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Reportage international

Sous le sol de Gaza, un réseau de tunnels «immense, en zigzag et sur plusieurs niveaux»

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L’armée israélienne a commencé son opération terrestre et elle vise en particulier le réseau souterrain du Hamas, une vraie ville sous la ville, un labyrinthe de tunnels quasi impénétrables. Ce sont des réseaux complémentaires qui sont utilisés et qui sont intégrés dans une stratégie des groupes terroristes depuis longtemps. Ils cherchent de plus en plus à les exploiter pour faire avancer leurs objectifs stratégiques. Un réseau qui aveugle les efforts d’Israël à glaner des informations. Entretien avec Daphné Richemond-Barak, spécialiste des conflits en milieu urbain, professeure à l’Institut international du contre-terrorisme à l’université Reichman à Tel-Aviv. 

Un soldat israélien patrouille dans un tunnel attribué au Hamas, à la frontière entre Israël et la bande de Gaza, le 25 juillet 2014.
Un soldat israélien patrouille dans un tunnel attribué au Hamas, à la frontière entre Israël et la bande de Gaza, le 25 juillet 2014. © Jack Guez / AP
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RFI : Vous êtes l’auteure de La guerre souterraine. Vous avez pu vous rendre dans certains tunnels construits par le Hamas...

Daphné Richemond-Barak : J’étais dans les tunnels qui sont à la frontière entre Gaza et Israël, du côté israélien, ceux qui sont passés sous la frontière. Et j’ai été aussi dans les tunnels qui ont été creusés par le Hezbollah. Donc encore une fois à la frontière sur le territoire israélien. Les tunnels, ça fait 20 ans que le Hamas y travaille, donc ce n’est pas non plus une très grande surprise pour Israël et ça ne devrait pas non plus être une surprise pour le monde entier, car c’est un travail de longue haleine que le Hamas a mené pour construire un réseau souterrain extrêmement complexe, extrêmement sophistiqué, qui rend le Hamas quasiment impénétrable.

Par ailleurs, ils permettent au Hamas d’opérer loin des yeux technologiques de l’État d’Israël et de l’armée israélienne qui est pourtant une des armées les plus performantes du monde. Le but principal de ces tunnels, c’est justement de réduire cet avantage stratégique qu'a Israël par rapport à un groupe terroriste comme le Hamas et de complètement neutraliser tout son avantage, tout ce qui peut y avoir d'asymétrique entre un État avec une armée performante et de l’autre côté un groupe terroriste. 

À quoi ressemblent ces tunnels ? 

Vous rentrez dans un tunnel du Hamas, il fait tout noir. Vous ne voyez rien, ça paraît infini. Vous ne savez pas s’il y a des artères qui partent à droite ou à gauche, s’il y a des échelles, s’il y a des escaliers, mais il y en a certainement. Vous ne les voyez pas. Il peut y avoir aussi des gens dans ces tunnels, mais vous ne les voyez pas non plus. Immédiatement, quand vous rentrez dans le tunnel, vous perdez tout sens de direction, vous n’avez plus la moindre idée de ce qu’il se passe. Est-ce que vous partez en direction de Gaza ? Est-ce que vous partez en direction de l’Égypte ? Vous perdez complètement vos points de repère. Vous perdez tout sens d’orientation, vous êtes désorienté. C’est claustrophobique. Cela fait extrêmement peur et c’est un peu comme un cauchemar : une fois qu’on rentre, on ne sait pas trop comment on va sortir. 

Vous évoquez la différence entre les différents tunnels. Y a-t-il une typologie de tunnels qui ont été construits et développés par le Hamas ? 

Très souvent, on fait une distinction entre des tunnels utilisés pour des raisons offensives et des raisons défensives. Je refuse cette « typologie ». Pourquoi ? Parce que pour moi, un tunnel est un tunnel. C'est-à-dire que du point de vue stratégique, un tunnel peut être utilisé pour toute une série de raisons. Il peut être utilisé pour commettre une attaque, pour faire une embuscade, pour kidnapper des civils ou des soldats, pour orchestrer du trafic. En revanche, tous les tunnels ne sont pas pareils et la façon de les combattre, la façon de les détecter, la façon de les éliminer n’est pas forcément la même non plus. Les tunnels dans Gaza, le réseau souterrain créé par le Hamas, fait aujourd’hui l’objet de l’offensive israélienne. 

Il y a les tunnels à la frontière entre Gaza et Israël dont on a beaucoup parlé, dont celui d’Ein Hashlosha en 2013, mais il y en a aussi qui ont été découverts pendant l’opération Bordure protectrice, par exemple en 2014. Il y a ceux qui sont sur le territoire sud-libanais, on les appelle les réserves naturelles. Ils sont là depuis très longtemps, donc encore une fois ce n’est pas quelque chose de nouveau dans cette région du Moyen-Orient, mais chaque réseau a ses spécificités. Enfin, il y a ceux qui sont construits par le Hamas aussi et qui vont en Égypte. Ceux-là, ils sont entre la bande de Gaza et l’Égypte et ils ont été utilisés principalement pour faire passer des armes. L’Égypte a tenté de les éliminer, mais sans grand succès. Et aujourd’hui, la probabilité est que ces tunnels entre Gaza et l’Égypte, donc un autre type de tunnels, aient été utilisés pour approvisionner le Hamas en armes avant l’attaque du 7 octobre. 

Quelle est l’ampleur de ce réseau ? 

