“Je sais que pour vous, ces photos ne sont que des souvenirs. Mais pour d’autres, ce sont des données. Et pour moi, c’est peut-être le début d’un avenir terrible.” Dans une vidéo diffusée début juillet, Deutsche Telekom, principale société de télécommunication allemande, adresse aux parents un message choc. Ce spot en anglais − dont nous avons sous-titré un extrait dans notre vidéo −, raconte l’histoire d’Ella, une fillette de 9 ans dont les parents partagent régulièrement des images sur les réseaux sociaux.

À l’aide d’une seule photo et de l’intelligence artificielle, la firme crée une version plus âgée de la petite fille, qui explique à ses parents les répercussions de ces publications qu’ils pensaient anodines. Vol d’identité, copie de la voix, récupération de son image sur des sites pédopornographiques ou encore moqueries et cyberharcèlement : l’adolescente décrit une bien sombre liste de conséquences possibles. Pour beaucoup, cette campagne “peut ressembler à de la science-fiction, écrit le quotidien autrichien Der Standard, mais ce n’est pas le cas, comme le confirme le chercheur en IA Alex Pfeiffer, de l’université de Krems”.

Il y a encore quelques mois, ce dernier aurait “répondu que les deepfakes bien faits nécessitent un matériel informatique de pointe et de solides compétences”. Mais le bond en avant de l’IA et l’arrivée sur le marché d’outils performants à la portée de tous ont changé la donne.

Une empreinte numérique avant même d’être nés

Intitulé Share with care (“Partagez avec prudence”), le spot dénonce avec force les dangers du “sharenting”, contraction des mots anglais share (“partager”) et parenting (“être parent”). Diverses études estiment qu’un enfant voit en moyenne sa photo partagée en ligne 1 300 fois avant l’âge de 13 ans, soit avant de pouvoir légalement créer son propre profil sur les réseaux sociaux. Et 30 % d’entre eux auraient même “une empreinte numérique avant leur naissance”, selon un sondage réalisé en 2021 par l’institut GECE et cité par la RTBF, car leurs parents postent des photos de l’échographie sur les réseaux sociaux.

À ce propos, la France fait figure de pionnière : le sharenting a fait l’objet d’une proposition de loi adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en mars. Elle n’a toutefois pas encore été promulguée et continue ses va-et-vient entre les deux chambres du Parlement.

Le texte, qui vise principalement à sensibiliser les parents à ces risques, prévoit toutefois des sanctions pour ceux qui vont trop loin. Ils pourraient se voir imposer une délégation partielle de leur autorité parentale si les images diffusées “portent gravement atteinte” à la dignité ou à l’intégrité morale des enfants.