Emmanuel Macron le 23 janvier 2024 à Paris

"Emmanuel Macron compte faire de ces Jeux l’été dont on se souvient", selon un conseiller de L'Elysée.

AFP

Aya Nakamura n’est pas Gabriel Attal. Quand la chanteuse du tube Djadja traverse, en tailleur noir discret et en catimini, la cour de l’Elysée le 19 février dernier, imagine-t-elle qu’elle est sur le point de se soumettre à un interrogatoire conduit par le président de la République en personne ? Avant, après, rien ou presque n’a fuité. Plus que ce rendez-vous élyséen, c’est son ordre du jour qui, coûte que coûte, doit demeurer secret : la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques 2024 à laquelle l’artiste franco-malienne va, selon nos informations, participer. Pas une petite affaire, aux yeux d’Emmanuel Macron. De quoi justifier qu’il exig… "qu’il propose", rectifie-t-on à l’Elysée, deux ou trois broutilles pour le grand jour. La fête, imaginée par le metteur en scène Thomas Jolly, doit retranscrire "l’universalisme des valeurs françaises", répète-t-on autour du chef de l’Etat. Un moment que lui, président de cultures mêlées, inconditionnel de Sardou et lecteur de l’exigeant Pierre Michon, rêve populaire et élitiste. En même temps. "Alors, quels chanteurs ou quelles chansons du répertoire français comptent pour vous ?" L’interprète de Jolie Nana est priée de ne pas décevoir, trouver un terrain d’entente avec le directeur artistique bis de la cérémonie qui se passionne pour la variété française et compte bien qu’hommage soit rendu à ce pan de notre patrimoine. "… J’aime beaucoup Edith Piaf." La réponse ravit Emmanuel Macron. Qui tout à trac se fait coach : "Eh bien, il faut que le jour J vous chantiez ce que vous aimez." The Voice en direct de l’Elysée.

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Ce détail artistique réglé, place aux sports. Quand les 12 tableaux spectaculaires de la cérémonie d’ouverture s’achèveront, le dernier porteur de la flamme olympique, un athlète, embrasera la vasque et les Jeux, ainsi, seront déclarés ouverts par le chef de l’Etat. Qui pour s’emparer de la torche et rendre inoubliable cette minute hautement symbolique ? Premier président de la Ve République à accueillir les Jeux olympiques d’été… Et vous voudriez qu’il laisse d’autres décider ! Non, il n’impose rien mais enfin, comment ne pas prendre pour modèle ce temps suspendu, secondes d’émotion universelle, Atlanta 1996, quand le géant Mohamed Ali, affaibli par la maladie de Parkinson, apparaît à la surprise générale et saisit d’une main tremblante le feu sacré. "J’aimerais qu’on arrive à ça", rêvasse-t-il tout haut.

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Emmanuel Macron n'est pas la reine d'Angleterre

Bien sûr, Emmanuel Macron sait aussi ce qu’il n’aimerait pas. "Le roi de l’INA", comme le surnomme un conseiller amusé par sa passion pour les vieilles émissions qu’il dégote sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel, a revisionné et commenté à peu près toutes les cérémonies d’ouverture et de clôture diffusées depuis que la télévision existe. Et s’il salue le goût pour la parodie d’Elizabeth II, sautant en parachute avec James Bond pour les Jeux de Londres en 2012, il semblerait qu’à titre exceptionnel, dans son esprit, l’audace ait des limites. "Son rôle doit être plus adapté à ce qu’est un président français, la reine d’Angleterre n’a pas d’autre vocation que d’être dépolitisée", expose l’un de ses collaborateurs. Emmanuel Macron a tout de même souri en se repassant les images du Premier ministre japonais sortant d’un tube déguisé en Mario, héros de jeu vidéo, pour la clôture des Jeux de Rio en 2016… Mais, lui président, n’est pas là pour faire rire. Le monde entier (le) regarde ; c’est son bilan, sa capacité d’action, son rayonnement et, accessoirement, celui du pays qui seront jugés. "La France doit redevenir une grande puissance tout court", crânait-il, en écho à Giscard, au lendemain de son élection en 2017. Sept ans plus tard, c’est l’exécution de cette ambition que le monde viendra évaluer. Les Jeux olympiques, compétition politique.

