Catastrophe aérienne : le procès de l'accident d'avion de Yemenia Airways, en 2009, s'ouvre à Paris

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Catastrophe aérienne : le procès de l'accident d'avion de Yemenia Airways, en 2009, s'ouvre à Paris

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Un avion de la compagnie Yemenia Airways. L'enquête a montré que l'équipement n'était pas en cause dans l'accident.
Un avion de la compagnie Yemenia Airways. L'enquête a montré que l'équipement n'était pas en cause dans l'accident.
© AFP - TONY KARUMBA / AFP

Ce lundi 9 mai s'ouvre, à Paris, le procès de l'accident d'un avion de Yemenia Airways qui reliait Sanaa (Yemen) à Moroni (Comores), dans la nuit du 29 au 30 juin 2009. 152 personnes sont mortes, dont 65 Français. Seule une passagère de 12 ans a survécu. L'audience doit durer un mois.

Ce 29 juin 2009, 65 ressortissants français embarquent à l'aéroport de Marseille, direction les Comores, pour un vol Yemenia Airways qui doit s'effectuer en deux étapes : une première partie du voyage vers Sanaa, au Yemen, avant d'embarquer pour un second avion, vers Moroni, la capitale comorienne. Tout se déroule sans incident, jusqu'à l'approche de l'aéroport de Moroni : vers 22h50, heure locale (21h50, heure française), le vol Yemenia 626 disparaît des radars, en pleine manœuvre d'atterrissage.

Homicides et blessures involontaires

Que s'est-il passé pour que l'Airbus A310 s'abîme en mer, à quelques kilomètres des côtes ? Et, surtout, qui est responsable de cet accident ? Les pilotes, qui semblent avoir hésité sur la conduite à tenir ? L'aéroport, dont une partie de l'éclairage ne fonctionnait pas ? Ou la compagnie ?

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Des familles de victimes le lendemain de la disparition de l'appareil, le 30 juin, à Marseille
Des familles de victimes le lendemain de la disparition de l'appareil, le 30 juin, à Marseille
© AFP - ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Cette dernière comparaît, pendant un mois, devant le tribunal correctionnel de Paris, pour homicides et blessures involontaires sur les 142 passagers et onze membres d'équipages, "par imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence". Des faits passibles d'une amende de 225.000 euros.

L'ordonnance de renvoi précise que Yemenia Airways devra répondre du fait d'avoir " maintenu les vols de nuit à destination de Moroni en dépit du dysfonctionnement des feux de l'aéroport dont elle avait connaissance " et de ne pas avoir dispensé " à ses pilotes une formation suffisante ".

"Manœuvres pas adaptées"

L'aéroport de Moroni est connu des pilotes pour être un lieu difficile d'atterrissage : une zone en relief, peu de repères visuels, et la surface de la mer qui peut prêter à confusion de nuit. Or, le 29 juin 2009, le vol Yemenia 626 doit se poser en pleine obscurité. Un atterrissage en piste 02 est d'abord envisagé, avant que les conditions météo ne contraignent le commandant de bord et son co-pilote à opter pour la piste 20. Mais une autre difficulté se présente alors : des éclairages défectueux au sol brouillent les repères visuels nécessaires pour se poser en piste 20. "Selon le BEA [Bureau d'enquête et d'analyse - Ndlr], les manœuvres opérées n'étaient pas adaptées à la situation rencontrée", notent les juges d'instruction.

Les pilotes ne semblent pas avoir conscience de leur baisse d'altitude, malgré les signaux d'alarme qui se déclenchent et se déportent de la trajectoire prévue. Lorsqu'ils prennent conscience de la situation, il est trop tard, comme en témoigne l'enregistrement de leurs derniers échanges dans le cockpit : "On est perdu, on est perdu, de l'eau !" Une expertise a montré par la suite que l'avion disposait de suffisamment de réserves en carburant pour se dérouter vers l'aéroport de Dar-es-Salam (Tanzanie).

Pendant plusieurs jours, les secours ont scruté la région à la recherche de débris et de corps
Pendant plusieurs jours, les secours ont scruté la région à la recherche de débris et de corps
© AFP - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les pilotes et compagnies aériennes sont régulièrement tenus informés de l'état des infrastructures des aéroports par les Notam ["notice to airmen", "message aux navigants" en anglais - Ndlr], éditées par les services de contrôles de la navigation aérienne. Ce 29 juin 2009, une Notam a déjà été éditée pour prévenir que les feux au sol indiquant la position des pistes de l'aéroport de Moroni ("feux à éclats de piste") sont défectueux. Une autre, qui avertit de l'absence de "feux d'obstacles" (lumières indiquant les éventuels obstacles tels que des reliefs à proximité des pistes), sera publiée après l'accident.

