Oscars : le triomphe de «Coda», de l’humour et un grand moment de malaise avec Will Smith

Tout allait bien depuis minuit aux Oscars avec une soirée colorée, enlevée, joyeuse... mais à 4h15, un incident entre les comédiens Will Smith et Chris Rock a plombé l’ambiance. Récit de la grand-messe du cinéma américain, que nous avons suivie du début à la fin.

«Coda» a raflé trois Oscars pour trois nominations : meilleur acteur dans un second rôle, meilleur scénario adapté, et surtout meilleur film. AFP/Frederic J. Brown
«Coda» a raflé trois Oscars pour trois nominations : meilleur acteur dans un second rôle, meilleur scénario adapté, et surtout meilleur film. AFP/Frederic J. Brown

    Ce fut une folle soirée de cinéma, pleine de surprises - bonnes et moins bonnes. Les Oscars déroulaient la nuit dernière leur 94e cérémonie - après deux ans de pandémie et un événement distancié en 2021 dans la gare ferroviaire de Los Angeles - au Dolby Théâtre de Hollywood, comme à la grande époque. Avec le décalage horaire, l’événement, retransmis en direct sur Canal +, débutait à minuit heure française.

    Pour la première fois, l’Académie des Oscars avait organisé à Paris une « French Oscar Party » chez Blanche (Paris IXe) à laquelle nous étions conviés, avec cocktail et dîner arrosé au champagne rosé Fleur de Miraval de Brad Pitt. Le milieu du cinéma français et quelques Américains y étaient réunis - y participaient notamment Florian Zeller, l’auteur et réalisateur de « The Father », vainqueur de deux statuettes l’an dernier, Maïmouna Doucouré, la réalisatrice de « Mignonnes », Jérémy Clapin, réalisateur de « J’ai perdu mon corps », ou le grand producteur Jean-Louis Livi… - avant la retransmission en direct de la cérémonie.

    Un tapis rouge ahurissant

    Aux environs de minuit, le défilé de stars a débuté sur le tapis rouge du Dolby Theatre, au long duquel s’étaient massés badauds, équipes de télé et journalistes. Le tout dans la bonne humeur et une folle ambiance de retrouvailles après deux ans de disette. Les fans et les téléspectateurs en ont pris plein les yeux. Steven Spielberg, arrivé assez tôt, a pris le temps d’embrasser toute l’équipe de son « West Side Story », suivi peu après de Nicole Kidman, en lice pour « Being the Ricardos » (Amazon Prime Video), majestueuse et souriante dans une incroyable robe de princesse gris-bleu.

    L’équipe de « Belfast » de Kenneth Branagh (sept nominations), comédiens et techniciens tous Irlandais, a ensuite fait durer le plaisir sur le tapis, juste avant l’arrivée de Benedict Cumberbatch - en veste de smoking ornée d’un badge bleu et jaune pour marquer sa solidarité avec l’Ukraine - et de son épouse Sophie Hunter. Timothée Chalamet, torse nu sous sa veste pailletée, a fait un passage qui a déclenché les hurlements des fans, tout comme la grande Liv Ullmann, ainsi que Zendaya, toute de lamé vêtue.

    On ne peut pas tous les citer tant le brouhaha était joyeux : « c’est la folie sur le tapis ! » s’est exclamé Didier Allouch, qui couvrait en direct le défilé de stars pour Canal +, juste avant que ne surgissent les sœurs Williams, impressionnantes, Anthony Hopkins, récompensé de la statuette de meilleur acteur l’an dernier pour « The Father », Kevin Costner, impérial et souriant, puis Will Smith et sa femme Jada Pinkett, moulée dans une sidérante robe noire à la traîne interminable façon Catwoman. Au chapitre des robes, on a eu droit à un festival de couleurs, du doré (Jessica Chastain), du bleu foncé (Penélope Cruz), du rose satiné (Mila Kunis), jusqu’au micro short et veste de smoking d’homme si joliment portés par Kristen Stewart.

