Des dizaines de milliers de fonctionnaires se sont mis en grève jeudi en Irlande du Nord, un mouvement d'une ampleur inédite déclenché par la crise du pouvoir d'achat, aggravée par la paralysie politique qui dure depuis deux ans dans la province britannique.

Seize syndicats représentant les secteurs de l'enseignement, du transport ou encore les infirmières avaient appelé à cesser le travail, les syndicats évoquant le plus important conflit social dans l'histoire de la province.

Les écoles sont restées fermées, les transports à l'arrêt, et l'activité des services de santé a été fortement réduite.

Plusieurs milliers de salariés se sont réunis toute la journée pour des piquets de grève et des manifestations ont eu lieu, notamment à Belfast et Londonderry.

Dans la capitale, certains brandissent des pancartes sur lesquelles est écrit: "Un salaire juste maintenant", ou "Honte", à côté de photos du ministre britannique en charge de l'Irlande du Nord Chris Heaton-Harris et du chef du principal parti unioniste (DUP) Jeffrey Donaldson, dont la formation boycotte les institutions locales, perturbant le fonctionnement des services publics.

L'envolée des prix depuis un an et demi a provoqué une grave crise du pouvoir d'achat et de nombreuses mouvements sociaux au Royaume-Uni, mais le contexte est particulièrement difficile en Irlande du Nord. La grève, dont le coût est estimé à plus de 10 millions de livres sterling (environ 11,6 millions d'euros) y intervient alors que l'impasse politique s'éternise.

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Du personnel médical sur un piquet de grève devant l'hôpital Royal Victoria de Belfast, le 18 janvier 2024 en Irlande du Nord

Le DUP s'est retiré des institutions locales en février 2022 pour protester contre les dispositions commerciales post-Brexit, qui selon lui menacent la place de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni.

Enveloppe proposée par Londres

Faute de Parlement et d'exécutif locaux, compétents en théorie sur de nombreux sujets comme l'éducation ou la santé, Londres gère les affaires courantes, entraînant une baisse de financements pourtant cruciaux pour de nombreux services publics désormais à l'agonie.

Le ministère chargé de l'Irlande du Nord au sein du gouvernement britannique est "en ruine", les ministres "ont le pouvoir de résoudre ces conflits liés aux salaires et ils devraient le faire maintenant", a lancé à la tribune à Belfast Paddy Mackel, du syndicat Nipsa.

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Manifestation de soutien aux grévistes du secteur public à Belfast, le 18 janvier 2024 en Irlande du Nord

Chris Heaton-Harris a rappelé lundi qu'une enveloppe de 3,3 milliards de livres sterling (3,8 milliards d'euros) proposée par Londres le mois dernier était disponible, à condition que l'assemblée locale redémarre.

De cette enveloppe, environ 584 millions de livres (680 millions d'euros) sont destinés à augmenter les salaires des fonctionnaires.

Nombre d'entre eux n'ont "pas eu d'augmentation depuis trois ans, malgré la situation post-Covid et la crise du coût de la vie", avait critiqué mercredi le secrétaire général du Congrès des organisations syndicales Owen Reidy.

"Je travaille aujourd'hui pour un salaire moindre que lorsque j'ai commencé" il y a 25 ans, abonde dans le cortège de Belfast Heather Philipps, travailleuse sociale et membre du syndicat Unite.

Chris Heaton-Harris "a agité une carotte en disant qu'il avait l'argent (pour augmenter les salaires) mais il ne le distribue pas. Et une partie de notre gouvernement doit se réveiller et dire que la plaisanterie a assez duré", ajoute-t-elle.

Les syndicats font valoir que les fonds pour les augmentations de salaire doivent être débloqués dès que possible indépendamment du redémarrage des institutions locales, le DUP accusant quant à lui Londres d'utiliser la grève comme levier pour pousser le parti à mettre fin à son boycott.

Selon le chef du DUP Jeffrey Donaldson, le gouvernement britannique dispose de l'argent et des pouvoirs nécessaires pour que les hausses de salaires soient immédiates.

Au-delà de la crise actuelle, la vice-présidente du parti républicain Sinn Fein, grand vainqueur des dernières élections et favorable à une unification avec la République d'Irlande, Michelle O'Neill, a exprimé mercredi ses craintes quant à la survie des "institutions démocratiques" issues de l'accord du Vendredi saint, qui avait mis fin en 1998 à trois décennies de violences en Irlande du Nord.