Cette chronologie induit une question qui sera largement débattue pendant le procès : Yemenia Airways aurait-elle dû annuler l'atterrissage de nuit, au regard des informations dont elle disposait avant l'accident ? "La Yemenia n'a pas été avisée que les lumières n'étaient pas opérationnelles à ce moment-là, et elles pouvaient être mises en place dans l'heure, ce qui n'a pas été fait par l'aéroport de Moroni", explique à France Inter Me Léon-Lef Forster, avocat de Yemenia Airways, "Il y a donc une responsabilité lourde des institutions habilitées à mettre en place des conditions convenables d'atterrissage qui aurait dû être retenue". "La compagnie était au courant", assure, de son côté, Me Claude Lienhard, avocat de parties civiles.

Formation des pilotes

Une autre partie des débats portera sur la formation des pilotes. Des experts soulignent que le dernier test sur simulateur A310 du pilote date de neuf mois avant l'accident, ce qui aurait dû, selon eux, rendre sa licence de vol sur ce type d'avion invalide. Quant au co-pilote, sa séance sur simulateur se conclut sur l'appréciation suivante : "Satisfait aux standards minimum, a besoin de s'améliorer dans dans connaissance des systèmes et des performances de l'avion". "Le pilote et son co-pilote avaient toutes les licences adaptées pour voler", rappelle Me Forster. L'équivalence des documents a, par ailleurs, été validée par les autorités françaises (sans que cela ne préjuge de leur capacité technique, dont seule les autorités de l'aviation civile yéménite ont l'appréciation).

Par ailleurs, les juges d'instruction relèvent que "le dossier de l'équipage ne mentionnait ni de formation spécifique, ni de briefing avant le vol", pourtant obligatoire avant de rejoindre Moroni. "Les experts confirmaient que les causes déterminantes de l'accident étaient, d'une part, des manœuvres par les pilotes contraires aux règles de l'art et d'autre part, une conduite de vol manifestement inadaptée aux situations rencontrées", concluent les magistrats, qui voient dans l'absence de formation de l'équipage une "cause contributive" de l'accident.

"Ce n'est pas la faute des pilotes, comme ça a pu être dit ou allégué, c'est un manque d'organisation, de formation, de contrôle de qualité de la sécurité" qui ont conduit à cet accident, au yeux e Me Lienhard, qui voit dans la chute de l'appareil une "catastrophe prévisible et annoncée".

Bahia Bakari, la "miraculée"

Une image a marqué les esprits, lors de cette catastrophe aérienne. Celle de l'unique rescapée, qui se présente elle-même comme "miraculée" : Bahia Bakari, 12 ans à l'époque, le visage rongé par le sel, les yeux gonflés, des plaies plein le corps, allongée sur un lit d'hôpital le 1er juillet 2009. La jeune fille racontera par la suite aux enquêteurs avoir ressenti d'importantes secousses, avant d'être comme électrisée : "C'est venu d'un coup, je ne sais pas si c'est la foudre qui a frappé". Elle reste accrochée plus de huit heures à un débris, persuadée d'avoir été éjectée de l'avion et que sa mère va venir la chercher.

Bahia Bakari à l'hôpital le 1er juillet 2009 après avoir été retrouvée dans des débris de l'avion.
Bahia Bakari à l'hôpital le 1er juillet 2009 après avoir été retrouvée dans des débris de l'avion.
© AFP - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Agée aujourd'hui de 25 ans, étudiante, la jeune femme refuse de s'exprimer publiquement avant son audition, prévue, pour le moment, le 23 mai. "Elle aborde ce rendez-vous avec, d'abord, de la sérénité, et, ensuite, un grand sens des responsabilités. Elle veut réserver son témoignage à la juridiction, c'est important", détaille Claude Lienhard.

A ce stade, 560 personnes se sont portées parties civiles à ce procès. Une partie de l'audience sera retransmise au palais de justice de Marseille, d'où sont originaires de nombreuses familles. Notamment le jour de l'audition de Bahia Bakari. Dans un communiqué, l'Association des familles de victimes dit sa "satisfaction de voir enfin l'ouverture du procès après bientôt treize années d'instruction, de procédure et d'attente". Mais exprime aussi "une douloureuse et profonde frustration" : aucun responsable de la compagnie ne fera le déplacement à Paris.

"L'état de guerre civile au Yemen rend les déplacements quasiment impossibles", explique Me Léon-Lef Forster. "La deuxième raison est que le responsable de la Yemenia n'était pas en place à l'époque, sa présence ne serait pas utile". L'avocat l'assure, l'accident a "traumatisé" la compagnie :  "Les pilotes et les membres d'équipage sont décédés. L'ensemble des victimes directes ou indirectes sont prises en considération. Mais il n'est pas question pour la Yemenia de faire office de bouc émissaire dans le cadre d'un exorcisme pour permettre de condamner quelqu'un qui ne serait pas la personne responsable". Son confrère de la partie adverse voit, lui, dans cet absence de représentant de la compagnie, "un manque de respect pour les victimes et pour la justice française".

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