Le grand imam Ahmed Al Tayeb de la mosquée Al-Azhar au Caire, le rabbin écologiste David Rosen, le secrétaire d’État du Vatican Pietro Parolin, le secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale Thomas Schirrmacher ou encore Maureen Goodman, la directrice du mouvement spirituel d’inspiration hindouiste Brahma Kumaris…

Si le pape François ne sera finalement pas présent physiquement à Dubaï pour des raisons de santé, toutes les confessions vont bien s’unir sous la bannière de l’urgence climatique, pendant la 28e conférence des parties (COP28) qui s’ouvre cette semaine à Dubaï.

Les leaders religieux au cœur des débats

Les responsables religieux sont depuis longtemps conviés à ces grands sommets pour le climat, mais cette année, un pavillon multiconfessionnel leur sera consacré, pour pousser encore davantage à la collaboration interreligieuse et unifier leur action au sein de la COP28.

Au même titre que les membres d’ONG ou les chercheurs, les responsables religieux ont un statut « d’observateurs » à la COP. Ils peuvent donc avoir accès aux salles de négociation pour être témoins des discussions, rencontrer des délégations de pays ou encore participer au débat dans les tables rondes organisées en marge des négociations.

Fanny Petitbon, responsable de plaidoyer pour l’ONG internationale (non religieuse) Care, est une habituée de ces conférences. « Le fait même d’avoir accès aux salles de négociation est très important pour savoir ce que les États essaient de défendre. Cela permet d’affiner ensuite les plaidoyers pour les influencer dans le sens de la cause du climat », explique-t-elle. Un impact crucial auquel les responsables religieux peuvent donc aussi aspirer, théoriquement.

Dans les faits, les responsables religieux ne participaient jusqu’ici pas très activement aux jeux d’influence et de plaidoyer en cours dans les coulisses de la COP, comme en témoignent plusieurs observateurs rompus à l’exercice.

Une présence qui « influe sur les discussions »

Concrètement, leur statut ne change pas cette année, mais ce nouveau pavillon doit leur permettre d’avoir une action plus proactive et repérable. Situé à proximité des espaces de négociation, il se veut un carrefour de réflexion et de coopération interconfessionnelle. Au total, 65 sessions y seront organisées ainsi que de nombreuses réunions entre responsables religieux et négociateurs, « dans le but de les encourager à accroître les ambitions de leur pays », explique le rabbin Yonatan Neril, directeur du Centre interconfessionnel pour le développement durable, l’un des initiateurs du pavillon.

Même en évoluant au cœur des tractations, un leader religieux « ne va pas négocier les détails de tel ou tel article », souligne François Gemenne, coauteur du sixième rapport du Giec et membre de la délégation belge. « Les chefs d’État eux-mêmes ne négocient pas directement, les discussions sont trop techniques », explique-t-il. La présence et les prises de parole des responsables religieux peuvent « avoir un impact sur la manière dont les négociateurs voient les choses », relève-t-il. Mais si « leur présence influe sur les discussions », c’est de façon indirecte.

La religion, compas moral face à l’urgence écologique

« La contribution du pape (une intervention à distance est évoquée mais pas confirmée, NDLR) est attendue du point de vue moral pour nous rappeler qu’il ne s’agit pas d’un simple jeu diplomatique, ajoute Fanny Petitbon. Son rôle est davantage de l’ordre de l’impulsion, il met l’accent sur des principes qui nous poussent à plus d’ambition. » Ce rôle moral s’est déjà révélé efficace par le passé. En témoigne l’ampleur des débats déclenchés par l’encyclique Laudato si’ en 2015 et l’accord historique de Paris qui a suivi à la COP21 – par lequel les pays signataires se sont engagés à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

« Les religions sont universelles et ne sont pas associées à la défense d’intérêts d’un pays en particulier, d’où leur immense légitimité sur la question écologique », appuie Elena Lasida, économiste et enseignante à l’Institut catholique de Paris. Sans compter que « les communautés religieuses représentent 85 % de la population mondiale, donc quand il s’agit de protéger la planète, la religion a nécessairement voix au chapitre », appuie Yonatan Neril.

Dépasser les bonnes intentions

Lors d’une rencontre interreligieuse début novembre à Abu Dhabi, en amont de Dubaï, 28 responsables religieux, dont le cardinal Parolin, ont élaboré un texte pour appeler à « une action transformatrice » et « servir les communautés touchées et vulnérables ». Ce texte doit être signé par tous les leaders religieux présents au cours de la COP et ainsi porter leur message haut et fort auprès des gouvernants.

Les questions climatiques posent en outre des questions existentielles fondamentales, ajoute Laura Morosini, directrice Europe du mouvement Laudato si’. Le vocabulaire religieux et eschatologique a ainsi envahi les discours sur l’écologie : « On parle beaucoup de salut, en se demandant si l’on va sauver la planète ou si l’on se dirige vers un effondrement. » De plus, toutes les religions se rejoignent sur les questions de simplicité et de sobriété et ont donc beaucoup à offrir en matière d’alternative à « l’idolâtrie du PIB et des biens matériels », complète-t-elle.

Le pavillon de la foi est « un bel outil pour rappeler aux dirigeants qu’on les regarde avec un angle moral », résume Elena Lasida, tout en prévenant : il faudra veiller à « ne pas rester dans la seule déclaration de bonnes intentions ».

-------

Des cercles de silence pour « porter le cri de la terre »

En marge de la COP28, une quinzaine d’organisations chrétiennes appellent à la tenue de cercles de silence en France, estimant que « provoquer une action collective (…) est la seule voie à la hauteur de la gravité de la situation ». Les premiers cercles de silence devaient se tenir ce jeudi 30 novembre à Lyon et à la Défense. Réunis pour une heure, les participants sont conviés, quelles que soient leurs croyances, « à porter ensemble dans notre silence le cri de la terre et des pauvres » dans l’espace public. Parmi les organisations signataires de l’appel : Le mouvement Laudato si’, Fondacio, Le Dorothy, CCFD-Terre solidaire, la communauté du Chemin-Neuf.