéties de cette biographie seront amplement mises en scène et illustrées par des photos d’époque, lorsqu’il publiera Una storia italiana (« une histoire italienne », non traduit), récit magnifié de son existence, dont il inondera les boîtes aux lettres des Italiens lors de la campagne électorale de 2001. Mais nous n’en sommes pas là…

Dans les années 1960, Milan symbolise le boom économique italien. On estime à 600 000 le nombre d’« immigrés » du Sud ou de Vénétie qui viennent s’établir dans la capitale de Lombardie. Il faut leur offrir un toit. La ville se hérisse de grues, les bétonnières tournent à plein régime, de nouveaux quartiers voient le jour.

Silvio Berlusconi devine très vite le parti (et les profits) qu’il peut tirer de cette effervescence. Il réalise sa première opération immobilière en faisant construire un groupe de maisons à bas prix. Le terrain coûte à lui seul 180 millions de lires, Berlusconi ne dispose que de 10 millions. Qui le finance ? Cette question accompagnera en permanence la consolidation et la diversification de son empire. Dans ce cas précis, il est probable que la banque Rasini, dont Luigi Berlusconi est devenu directeur en 1957, se soit portée caution.

Lors du Conseil européen, à Corfou (Grèce), le 24 juin 1994.

D’autres thèses soutiennent que la Mafia, qui a suivi, elle aussi, le mouvement de migration du sud vers le nord, a délibérément misé sur sa réussite. D’autres, enfin, évoquent le rôle trouble de Michele Sindona, banquier occulte du Vatican et de Cosa Nostra, comme si la vie de Silvio Berlusconi devait refléter toutes les énigmes irrésolues de l’Italie contemporaine.

Bagou et séduction

Cette première expérience sera suivie par la construction d’un ensemble de mille appartements, puis, au début des années 1970, par celle du quartier Milano 2, la première ville nouvelle italienne. Ses futurs habitants y trouveront tout ce qu’ils désirent : un appartement spacieux et lumineux, un garage pour leur voiture, un supermarché, des écoles, un hôpital, des terrains de sport. Toujours précurseur, Silvio Berlusconi lance la vente sur plan, un rêve de papier qu’il se fait fort, grâce à son bagou et à ses belles manières, de concrétiser aux yeux de ses futurs acheteurs. Sa stratégie de séduction est ainsi résumée par lui-même : « Je suis convexe avec les gens concaves et vice versa. »

Pour réaliser ce projet, Silvio Berlusconi fonde la société Edilnord avec des associés (banquiers, hommes d’affaires, avocats) dont le pedigree est, sinon louche, du moins mystérieux. Cette première société, dont on retrouve le nom dans les différents procès qui vont émailler la carrière de Silvio Berlusconi, sera suivie de nombreuses autres, jusqu’à la naissance de la Fininvest en 1974, la holding de contrôle de toutes ses activités. Outre le nom de Fedele Confalonieri dans la structure de commandement de ces sociétés, on retrouve également celui d’un autre ami de jeunesse : Marcello Dell’Utri, qui sera incarcéré de 2014 à 2018 pour « complicité d’association mafieuse ». C’est également dans les années 1960 qu’il rencontre Carla Elvira Lucia Dall’Oglio, qu’il épouse en 1965 et dont il divorcera en 1985. Deux enfants scellent ce mariage : Marina, née en 1966, et, trois ans plus tard, Pier Silvio.

Sa réussite est couronnée par le titre de « chevalier du travail » – qui lui vaudra son surnom de « il Cavaliere » – décerné par le président de la République, Giovanni Leone, en 1977. Mais Silvio Berlusconi délaisse déjà le béton pour s’intéresser à une autre activité : la presse, en devenant, en 1979, l’actionnaire majoritaire du quotidien Il Giornale, et la télévision, dont l’Etat abandonne le monopole en 1976.

Réseau d’influence dans tous les milieux

Des centaines de petites chaînes voient le jour. Le « roi du béton », qui contrôle Telemilano, se propose de les réunir sous une seule bannière, Canale 5. A la faveur d’une loi sur la concentration des médias faite à sa mesure, d’autres chaînes, Rete 4 et Italia 1, viendront compléter cette offre qui fait vite jeu égal, en matière d’audience, avec les chaînes publiques de la RAI. L’empire s’internationalise, avec le lancement de La Cinq en France, en 1986, puis de Tele 5, en Allemagne et en Espagne.

