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Présidentielle au Sénégal : l’opposant Bassirou Diomaye Faye, sorti de prison il y a dix jours, élu dès le premier tour

Le candidat antisystème du parti Pastef, 44 ans, devance très largement ses adversaires, qui l’ont félicité pour sa victoire. Un dénouement célébré dans la liesse par ses supporteurs, après des mois de crise politique.
par Célian Macé
publié le 24 mars 2024 à 23h29
(mis à jour le 25 mars 2024 à 23h47)

Un tsunami politique vient de balayer le Sénégal. Le principal candidat de l’opposition a remporté l’élection présidentielle dès le premier tour du scrutin. Du jamais vu, pour un opposant. Et quel opposant ! A 44 ans, le candidat du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) incarne un renouveau radical. L’ancien syndicaliste, pourfendeur de la corruption, souverainiste, antisystème, aux accents parfois populistes, porte un projet de rupture, non seulement avec le parti au pouvoir, mais avec la classe politique sénégalaise dans son ensemble.

Dès les premiers résultats affichés dans les bureaux de vote de Dakar – de même pour ceux de la diaspora –, l’écart entre Bassirou Diomaye Faye et ses concurrents est apparu immense. Les résultats égrainés dans la plupart des grands centres urbains le donnent aussi très largement en tête. Or, pour la première fois, en 2024, le Sénégal comptera davantage d’habitants des villes que de ruraux. Même dans certaines régions traditionnellement favorables au pouvoir, le candidat du Pastef semble bien résister. Aucun incident notable n’a été rapporté lors du déroulement du scrutin, conformément à la tradition démocratique bien ancrée dont s’enorgueillissent les Sénégalais.

Coups de klaxons, courses endiablées et feux d’artifice

Dans la capitale, les supporteurs du Pastef n’ont pas la prudence des journalistes : dès 20 heures, Dakar a explosé de joie comme au coup de sifflet d’une finale de Coupe du monde de football. Coups de klaxons ininterrompus, courses endiablées dans les rues, vuvuzelas, chants et même feux d’artifice improvisés ont salué la victoire de «Diomaye». A minuit, sept candidats avaient déjà félicité Bassirou Diomaye Faye pour sa victoire.

Son principal adversaire, le Premier ministre Amadou Ba, dauphin désigné du candidat sortant, a semblé un instant hésiter. «Au regard des remontées des résultats effectuées par nos équipes expertes, nous sommes certains d’être, dans le pire des cas, dans un couplé de second tour», indiquait même la direction de sa campagne dans la nuit, accusant le Pastef de tentative de «manipulation». Jusqu’au petit matin, les radios et les télévisions sénégalaises ont lu les résultats complets de chacun des 16 000 bureaux de vote du pays et de l’étranger, sans les agglomérer. Les résultats officiels ne seront pas connus avant plusieurs jours. Mais lundi après-midi, Amadou Ba a finalement appelé son concurrent pour le féliciter «de sa victoire dès le premier tour».

Dans la soirée, le futur président s’est exprimé pour la première fois devant la presse depuis sa victoire. Lisant ses notes, il a assuré que son pays resterait « l’allié sûr et fiable » de tous les partenaires étrangers « respectueux ». Diomaye a présenté son élection comme « le choix de la rupture » avec le système politique en place au Sénégal, et précisé que ses « chantiers prioritaires » seraient « la réconciliation nationale », la refondation des institutions » et « l’allègement sensible du coût de la vie ». Il s’est aussi engagé à « combattre la corruption à toutes les échelles ».

Un homme de l’ombre

Destin ébouriffant. Celui qui va devenir, si les résultats sont confirmés, le cinquième président du Sénégal, dormait il y a encore dix jours en prison. Poursuivi depuis onze mois – mais jamais jugé – pour «outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué», le candidat a été libéré in extremis à la faveur d’une loi d’amnistie votée par le Parlement, en même temps qu’Ousmane Sonko, son mentor. Le charismatique Sonko, de six ans son aîné, est sans conteste le véritable leader du Pastef, adulé par la jeunesse sénégalaise. Diomaye, lui, était jusqu’en début d’année un homme de l’ombre du parti, un organisateur, intellectuel, mal connu du grand public. Mais en janvier, le Conseil constitutionnel a rejeté la candidature de Sonko, en raison de sa condamnation définitive à six mois de prison avec sursis pour « diffamation » (envers le ministre du Tourisme). Son bras droit a été choisi comme candidat de substitution du parti.

Le «plan B» a fonctionné au-delà de toute attente. A leur sortie de prison, les deux hommes ont mené une campagne tambour battant à travers le Sénégal, attirant dans leur sillage des foules impressionnantes de jeunes supporteurs. Ils sont aujourd’hui aux portes du pouvoir. En toute logique, Bassirou Diomaye Faye s’assoira bientôt sur le fauteuil présidentiel. Quel rôle jouera alors Ousmane Sonko, l’artisan de cette folle victoire ? Il ne s’effacera certainement pas. Le programme du Pastef prévoit une réforme institutionnelle pour créer un poste de vice-président de la République. Un siège qui semble taillé sur mesure pour l’homme à l’origine de cette révolution, ont estimé des commentateurs. Le 15 mars, Bassirou Diomaye Faye a pourtant écarté cette possibilité, en précisant que cette proposition ne pourrait être mise en œuvre qu’à partir de 2029, après des consultations étendues.

Article actualisé à 15h30 avec les félicitations d’Amadou Ba à Bassirou Diomaye Faye.

Article actualisé à 23h30 avec les premières déclarations de Bassirou Diomaye Faye.

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