Climat : ces 425 sites qui font surchauffer la planète

Publié le 31 octobre 2023 à 6h16, mis à jour le 29 novembre 2023 à 19h05

Source : JT 20h Semaine

Des experts ont élaboré une cartographie mondiale des sites ou projets d'extraction dont l'exploitation représente, pour chacun, plus d'une gigatonne d'émissions de CO2.
Parmi ces 425 "bombes carbone" liées au pétrole, au charbon et au gaz, beaucoup se trouvent aux États-Unis, en Chine ou dans les pays du Golfe.
Si la France ne compte aucun site sur son territoire, des banques et des entreprises de l'Hexagone participent à l'exploitation de certains.

Ça s'appelle une "carbon bomb", littéralement, "une bombe carbone". De quoi parle-t-on ? "Il s'agit d'un projet d'extraction de combustibles fossiles qui va générer plus d'une gigatonne de CO2 (1 GtCO2) au cours de sa durée de vie restante", explique Lou Welgryn, coprésidente de Data for Good (une association pour le recueil de données numériques au nom de l'intérêt général) et co-fondatrice d'Éclaircies (un collectif d'experts sur le climat). 

Ces deux structures sont à l'origine d'une initiative visant à élaborer une cartographie inédite dévoilée mardi 31 octobre sur le site "Carbon Bombs". Celle-ci permet de visualiser où se trouvent les 425 "bombes carbone" sur la planète, qui les opère et qui les finance. 

Prenons un exemple près de chez nous : la mine de charbon de Hambach, en Allemagne. Si on extrait la totalité de la ressource restante et que celle-ci est entièrement utilisée (et donc brûlée), cela représentera au total 1,71 gigatonne de CO2 émis (soit 1,71 milliard de tonnes). Un peu plus loin, aux États-Unis, le gisement gazier et pétrolier du bassin de Marcellus, en Pennsylvanie, représentera, lui, à terme, 26,71 gigatonnes d'émissions de CO2.

La carte des "carbon bombs", ces 425 sites d'extraction de pétrole, de gaz et de charbon.
La carte des "carbon bombs", ces 425 sites d'extraction de pétrole, de gaz et de charbon. - CarbonBombs.org

Parmi les sites dont la production d'énergies fossiles va le plus contribuer au changement climatique, on trouve d'abord le bassin permien aux États-Unis, entre le Texas et le Nouveau-Mexique ; aux États-Unis toujours, les schistes de Marcellus et le bassin de Midland au Texas. On trouve également le champ pétrolier de Ghawar, en Arabie saoudite, et le bassin houiller de Tavan Tolgoi en Mongolie.

"Les émissions cumulées de ces 425 bombes climatiques émettraient, à elles seules, plus de deux fois le budget carbone qu'il nous reste pour ne pas dépasser le seuil de 1,5°C de réchauffement, tel qu'établi dans l'Accord de Paris", alerte Oriane Wegner. 

Car selon le Giec, pour respecter l’accord de Paris sur le climat, et contenir le réchauffement climatique sous 1,5°C, les émissions mondiales cumulées ne devront pas excéder 400 à 500 milliards de tonnes de CO2. Or, ces 425 sites en représentent autour de 1200 milliards de tonnes. 

Les émissions que vont générer ces projets.
Les émissions que vont générer ces projets. - CarbonBombs.org

Plus de 20 projets lancés depuis 2020

Et c'est loin d'être le seul chiffre marquant : 169 de ces 425 sites n'étaient pas opérationnels en 2020. Depuis, plus de 20 d'entre eux sont entrés en activité. Un constat qui, selon les deux expertes, montre à la fois que le monde est loin de ralentir l'activité d'extraction, mais aussi qu'il y a urgence à stopper ces futures "bombes carbone". 

C'est d'ailleurs la recommandation faite par l'Agence internationale de l'énergie en 2021 :  "Au-delà des projets déjà engagés à partir de 2021, aucun nouveau gisement de pétrole et de gaz n'est approuvé dans notre trajectoire, et aucune nouvelle mine de charbon ou extension de mine n'est nécessaire."

Le double impact du schiste

Parmi les 425 projets, on trouve des sites d'extraction de gaz, de pétrole et de charbon ainsi que de nombreux projets (en cours ou à venir) de gaz et pétrole de schiste. Des projets qui ont, comme les autres, un fort impact sur le climat (par la combustion du gaz) mais aussi sur l'environnement. 

"Pour récupérer le gaz ou le pétrole logé dans les interstices de la roche, on va employer la fracturation hydraulique : on envoie à haute pression de l'eau ou du sable dans la roche. Donc les besoins de ressources en eau sont énormes, et l'impact au sol est aussi beaucoup plus vaste", relève Oriane Wegner, co-fondatrice d'Éclaircies. 