Parallèlement, il rachète la maison d’édition Mondadori en 1990, au nez et à la barbe de Carlo De Benedetti et avec la complicité d’un magistrat corrompu. Le groupe se diversifie également dans la banque, les assurances, les produits financiers et la distribution. Cerise sur le gâteau : en 1986, il rachète l’Associazione Calcio Milan, le Milan AC, un club de football avec lequel il gagnera huit championnats d’Italie et cinq trophées européens.

Silvio Berlusconi, après la victoire du Milan AC lors de la finale de la Ligue des champions, à Athènes, le 23 mai 2007.

Une telle ascension serait bien sûr impossible sans des appuis politiques importants. Silvio Berlusconi peut compter sur l’amitié, et la complicité, de Bettino Craxi, homme fort de Milan et futur président du conseil socialiste, avec lequel il se lie dès le milieu des années 1970. Elle serait aussi impossible sans un solide réseau d’influences dans tous les milieux. L’Italie de cette époque, en proie à la violence politique des années de plomb et menacée par la montée du Parti communiste italien (PCI), est un terrain d’affrontement géopolitique entre l’Ouest et l’Est.

S’il n’est quasiment pas inquiété par les enquêtes de l’opération « Mani pulite » (« mains propres ») sur le vaste réseau de corruption qui entraînera la disparition de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste, Silvio Berlusconi adhère à l’influente loge maçonnique Propaganda Due (P2), fondée par Licio Gelli, nostalgique déclaré de Mussolini. Cette association secrète se fait fort de sauver l’Italie du communisme, quitte à créer un chaos propice à l’instauration d’un pouvoir fort. Silvio Berlusconi y côtoie d’anciens ministres, des hommes d’affaires, des officiers dévoyés des services secrets.

Confortable immunité parlementaire

« L’Italie est le pays que j’aime. » C’est par ces mots que Silvio Berlusconi apparaît sur toutes ses chaînes de télévision, le 26 janvier 1994, pour annoncer son intention de se lancer dans la campagne des élections législatives de 1994. « Je me refuse à vivre dans une dictature gouvernée par des forces immatures et par des hommes liés à un passé politiquement et économiquement en faillite. »

Deux thèses s’opposent : la sienne, dans laquelle il revendique son désintéressement et sa seule volonté de servir le pays et de le sauver du communisme. Celle de ses adversaires, qui soutiennent que cette fameuse discesa in campo (« descente sur le terrain ») est dictée par la crainte de voir les magistrats mettre le nez dans son empire, alors fortement endetté. Quoi de mieux qu’une immunité parlementaire pour se mettre à l’abri ? Comment mieux se protéger des enquêtes qu’en dictant les lois ? De toute la carrière politique de Silvio Berlusconi, la naissance de Forza Italia (« allez l’Italie »), le parti qui lui permettra de sortir vainqueur du scrutin et d’accéder pour la première fois à la présidence du conseil, est l’événement le plus novateur. Un cas d’école pour cours de sciences politiques.

Silvio Berlusconi – qui s’est remarié avec Veronica Lario, une ancienne actrice de théâtre avec qui il aura trois autres enfants – conçoit la politique comme une entreprise. C’est donc au sein d’une de ses sociétés, Publitalia, que prend corps l’idée de former un nouveau parti. Le moment est propice : la classe politique est sortie laminée de l’affaire « Tangentopoli » (vaste réseau de financement et de corruption), les Italiens sont prêts à se laisser conquérir par la nouveauté. Sa réussite d’entrepreneur et les succès du Milan AC sont les gages de son efficacité, la puissance de son empire médiatique lui permet de contrôler la communication, enfin, sa fortune l’autorise à faire la campagne la plus fastueuse.

Les premiers cadres de Forza Italia sont tous, à quelques exceptions près, des dirigeants de la Fininvest, des avocats du Cavaliere, des employés de ses chaînes de télévision, des hommes d’autant plus fidèles qu’ils sont salariés. A cette conception entrepreneuriale de la politique s’ajoute une stratégie gagnante dictée par le mode de scrutin majoritaire. Sans faire cas de leurs différences, pourtant fondamentales, il s’allie avec la Ligue du Nord, qui revendique l’autonomie de l’Italie septentrionale, et le Mouvement social italien (MSI, postfasciste), qui, au contraire, prône un Etat fort et centralisé et qui a les faveurs des électeurs du Sud.

