Pénuries

Eau douce : un sommet à l’ONU pour éviter une crise mondiale «incontrôlable»

L'eau, une ressource essentielle et menacéedossier
Ce mercredi et jusqu’à vendredi, gouvernements et ONG participent à une réunion historique sur le partage d’une ressource vitale dont la demande explose, sous l’effet de la démographie et du changement climatique.
par Margaux Lacroux
publié le 22 mars 2023 à 12h51

Malgré l’importance de l’enjeu, il y a près d’un demi-siècle qu’un sommet de l’ONU n’avait pas été consacré à l’eau douce. A partir de ce mercredi et jusqu’à vendredi, quelque 6 500 participants sont attendus au siège des Nations unies, à New York, pour réfléchir à cette ressource vitale et malmenée. Un thème d’actualité, au moment où la France entame sa deuxième année de sécheresse et surtout où la corne de l’Afrique entre dans une sixième saison des pluies… sans pluie. La crise climatique amplifie les conséquences d’une mauvaise gestion globale de l’or bleu, ce qui fait flamber les tensions. «Nous avons brisé le cycle de l’eau», a déploré Henk Ovink, envoyé spécial des Pays-Bas pour l’eau aux Nations unies, en amont de la conférence. Et d’ajouter : «Nous prenons trop d’eau dans le sol, nous polluons l’eau qui reste.» Ces problèmes persistants causent maladies, morts prématurées et déplacements de populations.

Un quart de la population mondiale n’a toujours pas accès à l’eau potable

Une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que des dizaines de ministres et des centaines de représentants de la société civile et du monde des entreprises seront présents à New York pour tenter d’améliorer la gouvernance mondiale face à cette crise. Contrairement à la santé ou à l’agriculture, l’eau n’a pas d’agence dédiée au sein de l’ONU. Mais l’un des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) mondiaux fixés en 2015 la concerne. Il s’agit du sixième, qui se décompose en huit cibles : accès à l’eau potable à un coût abordable, à des services d’assainissement et d’hygiène pour tous, amélioration de la qualité de l’eau, restauration des écosystèmes liés à l’eau (montagnes, forêts, zones humides, rivières…) ou gestion durable de la ressource. Cette réunion internationale vise à faire un point d’étape, à mi-parcours. Car les objectifs de 2015 doivent être remplis par tous les Etats à l’horizon 2030.

Le chemin est encore long. A ce rythme «aucune cible de l’ODD 6 ne sera atteinte» déplore Richard Connor, auteur principal d’un rapport bilan de l’ONU-Eau et de l’Unesco, publié ce mercredi. En 2019, le même estimait qu’il faudrait «tripler le niveau d’investissements actuel, soit 114 milliards de dollars» pour y parvenir. Aujourd’hui, encore un quart de la population mondiale (2 milliards de personnes) n’a toujours pas accès à l’eau potable, près de la moitié (3,6 milliards de personnes) n’a pas de toilettes, et 40 % des masses d’eau répertoriées ne sont pas en bon état. «Dans certains domaines, le rythme de mise en œuvre doit être multiplié par quatre voire plus», calcule le rapport.

Même en France métropolitaine, «400 000 personnes vivant en habitat précaire ne sont pas raccordées à un réseau de distribution d’eau potable ou d’assainissement. Une situation plus alarmante encore dans les territoires d’outre-mer français», pointent les ONG Action contre la faim, Coalition eau et Secours islamique France.

Les pénuries vont s’aggraver

Cela n’augure rien de bon pour l’avenir. Sans mobilisation de la communauté internationale, les «pénuries vont s’aggraver au cours des décennies à venir», préviennent l’Unesco et ONU-Eau. Car la pression humaine sur les ressources mondiales augmentera de près de 1 % par an jusqu’en 2050, «sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l’évolution des modes de consommation». Dans les villes, la demande devrait connaître une hausse de 80 %. En conséquence, le nombre d’habitants des métropoles confrontés à des pénuries devrait doubler, passant de 930 millions en 2016 à environ 2 milliards de personnes en 2050. Les deux institutions notent par ailleurs que «les sécheresses extrêmes et prolongées ont également une incidence croissante sur les écosystèmes et entraînent des conséquences désastreuses pour les espèces végétales et animales» dont les humains dépendent. Le changement climatique exacerbant les événements extrêmes, de nombreuses régions alterneront entre manque d’eau plus marqué et pluies torrentielles, qui provoqueront davantage d’inondations.

«Il est urgent d’établir de solides mécanismes internationaux pour éviter que la crise mondiale de l’eau ne devienne incontrôlable. L’eau est notre avenir commun et il est essentiel d’agir ensemble pour la partager équitablement et la gérer durablement», a déclaré la directrice générale de l’Unesco, Audrey Azoulay. De son côté, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’alarme : «Une surconsommation et un surdéveloppement vampiriques, une exploitation non durable des ressources en eau, la pollution et le réchauffement climatique incontrôlé sont en train d’épuiser, goutte après goutte, cette source de vie de l’humanité.»

Il n’existe pour l’heure pas de traité contraignant sur l’eau, mais les Etats peuvent s’engager à faire de nouveaux efforts et consigner leurs promesses dans le Water Action Agenda, une plateforme de l’ONU recensant les intentions des différents pays. De nombreuses ONG espèrent que ce sommet sera l’occasion de revoir les ambitions à la hausse. Action contre la faim, la Coalition eau et le Secours islamique France appellent ainsi «le président Emmanuel Macron à se rendre à cette conférence pour incarner un leadership politique dans ce domaine et impulser une mobilisation de la communauté internationale pour l’organisation de réunions internationales régulières sur l’eau». Un poste d’envoyé spécial des Nations unies sur l’eau pourrait aussi être créé pour mieux porter ce sujet lors des grands événements mondiaux.

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