Alors déléguer… vous n’y pensez pas. Encore moins sur le sujet essentiel, absolu qu’est la sécurité. Réunions deux fois par mois à l’Elysée avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez, entre autres. L’occasion pour Emmanuel Macron de questionner : "On en est où du périmètre de sécurité ? On doit s’assurer que tous les habitants, locataires d’Airbnb, présents dans la zone soient passés au crible." Ah, au fait, "on n’a pas de foule qui déambule, hein ?" Et les transports ? "C’est préoccupant, non ?" Au ministre de l’Intérieur : "Comment vous comptez vous y prendre ?" A tous : "Nous devons montrer que la France est capable d’organiser des grands événements. Et celui-là, c’est le plus grand de tous", rappel utile pour ceux qui pensaient encore plancher sur l’organisation du bal des pompiers. "Son implication est très forte", dit pudiquement un participant à ces séances de cadrage. "S’il micromanage aussi le food-truck installé sur les quais, on va galérer", transpire un autre.

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Entre Hidalgo et le président, tensions et coups bas

Il en est une qui n’a pas à se plaindre de l’omniprésence du chef de l’Etat. Anne Hidalgo a vu en tout et pour tout une fois le président en tête-à-tête à l’Elysée depuis 2017, son cabinet sait compter jusque-là. Entre eux, incompréhension et mépris, si bien que c’est à Gérald Darmanin, trop malin pour s’en faire une ennemie, que revient la responsabilité de traiter la maire de Paris. Mais il arrive à Emmanuel Macron de cultiver lui-même la relation. Quand il décide le 14 février de satisfaire, après un an de bataille, les bouquinistes en refusant que leurs boîtes vertes soient momentanément déplacées, il prend soin de ne pas prévenir l’édile de la capitale. Qui le découvre via la dépêche AFP. Délicieuse surprise de Saint-Valentin. "Ça ne nous étonne plus, dédramatise un très proche d’Anne Hidalgo. Il est mal élevé." Et soucieux de s’imposer dans cette opération comme le sauveur d’un patrimoine auquel les Français sont attachés. Une réponse parmi d’autres au "sentiment de dépossession" selon lui grandissant. Quelle aubaine, la maire de Paris paraît décidée à lui offrir de nombreuses occasions de briller. Comment la pérennisation souhaitée par elle de certaines modifications de la circulation parisienne, une fois les JO terminés, pourrait ne pas alimenter chez une partie des Français non parisiens l’impression d’être évincés ? Fermeture aux voitures de la moitié de la place de la Concorde, limitation à 50 kilomètres-heure de la vitesse sur le périphérique… Paris de plus en plus impénétrable, Paris vidée de ses hordes de banlieusards qui espèrent encore y travailler ou s’y cultiver. A la mairie, l’argumentaire est limpide : "Anne Hidalgo n’est pas maire de Bagneux, elle est maire de Paris." Lui est président de tous les Français, en cet instant, il s’en souvient, et gronde : "Il faut qu’il y ait des études de trafic sur le périph, on ne va pas faire valider cette décision comme ça en un claquement de doigts, je veux qu’on regarde les impacts que ça aurait pour les gens !" Son meilleur rôle.

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Et puis, il ne faudrait pas que les annonces controversées de cette partenaire imposée ternissent son beau projet. Sobriété d’un conseiller de l’Elysée : "Il veut faire de ces Jeux un moment unificateur, un antidote contre l’archipélisation." Pondération d’un autre : "Il compte faire de ces Jeux l’été dont on se souvient." Le retour de la trace. De l’héritage. Obsession macronienne de la première heure qui se cogne sans cesse contre le réel. "C’est un moment sans précédent, il va pouvoir exister sans avoir besoin d’agir", les anciens amis sont les plus durs. Ou les plus lucides ? Si l’olympisme tenait lieu de macronisme ? Alors, de cet été 2024 émergerait une génération JO : génération Macron. Ah, espérance… Succédant aux enfants de France 98, une France qui considère la victoire comme allant de soi, une France du record, de la performance. "Le top 5 est plus que jamais atteignable", martèle, fidèle à son idéal, le chef de l’Etat. Aveu confus de l’un de ses proches : "Pour lui, l’important c’est de gagner plus que de participer", Pierre de Coubertin se retourne dans sa tombe.