La promesse d’une « révolution libérale »

Le 10 mai 1994, Silvio Berlusconi est nommé président du conseil sur la promesse de conduire une « révolution libérale ». L’expérience est de courte durée. Au mois de décembre, la Ligue du Nord lui retire sa confiance. Silvio Berlusconi est alors soupçonné de liens avec la Mafia, laquelle aurait accompagné avec bienveillance tout à la fois sa réussite d’entrepreneur et d’homme politique. N’a-t-il pas hébergé dans sa villa d’Arcore le mafieux Vittorio Mangano dans une fonction fictive de palefrenier ? Au prix de quel accord secret ? Berlusconi soutiendra que la présence de cet homme lui permettait justement de se protéger des menaces de Cosa Nostra contre lui-même et sa famille. Malgré ses dénégations, il est mis en examen et le président de la République, Oscar Luigi Scalfaro, nomme à sa place le ministre de l’économie Lamberto Dini.

Revenu dans l’opposition, il ne s’avoue pas vaincu. Alors que la gauche s’installe au palais Chigi et tombe très vite dans l’impopularité, il se présente de nouveau à la tête d’une même coalition de droite baptisée « La Casa delle Liberta » (« la maison des libertés »), aux élections de 2001, qu’il remporte. Il sera l’un des rares chefs de gouvernement italiens à pouvoir conduire son mandat jusqu’à son terme, en 2006. Toutefois, il est battu une nouvelle fois par Romano Prodi, la même année. Divisé, le centre gauche ne parvient pas à se maintenir au pouvoir plus de deux ans.

Lire aussi (2003) : Article réservé à nos abonnés Cerné par les juges, Silvio Berlusconi recherche une immunité

Un nouveau scrutin provoque le retour de Silvio Berlusconi aux affaires, en 2008. L’attelage qui le soutient (Forza Italia, Ligue du Nord et Alliance nationale) est identique, même s’il prend le nom, cette fois, d’Il Popolo della liberta (« le peuple de la liberté »), ébauche d’un parti unique de la droite qui fait pendant à la création, quelques mois plus tôt, du Parti démocrate (centre gauche). Les mots d’ordre sont également les mêmes : lutte contre les communistes (même si le PCI s’est sabordé en 1991), contre les magistrats « rouges » qui s’acharnent contre lui, libéralisation de l’entreprise et baisse des taxes.

Des affaires personnelles lucratives

Si les effets de sa politique sur l’Italie, encalminée dans une croissance atone, puis dans la récession, sont douteux, il n’en va pas de même pour ce qui concerne ses affaires personnelles. Niant l’idée qu’il puisse exister un conflit d’intérêts entre son activité d’entrepreneur et sa fonction de président du conseil, il fera toujours en sorte d’exercer la seconde au profit de la première. Jamais ses sociétés ne se sont mieux portées que lorsqu’il exerçait le pouvoir. Sous son autorité, le gouvernement dépénalise le « faux bilan », raccourcit les délais de prescription pour certains délits financiers et de corruption dont il est accusé, les chaînes de télévision du groupe Mediaset enregistrent des records de rentrées publicitaires, alors qu’il met au pas la direction de la RAI. Dans le même temps, les droits de succession sont allégés, au point de disparaître presque totalement.

Silvio Berlusconi, en 1986.

L’opposition a calculé qu’il avait édicté 21 lois dites « ad personam » qui lui permettront de sortir sans dommages, outre celui de devoir entretenir une armée d’avocats à prix d’or, de la trentaine de procès qui lui ont été intentés. Cette forme de privatisation du pouvoir est illustrée par le choix de sa résidence romaine, au piano nobile du palais Grazioli (1 000 mètres carrés loués au centre de Rome), où se mêlent vie privée et activités publiques, au détriment de l’appartement de fonction du chef du gouvernement au palais Chigi, où il ne passera qu’une seule nuit.

Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Sexe, mensonges et Silvio

Comment qualifier le dernier mandat de Silvio Berlusconi ? De baroque ? Tronqué ? Comment expliquer que les Italiens lui aient confié, une nouvelle fois, les rênes du pays, alors qu’il avait eu le temps de faire la preuve de son incompétence et de son peu d’intérêt pour la chose publique ? Par une forme d’anarchisme latent qui leur ferait préférer une caricature du pouvoir à la majesté théorique de son exercice ? Lorsque, au printemps 2009, éclate le scandale Noemi Letizia, du nom d’une jeune fille de Naples, encore mineure, courtisée par Silvio Berlusconi, la bienveillance de beaucoup de Transalpins à l’égard des frasques de leur président du conseil se transforme en un sentiment de honte, voire de dégoût.