Or, plusieurs gros projets d'extraction de gaz de schiste sont à venir, comme en Angleterre, ou l'exploitation du schiste de Bowland représentera 1,48 gigatonne de CO2. La France, elle, a interdit cette technique d'extraction, sur laquelle un moratoire a été décidé en 2011.

La méthode : une synthèse de trois bases de données

Pour obtenir ces données, Data for Good et Éclaircies ont fait la synthèse de trois bases  de données publiques : celle du chercheur Kjell Kühne qui avait dévoilé l'an dernier une étude permettant d'identifier ces sites (195 projets pétroliers et gaziers, 230 mines de charbon, opérationnels ou en construction, dans 48 pays) ; celle de l'organisation Global Energy Monitor qui recense les liens entre les sites d'extraction et les entreprises et celle élaborée par le consortium d'ONG Banking on Climate Chaos qui fait le lien avec les banques.

"Ces informations existent, mais elles sont peu claires pour le citoyen", explique Lou Welgryn. "Nous avons donc pensé cette plateforme comme un outil simple d'accès permettant de démocratiser les ordres de grandeur et les acteurs impliqués". Le calendrier ne doit rien au hasard : "À quelques semaines de la COP28, cette plateforme souligne l'importance d'une sortie rapide et coordonnée des énergies fossiles à l'échelle internationale", poursuit Oriane Wegner.

Car cette "date de sortie" figure bel et bien à l'agenda des négociateurs de la COP. Mais le débat s'annonce âpre, d'autant que ce sommet sur le climat est organisé à Dubaï et présidée par Sultan al-Jaber, qui est aussi PDG de la compagnie pétrolière nationale d'Abu Dhabi. Selon le site de "Carbon Bombs", celle-ci compte trois sites parmi les 425 identifiés.

Des sites concentrés dans quelques pays

D'ailleurs, c'est un autre enseignement de ce travail de synthèse : la cartographie montre la concentration des énergies fossiles dans le monde, à la fois en termes de géographie, mais aussi du côté des acteurs économiques. Ainsi, dix pays seulement accueillent chacun sur leur territoire dix sites : la Chine, les États-Unis, la Russie, l'Arabie saoudite, l'Australie, le Qatar, le Canada, l'Inde, l'Irak, le Brésil.

Du côté des entreprises, les cinq premières parmi les 425 sites d'extraction sont : Energy Investment Corp (Chine), Saudi Arabian Oil Company (Arabie saoudite), HKSCC Nominees Limited (Hong-Kong), TotalEnergies (France) et Exxon Mobil Corp (États-Unis). Et parmi le top 5 des banques : ICBC (Chine), Citi (États-Unis), China Citic Bank (Chine), Agricultural Bank of China (Chine) et la BNP Paribas (France).

Les pays qui accueillent le plus de sites d'extraction d'énergies fossiles.
Les pays qui accueillent le plus de sites d'extraction d'énergies fossiles. - CaebonBombs.org

Pas de site en France, mais TotalEnergies et BNP Paribas dans la liste

Si elle n'héberge aucun des 425 sites identifiés, la France n'est pas absente de cette cartographie. Côté entreprises, TotalEnergies est impliqué dans 17 sites dont les émissions cumulées représentent 43,6 gigatonnes d'émissions de CO2. Pour les banques, on trouve d'abord la BNP Paribas, puis le Crédit agricole et la Société générale. La première finance en partie 34 projets.

"Pour les banques, nous avons pris en compte deux types de financement", explique Lou Welgryn. "Le premier, c'est le financement de projet. Il s'agit par exemple d'une banque qui va octroyer des services financiers fléchés vers un projet fossile spécifique. C'est un financement minoritaire de la part des banques, et ça leur permet souvent de dire qu'elles ne financent plus de nouveaux projets fossiles. Mais nous avons aussi pris en compte le financement d'entreprise. C'est quand une banque octroie des services financiers tels que des prêts ou des émissions d'obligation à une entreprise pétrogazière et que celle-ci développe un projet fossile grâce à ces liquidités d'usage général." Mécaniquement, cela fait donc grimper la facture climatique des banques concernées.

Les banques françaises qui financent, directement ou indirectement, des projets d'extraction fossile.
Les banques françaises qui financent, directement ou indirectement, des projets d'extraction fossile. - CarbonBombs.org

Les deux structures, Data For Good et Eclaircies, espèrent que les internautes vont s'emparer de ces données. "On espère leur donner envie d'approfondir ces enjeux et de s'en emparer", explique Oriane Wegner. Et après ? "C'est un outil en open source, donc on espère que ce travail sera utilisé par d'autres." Le site "Carbon Bombs", lui, sera régulièrement mis à jour avec les nouvelles données.


Marianne ENAULT

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