Accidents du travail : un scandale français

Plus de 600 000 personnes ont été victimes d’un accident du travail en France en 2021, un fléau qui a coûté la vie à près de 700 d’entre elles. Cette "hécatombe invisible" fait de notre pays le plus mauvais élève européen

Plus de 600 000 personnes ont été victimes d’un accident du travail en France en 2021, un fléau qui a coûté la vie à près de 700 d’entre elles. Cette "hécatombe invisible" fait de notre pays le plus mauvais élève européen

Photo Rémi WAFFLART - Maxppp

Plus de 600 000 personnes ont été victimes d’un accident du travail en France en 2021, un fléau qui a coûté la vie à près de 700 d’entre elles

"Assassin", "imposteur". Le 13 février dernier, lors de l’examen à l’Assemblée du projet de réforme des retraites, le député des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul qualifiait en ces termes le ministre du Travail Olivier Dussopt. L’élu l’accusait d’avoir "menti" sur l’évolution du nombre de morts au travail ces dernières années. Le ministre avait évoqué des chiffres "relativement stables", parlait de "650 décès par an au travail". Des chiffres qui collent à ceux de l’Assurance maladie pour l’année 2021 mais qui n’incluent pas certains accidents de trajets ou les maladies professionnelles, qui portent le nombre de décès à 1 164 (voir notre infographie).

Aurélien Saintoul, qui s’est depuis excusé pour ses propos, pointe la responsabilité des gouvernements successifs et note "une accélération depuis 2017 et la suppression des Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail" lors du premier quinquennat Macron. Jeudi, le député a présenté une proposition de loi pour créer un jour férié, le 10 mars, "en hommage aux morts du travail et de maladies professionnelles". Une date symbolique, pour "prendre acte du fait que la prospérité collective et l’enrichissement de quelques-uns a un coût extrêmement élevé, qui est la vie elle-même de salariés", et qui fait écho à l’anniversaire de la catastrophe minière de Courrières (Pas-de-Calais) qui fit 1 099 morts en 1906 et donna lieu à la création du ministère du Travail. Hasard de calendrier, c’est hier également que paraissait L’Hécatombe invisible, le premier ouvrage de Matthieu Lépine, enseignant en Seine-Saint-Denis derrière le compte Twitter "Accident du travail : silence des ouvriers meurent".

Depuis 2019, il répertorie les accidents mortels en France et alerte sur un fléau qui ne cesse d’enfler. Pour le seul début d’année 2023, il déplore plus d’une quarantaine de décès. Un recensement inédit qui dévoile des profils en majorité précaires, intérimaires, souvent des jeunes en apprentissage, 10 000 ont été victimes d’un accident en 2019, ou des seniors en fin de carrière - alors qu’ils constituent 29 % des salariés, les plus de 50 ans représentent 25 % des accidentés. Des victimes "invisibles", que l’on dénombre plus nombreuses dans les secteurs de la construction, et notamment ces dernières années dans les chantiers du Grand Paris. Dans le BTP, le nombre des accidents du travail a même progressé de 2,9 % en 2021 dans la région Paca.

À la lumière de ces morts quotidiennes, l’auteur pointe une série de dysfonctionnements bien français (le pays est le plus mauvais élève européen avec 3,5 décès pour 100 000 employés) parmi lesquels le recours massif à la sous-traitance, les formations insuffisantes, l’absence de comptage de certains profils dans les chiffres ou la lenteur de la justice dans le traitement des dossiers. Des cas complexes, véritables "parents pauvres" des tribunaux, où les employeurs sont rarement condamnés, si ce n’est à de faibles amendes. Une double peine pour les familles de proches victimes qui vivent les procédures comme un nouveau drame. Après le décès d’Hugo, 22 ans, apprenti bûcheron écrasé par un tronc d’arbre dans les Alpes-de-Haute-Provence, l’entreprise qui l’employait n’a été interdite de prendre un jeune en formation que pendant deux ans.

Organisées en collectif, une vingtaine de familles d’accidentés tentent ces derniers mois d’alerter les pouvoirs publics. À l’issue d’une marche blanche qui s’est tenue le 4 mars, ils réclament davantage de prévention, de condamnations et de soutien psychologique.