Réseau de proxénétisme

Cette nouvelle est immédiatement suivie par une déclaration au vitriol, publiée par le quotidien La Repubblica, de l’épouse de Berlusconi, Veronica Lario, qui, non seulement annonce qu’elle demande le divorce, mais prie les amis de son mari de le protéger contre ses appétits sexuels inextinguibles malgré sa santé fragile (cancer de la prostate en 1997, pose d’un stimulateur cardiaque en 2006). Peine perdue. Quelques mois plus tard, Patrizia D’Addario, une femme originaire des Pouilles, entre en scène et révèle que des parties fines sont organisées régulièrement au palais Grazioli ou dans la villa d’Arcore, dans les faubourgs de Milan.

Silvio Berlusconi et le portrait de sa femme Veronica Lario (en arrière-plan), lors de l’enregistrement d’une émission télé, à Rome, le 5 mai 2009.

Alors que l’Italie s’enfonce dans la plus longue récession de son histoire, Silvio Berlusconi, lui, plonge à corps perdu dans la luxure. Bientôt un système se fait jour tout entier consacré à la satisfaction du satrape. L’affaire « Ruby », du surnom d’une jeune fille que Silvio Berlusconi a tenté de présenter comme la nièce de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, révèle un réseau de proxénétisme sous la tutelle d’une ancienne conseillère régionale, d’un ex-présentateur vedette de journal télévisé et du comptable personnel du président du conseil. Des dizaines de filles sont nourries, logées et payées pour se tenir au service des désirs du Cavaliere et se taire.

L’écho de ces affaires est considérable, pas seulement en Italie. Le pays et son chef perdent ce qui leur restait de crédit sur la scène internationale. Silvio Berlusconi, qui avait, à défaut d’être visionnaire, toujours su capter l’humeur des Italiens, soutient que son pays va bien et « que les restaurants et les avions sont pleins », alors que la dette s’envole. Secrètement, le président de la République, Giorgio Napolitano, prépare la suite. Le 12 novembre 2011, à la suite d’un vote banal à la Chambre où le gouvernement est mis en minorité, le président du conseil remet sa démission. Il est remplacé par Mario Monti.

Travaux d’intérêt général

Commence alors un long déclin. S’il soutient encore qu’il est une « victime », personne ne semble y croire, sinon ses proches. Poursuivi pour « prostitution de mineure », il est d’abord lourdement condamné puis relaxé en appel. Mais c’est une autre affaire, de fraude fiscale cette fois, qui le met hors jeu. Il est condamné, en 2012, à quatre ans de prison (peine ramenée finalement à une année), à deux ans d’interdiction de fonction publique et à six ans d’inéligibilité.

En raison de son âge, l’essentiel de cette peine sera commué en travaux d’intérêt général, dont il s’acquitte dans un hospice de vieillards, dans la banlieue de Milan. Toutefois, le Sénat, où il a été élu en 2013, prononce la déchéance de tous ses mandats jusqu’en 2019. Silvio Berlusconi, une fois encore, crie au complot. Désormais, il consacre l’essentiel de son énergie à éviter l’émergence d’un véritable successeur politique. A partir de 2014 commence le temps des scissions. Des figures influentes comme les parlementaires Raffaele Fitto, Angelino Alfano et Denis Verdini quittent Forza Italia pour fonder de petits partis centristes, affaiblissant, à chaque fois, son influence au Parlement, tout en réduisant considérablement le vivier de talents dont il disposait.

Lire l’analyse: Article réservé à nos abonnés Silvio Berlusconi, l’histoire sans fin

Il faudra attendre 2019 pour que, tirant les conséquences de son affaiblissement physique qui l’oblige à limiter ses apparitions publiques, il finisse par désigner un de ses derniers fidèles de poids, l’ancien président du Parlement européen Antonio Tajani, comme dirigeant opérationnel de Forza Italia. Celui-ci s’emploiera à prendre le moins d’initiatives possible, sans manquer une occasion de rappeler sa fidélité inconditionnelle.

Dans les urnes, le déclin progressif de Forza Italia s’aggrave. Lors des élections générales du 4 mars 2018, pour lesquelles Silvio Berlusconi avait tenté un retour au premier plan, dans la peau du sauveur de la droite, son parti n’obtient que 14 % des voix et est devancé de plus de 3 points par la Ligue de Matteo Salvini (extrême droite), qui a su profiter du vide créé par l’affaiblissement de son adversaire pour « occuper le terrain » et mener une campagne très efficace fondée sur le rejet de l’Europe et des migrants. Un an plus tard, lors des élections européennes, Forza Italia descendra sous les 9 %. Dans un paysage politique marqué par la radicalisation des droites et l’émergence, au côté de Matteo Salvini, d’une nouvelle formation postfasciste, Fratelli d’Italia, qui obtiendra 26 % des suffrages lors des législatives de l’automne 2022, la droite berlusconienne est devenue une force d’appoint, culminant à 8 % des voix et forte de 45 députés et 18 sénateurs.

