Un flacon de comprimés d'hydroxychloroquine dans une pharmacie de Provo, le 20 mai 2020 dans l'Utah

Un flacon de comprimés d'hydroxychloroquine dans une pharmacie de Provo, le 20 mai 2020 dans l'Utah

afp.com/GEORGE FREY

L’hydroxychloroquine est probablement le médicament qui a le plus fait parler de lui depuis la pandémie de Covid-19. Promue "molécule miracle" par le Pr Didier Raoult, ex-directeur de l’IHU de Marseille, l’hydroxychloroquine a d’abord été prescrite massivement dans de nombreux pays. Puis les études confirmant son inefficacité dans le traitement de cette maladie, associée ou non à d’autres molécules, se sont accumulées. Tout comme les travaux qui ont montré qu’elle pouvait avoir des effets indésirables potentiellement dangereux, dont des troubles du rythme cardiaque, mais aussi provoquer une perte de chance pour les patients en retardant l’utilisation d’autres traitements efficaces.

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Aujourd’hui, la question fait consensus parmi les communautés scientifiques et médicales : l’hydroxychloroquine est inefficace et potentiellement dangereuse dans le traitement du Covid-19. Et de nouveaux éléments permettent d’asseoir encore un peu plus cette position, puisqu’une équipe de chercheurs emmenée par Jean-Christophe Lega, professeur de thérapeutique aux Hospices Civils de Lyon, vient de publier une étude dans laquelle ils indiquent que les prescriptions d’hydroxychloroquine, lors de la première vague du Covid-19, ont provoqué des milliers de morts.

16 990 morts dans six pays, dont la France

Leurs travaux, préliminaires à l’époque, avaient été présentés une première fois en juin 2022, puis en juin 2023. Cette fois, les résultats finaux sont publiés en bonne et due forme dans la revue scientifique Biomedicine & Pharmacotherapy, qui a vérifié les calculs et analyses des chercheurs. "Les relecteurs n’ont pas remis en cause notre méthode et confirmé que nous avions été extrêmement prudents dans nos estimations, indique le Pr Jean-Christophe Lega, coauteur de l’étude, interrogé par L'Express. Notre certitude concernant la mortalité hospitalière est extrêmement forte", insiste-t-il. Les conclusions de son équipe sont claires : l’hydroxychloroquine a causé la mort de 16 990 personnes dans l’ensemble des six pays étudiés, soit la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, la Turquie et les Etats-Unis.

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Pour aboutir à ce résultat, l’équipe du Pr Lega a estimé la mortalité hospitalière mondiale attribuable à l’utilisation de l’hydroxychloroquine en combinant le taux de mortalité, l’exposition à l’hydroxychloroquine, le nombre de patients hospitalisés et l’augmentation du risque relatif de décès lié à ce médicament, estimé à 11 % selon les résultats d'une précédente étude parue dans Nature Communications.

Le taux de mortalité des patients hospitalisés dans chaque pays a ensuite été obtenu grâce au résultat d’une méta analyse regroupant les résultats de 44 essais cliniques. "En utilisant les estimations médianes de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans chaque pays, nous avons estimé que 16 990 décès hospitaliers liés à ce médicament sont survenus dans les pays pour lesquels des données étaient disponibles", précisent les auteurs.

Un total probablement sous-estimé

"Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il s’agit d’une estimation grossière, dans le sens ou elle ne concerne que quelques pays pendant une courte période et que le nombre total de morts est probablement bien plus grand", souligne le Pr. Lega. En effet, ces travaux analysent les résultats de six pays "seulement" - l'Inde et le Brésil, très importants prescripteurs d'hydroxychloroquine, sont par exemple absents - et ne portent que sur la période mars-juillet 2020, alors que les prescriptions d’hydroxychloroquine ont été effectuées bien après cette date.

"De plus, cette étude ne comptabilise que les morts hospitaliers : tous les arrêts cardiaques en ville ne sont pas pris en compte, ajoute le Pr Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux, qui a lu l’étude mais n’y a pas participé. Ce chiffre ne représente donc que la partie émergée de l’iceberg et pourrait être sous-estimé jusqu’à un facteur cinq : il s’agit d’un véritable scandale sanitaire."

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Une autre limite de l’étude est que les taux de prescription d’hydroxychloroquine fluctuent considérablement d’un pays à l’autre, allant de 16 % (en France) à 84 % (en Espagne). Le nombre de morts associés à l’usage de ce médicament varie également grandement : de 95 en Turquie, à 199 en France, 240 en Belgique, 1 822 en Italie, 1 895 en Espagne et jusqu'à 12 739 aux Etats-Unis. Les auteurs reconnaissent bien volontiers ces limites dans les conclusions de leur étude, où ils indiquent que leurs estimations "sont limitées par leur imprécision". Ils assurent néanmoins que leurs résultats "illustrent le risque de réorienter des médicaments avec des preuves de faible niveau".

Des recommandations pour une éventuelle future pandémie

C’est la raison pour laquelle les scientifiques ont écrit un paragraphe entier consacré aux recommandations en prévision d’une éventuelle future pandémie. "Nous estimons d’abord qu’il est nécessaire de mettre en place une meilleure régulation des médicaments candidats en cas de nouvelle maladie, souligne le Pr Lega. Il faudrait, ensuite, mettre en place des plateformes de randomisations qui permettent de produire, en quelques mois seulement, des études dotées d’un très haut niveau de preuve scientifique."

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Les chercheurs rappellent également que les élus politiques devraient limiter leurs injonctions à la communauté médicale. "L’exemple le plus frappant est la communication de Donald Trump, qui a largement promu l’hydroxychloroquine. Or, même s’il n’est pas possible de prouver qu’il est directement responsable, nous avons constaté une explosion des prescriptions de ce médicament après ses prises de position", illustre le Pr Lega. Enfin, les chercheurs rappellent que les experts devraient, eux aussi, se montrer plus prudents, et éviter de "générer des extrapolations." Une critique à peine voilée au Pr Didier Raoult.

La future étude du Pr Lega et de son équipe portera sur les effets de tous les traitements prescrits lors de la pandémie. "Nous avons effectué une nouvelle revue systématique de l’ensemble des molécules et avons déjà constaté que le taux d’exposition aux médicaments a été extrêmement important, avec l’usage de cocktails médicamenteux, explique le chercheur. Nous voulons tenter de savoir quels effets cela a eu et s’il faut laisser les médecins prescrire ce qu’ils veulent en les laissant se baser sur leur intuition ou non." Selon lui, la réponse sera probablement négative.

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