"Il faut rendre la santé mentale plus visible" : le mal-être des jeunes continue à s'aggraver

Manifestation d'étudiants en 2021 pour dénoncer la hausse de la précarité chez les jeunes ©AFP - Jérôme Leblois / Hans Lucas
Manifestation d'étudiants en 2021 pour dénoncer la hausse de la précarité chez les jeunes ©AFP - Jérôme Leblois / Hans Lucas
Manifestation d'étudiants en 2021 pour dénoncer la hausse de la précarité chez les jeunes ©AFP - Jérôme Leblois / Hans Lucas
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Quatre ans après le premier confinement pendant la crise sanitaire, 4 jeunes de 18 à 24 ans sur 10 sont en dépression modérée à sévère, contre 26% avant la crise Covid, selon une nouvelle étude que France Inter vous révèle en exclusivité et en partenariat avec le magazine Marianne.

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Nous avons recueilli le témoignage en longueur de deux jeunes touchés par ce phénomène. Mathilde, 24 ans, étudiante en école vétérinaire, va mal depuis six ans. Ses premiers symptômes apparaissent quand elle est en classes préparatoires, à Bordeaux. "J'ai fait des crises d'angoisse, des crises de tétanie", raconte-t-elle. "Je ne pouvais plus bouger, parler... Des malaises à répétition. Je pleurais beaucoup, tous les soirs, même quand je faisais des choses que j'aimais."

"J'ai fait beaucoup d'années d'insomnies, avec juste une ou deux heures de sommeil par nuit." Un mal-être profond avec aussi des idées très noires, sur lesquelles elle ne préfère pas s’étendre. Elle sort très peu, a peur de la foule, et la période du confinement, pendant le Covid, n’a rien arrangé. "J'étais [confinée] avec deux amies proches et je ne voyais pas le reste du monde. Mais après, revenir avec tout le monde qui revient dans les rues, c'est un changement important."

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"Il y a un énorme décalage entre la génération de nos parents et nous"

Un changement brutal, même, qui la marque encore aujourd’hui. Mathilde est toujours agoraphobe. Sa phase de reconstruction, elle la doit beaucoup à ses amis : ce sont eux qui ont remarqué des changements dans son comportement. "Ils m'ont poussé à aller voir des médecins. On m'a diagnostiquée en dépression, on m'a dit d'aller voir des psys pour essayer de parler. Ça m'a beaucoup aidé ! Parler à quelqu'un qu'on ne connait pas, c'est dur au début mais ça fait du bien, il nous aide à analyser ce qu'on pense.

Malade, Mathilde accepte de prendre des médicaments pour calmer ses angoisses. Aujourd’hui, elle vit en banlieue parisienne, dans une résidence étudiante : 12 m², un bureau, un lit, un canapé et un lapin comme animal de compagnie. C’est son "cocon", là où elle se réfugie quand elle va moins bien. Car les sujets qui l’angoissent sont toujours très nombreux : "Toutes les histoires politiques, environnementales, ça n'aide pas à être serein dans la vie. Il y a un énorme décalage entre la génération de nos parents et nous."

Ses angoisses n’ont pas totalement disparu mais elle se sent plus apaisée aujourd’hui… Pas à l’abri non plus de nouvelles secousses. Mais elle se sent mieux armée pour les affronter.

"Il y a urgence à prendre soin de nous"

Romain, lui,  a connu une crise dépressive aiguë pendant le Covid… L'étudiant a 22 ans aujourd’hui, et ses angoisses remontent à la période lycée : peur du jugement des autres, peur de ne pas être aimé… "Beaucoup de pensées, énormément de pensées dans ma tête. Qui m'empêchaient d'avoir du recul sur ce qui se passe. On appelle ça des pensées anxieuses, ça critique ton estime de toi, et ça te dévalorise tout le temps, et ça t'empêche de vivre le moment présent."

Comme pour Mathilde, la crise sanitaire et le Covid ont renforcé ses angoisses. Lui est même tombé dans l’addiction aux jeux vidéo : il passait ses journées entières devant sa console. "Je jouais énormément pour fuir cette situation, où je ne suis pas très bien mentalement. Ça permet d'oublier cet état, et d'endormir ce processus anxieux et dépressif. Mais c'est juste repousser les pensées, et ce n'est pas en fuyant qu'on va régler l'affaire."

Aujourd’hui, Romain se reconstruit. Il est en service civique, il sensibilise des collégiens et lycéens à la vie sexuelle et à la santé mentale. Il ne comprend pas pourquoi c’est encore un sujet tabou. Il appelle à un sursaut face à ce fléau de santé publique : "La santé mentale, c'est invisible. Il faut réussir à faire en sorte de rendre ça plus visible, il faut que l'État bouge. Pour faire en sorte qu'on arrive à en parler et à trouver des solutions. Il y a urgence à prendre soin de nous."

"Une génération sacrifiée dans quelques années"

Il y a urgence : ce constat, les spécialistes de la santé mentale le partagent tous. Selon les chiffres de l'étude réalisée par l'université de Bordeaux, que nous vous révélons ce matin  en partenariat avec le magazine Marianne, 41% des étudiants présentent des symptômes dépressifs (ils étaient 26% avant le Covid). C'est 15 points de plus en seulement quatre ans. Sur la même période, les idées suicidaires des 18-24 ans sont passées de 21 à 29%. Leurs angoisses sont connues : difficultés économiques, études de plus en plus sélectives et donc stressantes, chômage… Et pour ne rien arranger, certains facteurs sociétaux viennent plomber le moral des jeunes. Ils citent presque tous le contexte géopolitique, avec les conflits internationaux et le dérèglement climatique, qui rend leur futur toujours plus incertain.

Le problème, c'est que les structures de prises en charge sont surchargées. Le constat est le même à l’hôpital, dans les centres médico-psychologiques ou chez les médecins libéraux : beaucoup trop de patients et pas assez de médecins, pas assez de structures spécialisées. Dans sa déclaration de politique générale, le 30 janvier dernier, le Premier ministre Gabriel Attal assurait vouloir faire de la santé mentale des jeunes une "grande cause de l’action gouvernementale". "Il est temps de mettre les moyens, beaucoup de moyens", explique un chef de service psychiatrique d’un hôpital parisien. "Si on ne met pas le paquet maintenant, on aura affaire à une génération sacrifiée dans quelques années."

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