Côté business, les dernières années de sa vie semblent marquées par l’obsession de consolider son héritage en maintenant l’union entre ses cinq enfants, malgré la mésentente notoire entre les deux aînés, Marina et Pier Silvio, issus de son union avec Carla Dall’Oglio et impliqués de longue date dans la direction du groupe, et les trois enfants conçus avec Veronica Lario, nés vingt ans plus tard, dans les années 1980.

Au printemps 2017, Silvio Berlusconi se sépare, au profit de mystérieux investisseurs chinois, de son club, le Milan AC, qui au fil du temps a perdu beaucoup de sa superbe et était devenu un important foyer de pertes. Au printemps 2016, il commence à discuter avec l’homme d’affaires français Vincent Bolloré, propriétaire de Vivendi, pour nouer une alliance qui consoliderait son empire médiatique, mais les rapports entre les deux hommes se dégradent, alors que le Français augmente sa participation dans le groupe Mediaset jusqu’à près de 30 %, provoquant l’éclatement d’un conflit judiciaire entre les deux hommes d’affaires. Vincent Bolloré portera jusqu’à Bruxelles une contestation contre les lois sur mesure qui protégeaient son rival de tout risque de perte de contrôle de son groupe.

Lire : Article réservé à nos abonnés Soleil couchant sur l’ère Berlusconi au Milan AC

Revigoré un temps par ce combat dans lequel il mettra une fois de plus son influence politique au service de ses affaires privées, l’ancien président du conseil parvient de moins en moins à faire oublier son affaiblissement inéluctable.

Silvio Berlusconi, lors de l’inauguration du siège de la coordination régionale lombarde de Forza Italia, à Milan, le 19 novembre 2022.

Séparé en 2020 de sa compagne Francesca Pascale, Silvio Berlusconi s’offre le luxe d’une dernière romance avec Marta Fascina, une parlementaire de Forza Italia, ancienne mannequin, alors âgée de 30 ans. Durant les derniers mois de sa vie, celle-ci deviendra un interlocuteur privilégié de tous ceux qui cherchent à atteindre le Cavaliere vieillissant, affaibli par un Covid long et de multiples alertes cardiaques. Condamné à des apparitions publiques sans cesse plus brèves, l’ancien premier ministre quitte le palais Grazioli, au centre de Rome, passant le plus clair de son temps dans sa villa d’Arcore. Ses proches le convaincront une dernière fois, en février 2022, de tenter sa chance pour l’élection à la présidence de la République, mais sa candidature fait long feu.

Quelques semaines plus tard, l’invasion russe de l’Ukraine, décidée par son ami Vladimir Poutine, auquel il ne cessera de manifester son amitié, achèvera de marginaliser le Cavaliere et son parti, de plus en plus isolé au sein du Parlement européen. En déclarant, en février 2023, que l’offensive russe du 24 février 2022 avait été causée par les « attaques » de l’Ukraine et en rejetant la faute de la guerre sur le président Zelensky, l’ancien président du conseil forcera son alliée Giorgia Meloni, plus qu’embarrassée, à rappeler son « ferme soutien » à l’Ukraine. Mais, pour la plupart des observateurs, cette énième provocation de l’ancien homme fort de la droite sera moins analysée comme la preuve d’un désaccord politique que comme celle de l’affaiblissement d’un très vieil homme, ayant perdu depuis des mois toute prise avec la réalité.

Silvio Berlusconi en quelques dates

29 septembre 1936 Naissance à Milan

1974 Crée la Fininvest, holding de contrôle de ses activités

1978 Adhère à la loge maçonnique P2

1980 Lance la chaîne de télévision Canale 5

1986 Rachète le club de football Milan AC

1994 Lance son parti Forza Italia et devient président du Conseil

2001-2006 Président du conseil

2009 Première mise en cause dans un scandale sexuel

2008-2011 Président du conseil

2012 Condamné pour fraude fiscale

2013 Déchu de tous ses mandats jusqu’en 2019

2017 Vend le Milan AC à des investisseurs chinois

12 juin 2023 Mort à Milan

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