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Reconnaissance biométrique dans l’espace public : ce que contient la loi adoptée au Sénat

Votée en première lecture lundi, la proposition de loi entend réguler ces technologies de surveillance. Elle ouvre aussi la voie à un champ d’expérimentation inédit pour des outils controversés, comme la reconnaissance faciale.

Par  et (avec AFP)

Publié le 12 juin 2023 à 16h00, modifié le 13 juin 2023 à 12h16

Temps de Lecture 5 min.

Etant considérées comme sensibles par le règlement général sur la protection des données, les données biométriques font l’objet d’une attention juridique renforcée.

Les sénateurs ont adopté en première lecture, lundi 12 juin, une proposition de loi relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public, par 226 voix, contre 117, la gauche ayant voté contre. S’ils disent, avec ce texte, « pose[r] des interdits et défini[r] des principes relatifs à l’usage de ces technologies » dans le but de « faire obstacle à une société de surveillance », les parlementaires ouvrent aussi la voie à un champ d’expérimentation inédit pour des technologies controversées, comme la reconnaissance faciale.

Que dit la loi aujourd’hui ?

On parle généralement de reconnaissance biométrique pour parler des différentes technologies utilisées pour identifier une personne à partir de ses caractéristiques physiques ou biologiques. Les empreintes digitales ou la reconnaissance faciale à partir d’une photographie ou d’une vidéo en font partie.

Considérées comme sensibles par le règlement général sur la protection des données (RGPD), les données biométriques font l’objet d’une attention juridique renforcée. Elles ne peuvent être traitées qu’avec le consentement des personnes concernées ou « sur la base d’un intérêt public important », comme le rappellent la Commission nationale de l’informatique des libertés (CNIL) et un récent rapport sénatorial. La reconnaissance faciale sans le consentement de la personne visée, par exemple, est donc par principe interdite et son utilisation doit faire l’objet d’une autorisation par loi ou décret.

Quelles modifications propose ce nouveau texte ?

Le texte voté au Sénat entend créer un cadre légal d’expérimentation, pour trois ans, de la reconnaissance biométrique par les enquêteurs judiciaires et les services de renseignement. Cette période d’essai devra donner lieu à un rapport du gouvernement discutant de l’éventualité de pérenniser ou non ces usages.

Le texte fait la distinction entre l’utilisation de la reconnaissance biométrique a posteriori, c’est-à-dire, dans le cas de la reconnaissance faciale, sur des images récoltées puis traitées, et la reconnaissance biométrique en temps réel, plus sensible. L’usage de cette dernière sera circonscrit, pour les services de renseignement, à la lutte contre le terrorisme. Quant aux enquêteurs judiciaires, ils pourront y faire appel pour les mêmes motifs ainsi que pour les affaires d’enlèvements d’enfants ou pour identifier des suspects dans des affaires de criminalité particulièrement graves. Dans ces deux cas, les autorisations délivrées – soit par le premier ministre, soit par le procureur ou juge d’instruction – ne seront valables que quarante-huit heures.

Pour ce qui est du traitement biométrique a posteriori, il sera autorisé dans le cadre des enquêtes judiciaires pour terrorisme et faits graves, en s’appuyant sur les images et données déjà présentes dans le dossier d’enquête, et ce sur autorisation du procureur ou du juge d’instruction. Les services de renseignement pourront, eux, en demandant des autorisations d’un mois, utiliser la reconnaissance faciale sur des enregistrements de vidéosurveillance afin de retrouver un suspect en fuite dans une affaire de terrorisme. Cette technique pourra également être utilisée pour identifier des personnes de l’entourage du suspect si nécessaire.

Qui est à l’initiative de cette loi et pour quels usages ?

La proposition de loi, qui émane du Sénat, est portée par Marc-Philippe Daubresse (Les Républicains, LR) et Arnaud de Belenet (Alliance centriste), deux élus qui avaient déjà rendu un rapport d’information sur le sujet, adopté à l’unanimité en commission le 10 mai 2022. A l’époque, comme le rappelle le site du Sénat, ils constataient « un défaut d’encadrement juridique spécifique et de réflexion éthique collective ».

Pour ses défenseurs, le texte présenté lundi vise donc à pallier ces manquements et « faire obstacle à une société de surveillance ». « De manière paradoxale, ces usages, pourtant marginaux, soulèvent de nombreuses oppositions tandis que la reconnaissance biométrique se banalise dans la vie de tous les jours avec une multiplication des usages individuels », est-il défendu dans l’argumentaire qui accompagne la proposition de loi. Le rapporteur du texte, le sénateur Philippe Bas (LR), a par ailleurs fait valoir en commission des lois qu’un « régime d’interdiction absolue » de la reconnaissance faciale « serait vain ».

