Assis sur la pierre toute lisse de son perron, dans une rue vide, Yitzhak Azoulay étend ses jambes en grimaçant. Sur les hauteurs de Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël, il ne reste presque plus personne. Les tirs d’artillerie dans la montagne, qui s’élève en pente raide juste après le quartier déserté, trahissent la proximité du Liban, à quelques kilomètres à vol d’oiseau. De nouveaux échanges de tirs sont en cours entre les forces israéliennes et celles de la milice du Hezbollah, si proche.
Côté israélien, l’évacuation de 14 localités frontalières a été annoncée, dimanche 22 octobre, en plus d’une première liste de 28 communes et kibboutz, dégageant une bande de quatre kilomètres de profondeur pour les opérations militaires. Parmi les voisins de Yitzhak, ceux qui ont des voitures ont rempli les coffres et s’en sont allés plus au sud. Les derniers attendent des bus affrétés par le gouvernement.
Quelques jours plus tôt, la ville vaquait à ses occupations. Dimanche, tout le monde s’en va. A un arrêt de bus, un petit groupe s’est formé, bagages à portée de main. Il y a un peu de nervosité dans l’air. Une dame avec un joli tatouage de rose sur son avant-bras, orné du mot family, s’exaspère de ne pas avoir de précision sur l’endroit exact où viendra le bus qui doit emmener sa famille, dont ses deux garçons qui font la tête, vers des zones d’Israël éloignées du Hezbollah. « J’ai reçu un message disant que le départ était à onze heures, mais ils n’ont pas dit où était le point de rendez-vous. »
Une logistique bien réglée
La logistique est pourtant bien réglée. « Il faut s’en aller. Moi, je n’ai pas envie de mourir », dit la mère de famille sur les nerfs, tandis que ses deux adolescents s’abîment dans la contemplation de leur téléphone et que le petit chien d’une voisine se met à japper pour réclamer des croquettes. Tous grimperont bientôt dans leur bus.
C’est une évacuation en bon ordre, avec des moyens. Yitzhak Azoulay, d’ailleurs, prévient : il n’acceptera d’être installé par le gouvernement qu’au bord du lac de Tibériade, « sinon je reste chez moi ». A 78 ans, il s’est blessé le dos le mois dernier en tombant d’une chaise sur laquelle il était monté pour réparer un fil électrique au plafond de sa terrasse. A tout prendre, il préférerait qu’Israël envahisse le Liban, pour « régler cette affaire », plutôt que d’être évacué. Tout a l’air, au fond, si familier. Sa chère terrasse, bricolée et arrangée au fil du temps, a été touchée à deux reprises déjà par des tirs en provenance du Liban. En 1994, l’éclat d’une roquette a blessé à la jambe sa fille Hannah, qui dormait dans la chambre sous la terrasse. Celle-ci a déjà fui Kiryat Shmona et s’est installée à l’autre extrémité du pays, à Eilat.
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