Dimanche matin circulait sur les réseaux sociaux une vidéo filmée à l’aéroport de Beyrouth : d’un côté, un panneau d’information indiquant 10 h 05 puis, le contournant, on découvre que l’horloge située de l’autre côté précise qu’il est 9 h 05. Voilà le chaos temporel dans lequel a plongé le Liban, oscillant entre deux fuseaux horaires.

Le passage à l’heure d’été était en effet prévu pour la nuit du samedi 25 au dimanche 26 mars. Pourtant, tout juste deux jours avant, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, musulman sunnite, a annoncé, sans aucune concertation et sans explication, que le changement d’heure serait décalé d’un mois.

Cependant, au cours d’une discussion avec le Premier ministre ayant été filmée, et depuis largement diffusée, on entend le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, proposer à celui-ci, un peu à l’improviste, d’attendre la fin du ramadan – commencé le 22 mars –, pour procéder au changement d’heure. Aussitôt dit, aussitôt fait.

Sauf que cette décision n’est pas sans conséquence. Un certain nombre de domaines d’activité, par exemple l’aviation, sont dépendants du système international des fuseaux horaires. La compagnie aérienne libanaise, Middle East Airlines, a ainsi très rapidement prévenu ses passagers que les départs des vols se feraient en suivant l’horaire international. Ont suivi, entre autres, des chaînes de télévision, des organes de presse allant dans le même sens.

Un choix confessionnel et politique

La polémique a également pris un tour confessionnel, et donc politique, puisque au Liban les deux sont inévitablement liés. L’église maronite a rapidement fait savoir qu’elle s’opposait à la décision du gouvernement et suivrait l’horaire d’été. Les écoles catholiques ont peu à peu annoncé aux parents qu’elles feraient de même. Sans compter certains partis politiques chrétiens qui se sont vivement opposés à la décision. Dans L’Université de Rebibbia, l’autrice italienne Goliarda Sapienza écrit qu’“il n’y a pas moyen […] d’échapper à l’atroce fatalité de devoir toujours, en quelque coin qu’on se trouve, prendre un parti, une position”. Qui aurait pu croire que même un choix de fuseau horaire pourrait un jour être une manière de se positionner d’un point de vue politique ?

Imaginez un peu la situation absurde dans laquelle nous baignons : l’école – laïque – de mes enfants a aussi fait le choix de l’horaire d’été, mais l’entreprise de mon mari suit l’heure du gouvernement, de même que les services publics. Mon téléphone portable, qui était de toute manière programmé, a opéré le changement d’heure. Mais j’ai conservé l’heure d’hiver sur ma montre. Nous avons tous craint les couacs : une heure de retard, une heure d’avance, mésententes sur les horaires de rendez-vous… Les effets ne se sont pas fait attendre puisque lundi matin le car menant les enfants à l’école semblait compter quelques défections. À l’aéroport, l’avion que prenait mon mari devait décoller à l’heure d’été, mais a finalement suivi l’heure du gouvernement.

Détourner l’attention des vrais sujets de préoccupation

La situation a évidemment fait beaucoup parler. Que ce soit dans les discussions ou sur les réseaux sociaux, les Libanais ont dénoncé le ridicule de la situation. Beaucoup ont par ailleurs suggéré, irrités, que l’“horaire Mikati” était une nouvelle manière de diviser un peu plus chrétiens et musulmans, qui n’était pas des plus habiles. A également fleuri l’analyse que ce serait une stratégie pour détourner l’attention de la population quant à la crise. Plutôt parler de l’heure que de réformes économiques ou politiques… De l’art de noyer le poisson.

Face au tollé incontrôlable provoqué par cette décision, Mikati a décidé de changer l’ordre du jour du Conseil des ministres démissionnaires du lundi 26 mars. Alors qu’il devait “être consacré à l’étude des répercussions de la crise économique au Liban sur le secteur public et les salaires”, explique le quotidien L’Orient-Le Jour, il a finalement été consacré au sujet brûlant du moment… Décision a alors été prise de finalement passer à l’heure d’été dans la nuit du mercredi 29 au jeudi 30 mars. Tout ça pour ça.

Il n’y avait sans doute pas besoin de ce énième sujet de confusion et de dissension dans un pays où il est déjà plus qu’ardu pour les différentes communautés d’être sur la même longueur d’onde. Voilà qui ne fait que réactiver l’idée qu’il est grand temps de remettre les pendules à l’heure au pays du Cèdre.