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Nucléaire: que contient le projet de loi qui arrive à l'Assemblée nationale ce lundi?

Un mois et demi après avoir été voté en première lecture au Sénat, le projet de loi pour accélérer sur le nucléaire est débattu à l'Assemblée nationale à partir d'aujourd'hui. Entre-temps, le gouvernement y a notamment ajouté un amendement pour réformer la sûreté nucléaire.

La réforme des retraites n'est pas le seul texte qui va animer les bancs du Parlement en ce début d'année. Présenté en conseil des ministres début novembre et adopté en première lecture par les sénateurs fin janvier, le projet de loi "relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes" passe entre les mains des députés aujourd'hui à partir de 16h.

Au préalable, le texte est passé en commission dès mercredi dernier où les députés se sont prononcés en faveur d'une des mesures ajoutées par le Sénat et qui prévoit la suppression de l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique français à l'horizon 2035. Sans surprise, les parlementaires de droite se sont positionnés contre cette disposition datant de 2015 et critiquée par les pronucléaire dans un contexte de crise énergétique. Mais sa suppression est remise en question par un certain nombre d'élus de gauche, plus hostiles à cette relance du nucléaire qu'a initiée Emmanuel Macron lors de son célèbre discours de Belfort en février 2022.

Simplifier les démarches administratives

Ces quatre mots résument les grandes lignes du projet de loi qui s'inscrit dans le programme de construction de 6 réacteurs de type EPR2, auxquels pourraient s'ajouter 8 autres, pour une mise en service à partir de la période 2035-2037. La première paire d'EPR2 sera installée à Penly, en Seine-Maritime, et sera suivie d'une seconde à Graveline dans le Nord. La localisation de la troisième devrait être dans la vallée du Rhône, à Bugey ou Tricastin. Le projet de loi vise à favoriser la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, en simplifiant les procédures administratives. Il est limité à de nouvelles installations situées sur des sites nucléaires existants, ou à proximité, ce qui permettrait "de ne pas ajouter un délai de deux à trois années à la construction d'un réacteur" selon Agnès Pannier-Runacher. La ministre de la Transition énergétique a par ailleurs fixé l'objectif de 2027 pour "la première coulée de béton".

Concrètement, les sites seront dispensés d'autorisation d'urbanisme, le contrôle de conformité étant assuré par l'Etat. Le droit d'expropriation sera assoupli. Ou encore les travaux sur les bâtiments non destinés à recevoir des substances radioactives pourront être engagés avant clôture de l'enquête publique. Dès juin 2024, EDF pourra avant même d'obtenir le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) engager à Penly des travaux non nucléaires comme la consolidation et le "reprofilage" de la falaise, les "terrassements", les "débroussaillages" et "défrichements".

Prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels

Le projet de loi concerne donc les futures infrastructures nucléaires mais son second volet phare porte sur les sites existants dont l'exécutif souhaite prolonger la durée de vie jusqu'à plus de 60 ans. L'Élysée a ainsi convoqué un conseil de politique nucléaire pour lancer ce chantier en début d'année. "Nous prolongeons autant que c'est possible, au regard des enjeux de sûreté nucléaire, les réacteurs, d'abord au-delà de 40 ans, puis au-delà de 50 ans", insistait Elisabeth Borne devant la commission d'enquête sur l'indépendance énergétique de la France le 2 mars dernier.

Dans cette logique, le texte législatif met un terme à la systématisation des arrêts définitifs d'installations nucléaires qui sont immobilisées pendant deux années consécutives. À ce titre, les sénateurs ont imposé la révision du décret qui prévoit la fermeture de 12 réacteurs existants. L'ensemble de ces mesures vise à ne plus "avoir le nucléaire honteux" des mots de la rapporteure macroniste Maud Bregeon. Selon l'ancienne ingénieure d'EDF, le projet de loi "va permettre d'atteindre la neutralité carbone" et une meilleure souveraineté énergétique.

Pour rappel, la France, où l'énergie nucléaire représente habituellement entre 70 et 80% de la production d'électricité, avait décidé en 2015 la fermeture de 14 de ses 58 réacteurs, avant un revirement annoncé par le président Emmanuel Macron en faveur d'une relance. L'énergie nucléaire représente environ 70% de la production d'électricité habituellement. En raison des arrêts pour corrosion et de la faible disponibilité du parc nucléaire, cette proportion s'est établie à 63% seulement en 2022.

