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Low-cost

Voyager depuis la France vers une métropole européenne en train coûte deux fois plus cher qu’en avion

Un rapport européen de Greenpeace compare le prix des billets sur terre et dans le ciel dans vingt-sept pays du Vieux Continent. Le rail, écologiquement vertueux, reste bien plus onéreux que les vols low-cost.
par Nina Guérineau de Lamérie
publié le 21 juillet 2023 à 8h19

La généralisation des voyages en train ne semble être (encore) qu’une lointaine utopie. A l’heure des départs estivaux, un rapport européen de Greenpeace, publié jeudi 20 juillet, révèle que circuler en France par voies ferrées coûte «2,6 fois plus cher» que de se déplacer par les airs, toutes liaisons confondues et à trajet égal. Un phénomène qui, par ailleurs, touche aussi les vingt-six autres pays européens étudiés à la loupe par l’ONG. En règle générale, un billet de train ralliant deux grandes villes européennes vaudra le double de l’avion. Parfois, les prix dépassent l’entendement. Sur les 112 itinéraires décryptés, c’est l’axe Barcelone – Londres qui remporte la palme du plus gros écart. Le rail peut être trente fois plus élevé que l’aérien pour un voyage le même jour. Et si voler est attractif, cela signifie souvent que l’alternative ferroviaire est «soit très lente, soit très mauvaise, à l’instar de Tallinn – Riga et Varsovie (Pologne) – Ljubljana (Slovénie)», prévient Greenpeace.

L’Hexagone n’est pas épargné, et fait même partie des plus mauvais élèves, en troisième position, à égalité avec la Belgique, derrière le Royaume-Uni (4 fois) et l’Espagne (3,9 fois). Ce, alors que l’aérien pollue jusqu’à quatre-vingt fois plus que le ferroviaire par trajet et par passager, à rebours, donc, de la lutte contre le changement climatique, rappelle l’organisation environnementale. «C’est préoccupant, mais pas nouveau. Cela confirme le sentiment de plein de gens», réagit Charlène Fleury, porte-parole de l’association Rester sur terre. Et Anthony Yaba, d’Alternatiba, d’ajouter : «On le constate nous-mêmes en tant qu’usagers et usagères.»

Pour arriver à ces résultats, Greenpeace a comparé, entre le 25 avril et le 12 juillet, les prix des billets pour vingt itinéraires de moins de 1 500 kilomètres en partance de grandes villes françaises et à destination de métropoles et capitales européennes. Ces voyages devaient être «raisonnablement parcourus en train, c’est-à-dire en une journée, ou en train de nuit ou avec des correspondances n’excédant pas 24 heures de voyage», détaille l’ONG. Les tarifs ont ensuite été analysés selon trois perspectives temporelles : un billet acheté à une semaine du départ, puis à trente jours, et enfin à quatre mois. Conclusion : 17 des 20 parcours sont majoritairement moins chers en avion.

Marseille – Londres 6,7 fois plus cher en train

Sur certaines lignes, la différence est aberrante. Un voyage Paris – Valence (Espagne) peut ainsi être jusqu’à douze fois plus onéreux (322 euros contre 25,99, cite Greenpeace) par la terre. Et «le ratio moyen est à 6,7 fois pour un Marseille – Londres», poursuit l’étude. Certes il y a bien quelques exceptions mais ces tarifs ferroviaires avantageux ne sont accessibles que certains jours de la semaine. Aussi, face à ces écarts abyssaux, le choix des Français rêvant de s’échapper en Europe est vite fait. De même pour ceux qui souhaitent rallier Strasbourg depuis Bordeaux, ou Paris depuis Toulouse (une des lignes les plus empruntées). Là, «alors qu’il existe des liaisons ferroviaires très efficaces», les vols restent toujours plus attractifs. Pourtant, «plein de gens sont prêts à passer au train», pointe Anthony Yaba. D’après un récent baromètre de Greenpeace France, les 18-34 ans sont favorables à 84% à un rééquilibrage des tarifs.

Mais, la situation actuelle n’incite pas à la transition. TVA à 10% au lieu de 20% pour les courts courriers, absence de TVA pour les vols internationaux, kérosène non taxé… «Le système politique et fiscal est très avantageux» pour le secteur de l’aviation, explique Valentin Desfontaines, responsable mobilité chez Réseau action climat. A contrario, le rail doit s’acquitter de droits de péage (40% du prix du billet), comme sur les autoroutes, et d’une taxe de 20% sur sa consommation en électricité pour faire rouler ses rames. Un déséquilibre qui, aujourd’hui, «ne permet pas au train de proposer des tarifs moins chers», précise l’expert. Et ces dernières années, en raison d’une inflation galopante, le prix du rail ne cesse d’augmenter, tandis que les offres se font de moins en moins avantageuses. A tout cela s’ajoute l’omniprésence des compagnies aériennes low-cost qui, grâce à des «pratiques tarifaires déloyales et agressives», peuvent proposer des billets inférieurs à ceux du marché des lignes aériennes traditionnelles, critique Greenpeace. Dans le rapport, sur les vingt lignes étudiées en France, seule une d’entre elles, la Nice – Munich, n’est pas opérée par une compagnie low-cost.

Pour y remédier, les organisations environnementales avancent quasiment toutes les mêmes solutions. Premièrement, selon elles, il faut que le gouvernement ait «le courage politique» de taxer le kérosène. «En 2022, le manque à gagner lié aux avantages fiscaux du secteur aérien est estimé à 4,7 milliards d’euros par an pour la France, calcule Greenpeace. Avec l’hypothèse conservatrice d’une reprise complète du trafic en 2025, ce manque à gagner grimpera à 6,1 milliards d’euros par an d’ici là.» Autant d’argent qui pourrait financer la relance des trains de nuit et, par exemple, permettre la création d’un «ticket climat» comme en Allemagne, affirment les différents représentants d’associations. Et pourquoi pas, abonde Charlène Fleury, mettre en place une taxe progressive sur les très grands voyageurs. «A partir du deuxième avion, le billet deviendrait plus cher, et ainsi de suite», déroule-t-elle.

Néanmoins, tous ont peu d’espoirs que cela change rapidement. «Il y a eu, récemment, des messages positifs, commence Valentin Desfontaines, faisant référence aux cent milliards d’euros d’investissements à destination du ferroviaire – dont une partie devrait être prélevée via une taxe sur le secteur aérien – annoncés par le ministre des Transports début juin. Mais ce n’est pas suffisant, les actes doivent suivre.» Surtout, le discours de l’exécutif reste pour le moment contradictoire : le 18 juillet, le média d’investigation l’Informé révélait que la ligne aérienne entre Strasbourg et Berlin arrêtée en 1999, allait être relancée grâce, entre autres, au soutien de l’Etat français, qui prévoit d’y investir 4,5 millions d’euros.

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