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Outre une régulation d’un système et d’un marché « qui risque de nous échapper », arguent les sénateurs, la loi prévoit d’« accorder aux pouvoirs publics l’autorisation exceptionnelle d’utiliser des technologies certes intrusives, mais qui ne peuvent, dans le contexte de l’organisation prochaine des Jeux olympiques et paralympiques par notre pays, être laissées au bon vouloir des acteurs commerciaux ».

Quel lien avec l’expérimentation prévue pour les JO ?

Promulguée en mai, la loi relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) 2024 permet elle aussi des expérimentations d’ampleur. Les outils concernés sont toutefois différents puisqu’il s’agit cette fois de vidéosurveillance algorithmique (VSA), dite aussi vidéosurveillance « intelligente », c’est-à-dire des dispositifs qui, grâce à des algorithmes couplés à des images vidéo, permettent de détecter des comportements considérés comme suspects, des mouvements de foule ou la présence de personnes dans une zone interdite. L’Etat doit lancer un appel à marché public pour déterminer quels outils développés par des entreprises privées seront utilisés.

En théorie, la « loi JOP » ne concerne donc ni les données biométriques en général, ni la reconnaissance faciale en particulier. Raison pour laquelle le sénateur Marc-Philippe Daubresse avait d’ailleurs déposé un amendement en faisant mention en commission des lois, avant finalement de le retirer. Cependant, au cours des débats, certains élus ont estimé que l’analyse des comportements et des mouvements des personnes correspondait déjà à un traitement de données biométriques. « L’algorithme va permettre de reconnaître des personnes, sans nécessairement les identifier. Reconnaître signifie fournir une description suffisamment détaillée pour permettre aux agents sur le terrain de repérer une personne », arguait à l’époque l’élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Lisa Belluco.

La reconnaissance biométrique est-elle déjà utilisée en France ?

Dès 2019, la CNIL relevait que la reconnaissance faciale à des fins d’authentification était déjà utilisée, notamment dans des dispositifs de contrôles aux frontières (Parafe) et dans des outils d’identité en ligne (Alicem).

En février de la même année, la ville de Nice, friande de vidéosurveillance, a expérimenté une technologie de reconnaissance faciale au cours de son carnaval en testant plusieurs scénarios fictifs, comme l’identification de personnes en fuite ou dangereuses dans une foule. Dans son rapport, consulté à l’époque par La Croix, la municipalité se disait très satisfaite des résultats de cette expérimentation.

Par ailleurs, le code de procédure pénale permet d’enregistrer dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) des photographies « permettant le recours à un dispositif de reconnaissance faciale ». Ce texte, vivement critiqué, avait été attaqué par l’association de défense des libertés en ligne La Quadrature du Net mais validé en 2022 par le Conseil d’Etat.

Qui s’oppose à la surveillance algorithmique et biométrique ?

Au cours des débats, le socialiste Jérôme Durain a mis en garde contre « le solutionnisme technologique » et jugé qu’il « ne sert à rien de se précipiter » sur ce sujet « éthique ». De son côté, la présidente du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), Eliane Assassi, a regretté que « ce qui hier relevait de la dystopie se concrétise pas à pas sous nos yeux, sans aucun débat public ». L’écologiste Thomas Dossus a, quant à lui, voulu dénoncer la « forte dose d’hypocrisie » d’un texte de « fanatiques du flicage ».

Ces déclarations font écho aux débats dont la « loi JOP » avait elle aussi fait l’objet. Plusieurs organismes défenseurs des droits et des libertés, comme Amnesty International, Human Rights Watch ou La Quadrature du Net, se sont inquiétés du précédent que crée cette dernière en matière de surveillance, qu’ils considèrent « injustifiée et disproportionnée dans l’espace public ». Une pétition lancée auprès des élus contre les deux articles de la loi qui autorisaient les expérimentations de surveillance « intelligente » a récolté en février de nombreux signataires parmi EELV et la Nouvelle Union populaire écologique et sociale.

L’adoption de la loi sur la surveillance biométrique survient en tout cas quelques jours seulement avant l’adoption en séance plénière au Parlement européen d’une législation sur l’intelligence artificielle (« AI Act »). Le texte, qui vient border et interdire un certain nombre de pratiques en matière de surveillance biométrique, devra être pris en compte par les législateurs français.

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