Fusion de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire dans l'ASN

Il y a encore quelques semaines, le texte semblait pouvoir profiter du regain de popularité de la filière nucléaire en pleine crise de l'énergie mais deux facteurs pourraient enflammer les débats à l'Assemblée. D'une part, la fissure "importante" récemment révélée dans la tuyauterie d'un réacteur de la centrale de Penly qui doit justement accueillir la première paire d'EPR2. D'autre part, la disparition annoncée de l'IRSN, la police scientifique du risque nucléaire, que l'exécutif veut fondre au moins en partie dans l'Autorité de sûreté nucléaire. Le gouvernement a pris cette décision lors d'un Conseil de politique nucléaire le 3 février et l'a intégrée au projet de loi sous la forme d'un amendement. Ce projet de "fusion" est "incompréhensible", dénoncent dans un communiqué les députés de la coalition de gauche Nupes, qui jugent "essentiel de maintenir une indépendance entre la fonction de régulateur (ASN) et celle d'expertise (IRSN)".

En transférant les quelque 1800 ingénieurs, médecins ou encore géologues de l'IRSN notamment au gendarme des centrales, le gouvernement souhaite "fluidifier les processus d'examen et prise de décision de l'ASN pour répondre au volume croissant d'activités lié à la relance de la filière" tandis que le ministère de la Transition énergétique nie tout "objectif budgétaire". Avec la fusion des deux, les experts de l'IRSN craignent que leur travail ne soit plus guidé par le seul critère de la sûreté, mais aussi par les préoccupations des exploitants. Les personnels des deux structures alertent contre une réorganisation source de déstabilisation, coûteuse en temps et énergie alors que de colossaux dossiers sont déjà à l'instruction (conception des futurs réacteurs, prolongation des anciens...).

"À ce stade, j'aurai du mal à dire si la sûreté se retrouve renforcée ou non avec ce projet de réforme, a estimé l'historien du nucléaire Michael Mangeon. "Mais démarrer un programme nucléaire sur un système en mutation, pas encore stabilisé, présente un risque en matière de sûreté."

Une mesure contre-productive vis-à-vis des objectifs de relance?

Bernard Accoyer, ex-président de l'Assemblée nationale, à la tête de l'association Patrimoine nucléaire et climat, accuse l'IRSN de "dévoiement" de son rôle quand il rend "publiques certaines de ses analyses répondant à des saisines de l'ASN". Pour lui, l'ASN doit disposer de la confidentialité des données jusqu'au rendu de sa décision. Selon François Jeffroy, délégué CFDT à l'IRSN, "les avis de l'IRSN gênent. Si l'IRSN est dans l'ASN il n'y aura plus de publicité, et les problèmes seront réglés". La publication des avis de l'IRSN est en effet prévue par une loi de 2015. Or, l'ASN peut déjà lui demander d'y surseoir selon les cas, en vertu d'un accord-cadre entre les deux entités. La présidence de l'ASN, favorable à cette fusion, cite pour sa part sa volonté de meilleure efficacité, et assure que l'expertise restera autonome.

Si l'amendement est voté, les directions de l'ASN et de l'IRSN devront installer des groupes de travail, aux conclusions attendues en juin. Alors que les personnels de l'IRSN sont lundi de nouveau en grève, le ministère veut rassurer sur l'attractivité de leur métier, y compris les rémunérations. Chez nous, "les salaires sont de 20 à 40% inférieurs à fonction équivalente dans le privé", explique l'ex-DG adjoint de l'IRSN et jeune retraité Thierry Charles. "Devant le flou, il y a un risque de départs, vers Orano, EDF..." car le nucléaire recrute et "les bras manquent". Selon lui, ce qui attire les chercheurs de l'IRSN c'est "l'intérêt général". "Les salaires sont moins bons qu'ailleurs mais le travail a du sens", dit-il. "Tout réorganiser, c'est au minimum trois à cinq ans de pagaille. Et la plupart des accidents ont eu lieu en lien avec des facteurs humains", avertit-il.

"À long terme, oui, une autre organisation est probablement possible, mais dans les années à venir, beaucoup devront y travailler alors que les dossiers des nouveaux réacteurs et de la prolongation des anciens sont déjà sur nos bureaux ! Autant de matière grise et ressources non consacrées à la relance du nucléaire", dit Matthias Farges, délégué UNSP-FO à l'ASN qui craint une fuite de cerveaux.

Timothée Talbi avec AFP