Il y a quelques mois, un ami lui a envoyé des captures d’écran du compte X (ex-Twitter) @perdantsmagnifiques. Poulidor, l’AS Saint-Etienne… Toute une mythologie de la défaite chevaleresque qui certes amuse le locataire élyséen mais ne le fait pas fantasmer. Son Graal s’appelle OM 93, la victoire du club de foot marseillais en Ligue des champions. A ses troupes, il rabâche : "A jamais les premiers !" A quoi bon le sport s’il ne sert pas à triompher ? Politiques et athlètes, même combat.

Un entraînement avec Brahim Asloum, une partie de tennis avec Gasquet

Il faut voir comme Emmanuel Macron les traite, ces sportifs. Respect et amitié. Ce personnage dont les partenaires de jeu politique cherchent encore les affects, sait faire montre à l’égard des champions d’une tendre attention. Séances de coaching dans les vestiaires, consolations, exhortations… Ces gagnants hors normes méritent qu’on casse les codes. Ainsi le président a-t-il avant les JO un autre projet secret pour rendre hommage à cet esprit de conquête : la remise de la Légion d’honneur à Yannick Noah (liste de janvier 2023) dans le stade de Roland-Garros, durant le tournoi qui se tiendra du 20 mai au 9 juin. Demain ! Evidemment, il faut que leurs agendas respectifs le permettent ; déjà envisagé l’an dernier pour l’anniversaire des 40 ans de la victoire du tennisman à Roland-Garros, le projet avait été reporté. Un intime : "Emmanuel essaye de se mettre à côté des recordmen pour créer chez les gens une espèce de sentiment d’assimilation." "Il aurait rêvé dans une autre vie, d’être un sportif de haut niveau", jure le journaliste sportif Jacques Vendroux. Conséquence : pour ne pas tout à fait renoncer, il pratique. La boxe trois fois par semaine à l’Elysée et à la Lanterne, pour le souffle. Le ping-pong, le tennis… Et quand il peut, le football. Que l’illusion est douce et parfaite quand l’ancien champion olympique de boxe Brahim Asloum contacte les équipes du chef pour faire part de sa volonté de disputer un combat avec l’intéressé. Et Richard Gasquet qui renchérit, candidat lui aussi à une partie de tennis avec le joueur élyséen. Parfois, ô joie, la vie publique lui permet de montrer l’étendue de ses talents. Comme lors du match de football organisé au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris, en 2021 à Poissy, par le Variétés Club de France présidé par son ami Vendroux. Les équipes préviennent : Emmanuel Macron restera un quart d’heure sur le terrain. Dans les vestiaires, on lui propose de se charger des penalties. "Non merci mon Jacquot." A la 20e minute, il tire et marque un pénalty. A la 85e, il quitte la pelouse. Voilà enfin un domaine où les victoires apparaissent sans ambages, éclatantes. Pour la peine, il a donné son accord pour jouer un nouveau match avant les JO avec le Variétés Club de France. Cette fois, on prévoit de réunir sur le terrain ses joueurs favoris. En haut de la liste : Laurent Blanc, son modèle, celui grâce à qui le destin de la France bascule en 1998 lors du huitième de finale contre le Paraguay. Celui grâce à qui les Français, soudain, bombent le torse.

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Paris 2024, "une fierté française", insiste le chef de l’Etat. Mais des semaines de communion peuvent-elles se décider en amont ? Pour embarquer le pays dans sa totalité, il n’a négligé ni les fameux "territoires" ni le budget. "Il a demandé aux fédérations de mettre en place des spectacles et des animations sur les places de village", se réjouit un stratège macroniste. Oserait-on suggérer que cette requête risque fort de se heurter, une fois de plus, à la réalité : des villes moyennes et des villages qui, depuis plusieurs années, perdent leurs commerces, parfois leurs écoles, et souvent leur vie ? Alors, que la province envahisse Paris ! Pour offrir des Jeux accessibles à tous et à toutes les bourses, il a veillé lui-même au respect du budget, que cela soit dit et répété. D’abord, impensable qu’un impôt JO douche l’enthousiasme des Français. Il s’est d’ailleurs impliqué personnellement pour obtenir des financements auprès des entreprises et grandes fortunes françaises. Ensuite, pour que cette compétition soit populaire, il faut que les tarifs des billets ne soient pas exorbitants. Aux râleurs qui jugent les places trop chères, l’Elysée rétorque : "50 % des billets vendus à moins de 50 euros, un million de billets gratuits… Ça coûte quand même moins cher d’aller aux Jeux qu’au concert de Rihanna !" Admettons. Mais Emmanuel Macron chante moins bien.

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