L’ampleur est immense. La bande de Gaza, c’est un territoire assez restreint. Mais ces tunnels ne sont pas construits de façon linéaire, ils sont en zigzags. Ils sont sur plusieurs niveaux. D’ailleurs, les otages qui ont été dans ces tunnels disent qu’ils ont marché des kilomètres, c’est parce qu’il y a des kilomètres de tunnels et ces tunnels ne datent pas d’hier. Si vous comparez avec ce qui s’est passé avec Daech en Syrie et en Irak, ils étaient dans les tunnels, mais des tunnels utilisés pendant peut-être quelques semaines, quelques mois. Ce qui se passe à Gaza, c’est d’un tout autre niveau. C’est beaucoup plus sophistiqué, c’est moderne. Et oui, ça ressemble en effet à ce qu’on montre sur ces films que l’armée israélienne a publiés.

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Quelle est leur envergure ? Comment sont-ils constitués ? 

Il y a des artères, il y a des chambres, il y a des salles, il y a des portes, de l’électricité, il y a des endroits où le Hamas vit – sous terre. C’est une vraie base militaire. C’est une base militaire sous une population civile, ce qui est en soi en soit déjà un crime de guerre, mais surtout ça met en danger la population de Gaza. Cette base militaire sous leurs pieds, ça les expose à des explosions, des effondrements. Ça les expose à des attaques militaires de la part de l’armée israélienne, ce sont les premières victimes de cette guerre souterraine. La plupart des passages souterrains ne sont pas très larges.

Mais il faut savoir que s’il y a une influence de l’Iran, peut-être que ça a un petit peu changé. Impossible d’en être certain aujourd’hui, mais on pourrait voir des choses du type Corée du Nord ou Iran, c’est-à-dire des passages plus larges, où l’on pourrait passer avec une moto, éventuellement avec un camion. Ce n’est pas confirmé, mais c’est possible. Il est possible qu’il y ait des endroits où l’on fabrique des armes, où on les stocke. Un effort militaire digne d’un État. 

Comment se fait-il qu’Israël en sache si peu sur les activités du Hamas ? 

C’est justement à cause des tunnels, Israël est aveuglé par ces tunnels qui lui empêchent de savoir ce que prévoit le Hamas, on l’a bien vu. Une des raisons pour lesquelles Israël n’a pas vu ce qui s’est passé le 7 octobre, c’est parce que ça a été planifié sous la terre et que là, il est très difficile d’avoir des réseaux de communication. L’information est très limitée.

Si Israël ne sait pas vraiment ce qu’elle va détruire et quelle est la méthode à appliquer, comment détruire tout ce réseau ? 

Il s’agit sur le plan opérationnel d’une mission extrêmement compliquée. Pourquoi ? Parce qu’il y a un triple défi. Avant tout, on est dans un terrain urbain où il y a de la population. Même si on a demandé l’évacuation, il en reste certainement, c’est un terrain urbain avec des maisons, avec des mosquées, etc. Ensuite, la guerre souterraine est en elle-même extrêmement compliquée, on peut le voir parce que les États ont toujours déployé leurs armes les plus performantes contre des tunnels, que ce soit au Vietnam ou que ce soit pendant la Première Guerre mondiale ou même pendant la Seconde Guerre mondiale.

Enfin, il faut ajouter un défi supplémentaire, les otages, qui eux sont dans les tunnels. Il y a des priorités à prendre en compte, entre la vie des otages, la vie des civils innocents qui sont dans la bande de Gaza, le risque auquel les militaires se sont soumis dans ces tunnels qui ont été préparés par le Hamas. Il s’agit de trouver un équilibre entre ces différentes priorités qui sont en fait complètement exclusives l’une de l’autre et d’essayer de percer militairement ce défi. Ce triple défi, c’est ça qu’Israël doit réussir à faire, et c’est quasiment insurmontable du point de vue militaire. 

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Tout cela pourrait déterminer l’issue de la guerre ? 

On parle ici de voisins qui sont à quelques mètres de la frontière. On parle du fait que ces « voisins » opèrent en coordination, pas toujours sur la même longueur d’onde, mais en coordination avec ce qui se passe en Cisjordanie, au Liban et en Iran. Donc, c’est un effort qui est régional et je pense pour Israël, c’est une guerre existentielle. À ce stade, il n’est pas question de perdre la guerre, il n’est pas question d’un cessez-le-feu non plus parce que c’est une question de droit à la légitime défense. C’est embarrassant, c’est lent. Il y aura des pertes, il y aura des pertes de civils et des pertes de soldats. C’est laborieux et c’est tragique. 

Ces tunnels à Gaza, aux frontières, au Liban, en Égypte... Peuvent-ils être éradiqués ? 

Pour pouvoir les éradiquer complètement, il faut tous les connaître. Il faut tous les détecter. Il faut savoir où ils vont, d'où ils partent exactement… C'est un travail énorme. Mais il y a des stratégies qui peuvent être mises en place, par exemple du contrôle constant de la frontière pour voir s'il y a des camions qui transportent de la terre, pour voir s'il y a des hangars qui sont créés pour pouvoir justement cacher un peu cette activité de construction de tunnels. Les tunnels sont de plus en plus profonds. Le Hamas bénéficie de tout ce savoir-faire qui a été obtenu en Syrie, en Irak. Il faut savoir qu'il peut y avoir une influence de l'Iran aussi. On n'est pas forcément au bout de nos surprises et même si Israël a amélioré ses capacités dans ce domaine, il faut savoir que de l'autre côté, le Hamas a aussi appris et investi. C'est la réalité d'une course entre les deux parties.

Daphné Richemond-Barak, spécialiste des conflits en milieu urbain, professeure à l’Institut international du contre-terrorisme à l’université Reichman à Tel-Aviv.
Daphné Richemond-Barak, spécialiste des conflits en milieu urbain, professeure à l’Institut international du contre-terrorisme à l’université Reichman à Tel-Aviv. © Clea Broadhurst / RFI

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