    Grosse ambiance sur scène et dans la salle

    Dès le début de la cérémonie peu après 2 heures du matin, le ton était donné par les trois maîtresses de cérémonie, Regina Hall, Amy Schumer et Wanda Sykes : dégainer des vannes non-stop, en se moquant gentiment des films et de stars dans la salle. La palme à Amy Schumer, véritable machine à débiter des blagues qui tuent : « Power Of The Dog est le grand favori de la soirée, moi je l’ai vu, enfin j’ai vu le début. J’en regarde un petit bout chaque semaine ! » Ou encore : « vous avez tous été héroïques pendant la pandémie, vous avez continué à faire des films. Enfin pas forcément des bons films, hein. Cela dit je n’en ai vu aucun ! J’ai une excuse, je suis mère d’un enfant en bas âge. Ah si, pardon, du coup j’ai vu Encanto 109 fois ! » Tout au long de la soirée, les trois animatrices, parfois déguisées, ont mis le feu.

    Que de chansons !

    En tout début de soirée, c’est Beyoncé qui a lancé le bal de cette cérémonie très musicale en interprétant la chanson « Be Alive », du film « La Méthode Williams », depuis le terrain de tennis de Compton (situé à 30 minutes du Dolby Theatre) où ont débuté les sœurs Williams. D’autres lui ont succédé, dont Billie Eilish pour une séquence très touchante avec la chanson de « Mourir peut attendre ». Mais le moment le plus fou est survenu vers 3 heures du matin, quand toute la troupe de chanteurs du film d‘animation « Encanto » a entonné la chanson « We Don’t Talk About Bruno » au milieu des stars dans la salle, avant de finir à 40 sur scène ou debout sur les tables en accompagnant les notes de belles chorégraphies. Un de ces moments fous, colorés, enthousiasmants, dont les Oscars ont le secret.

    De grands moments d’émotion

    On n’a pas fait que rire durant cette cérémonie. La première séquence émouvante et venue avec l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle décerné à Troy Kotsur pour « Coda », premier comédien sourd à recevoir un Oscar. Kotsur, qui reprend le rôle de François Damiens dans « La Famille Bélier », a rendu hommage à son père, qui maîtrisait le langage des signes avant d’être handicapé suite à un accident et de ne plus pouvoir bouger ses membres. Troy Kotsur a aussi rappelé que le film avait été montré à la Maison-Blanche, et il a remercié sa réalisatrice, Siân Heder, pour avoir réussi à « faire communiquer les sourds et les entendants » grâce à ce film.

    Peu après, Mila Kunis, d’origine ukrainienne, est venue rappeler que son peuple en guerre résistait mais était plongé en pleines souffrances. Un carton est alors apparu à l’écran, priant la salle de faire un moment de silence en hommage aux Ukrainiens, suivi d’un autre qui demandait de faire des dons via le hashtag #standwith Ukraine.

    Plus tard, un autre grand moment d’émotion est venu de l’apparition sur scène de Francis Ford Coppola, Robert De Niro et Al Pacino pour les 50 ans du « Parrain ». Autres moments marquants : celui fêtant les 28 ans de « Pulp Fiction » qui a réuni sur scène Uma Thurman et John Travolta, et l’arrivée de Lady Gaga et Lisa Minelli en fauteuil roulant pour remettre l’Oscar du meilleur film.

    Le malaise et les larmes de Will Smith

    Une séquence aussi inattendue qu’embarrassante a créé un gros malaise à 4h15. Le comique et comédien Chris Rock, venu remettre l’Oscar du meilleur documentaire, s’est lancé dans une série de blagues corsées dont il a le secret, rigolant, entre autres, sur la coupe rasée de Jada Pinkett-Smith - elle est atteinte d’une maladie, l’alopécie, autrement appelée « pelade » - et son éventuelle participation au film « G.I. Jane ».

    Will Smith s’est alors subitement levé pour aller coller une gifle à Rock, avant de repartir s’asseoir près de son épouse. On a cru quelques secondes à un sketch, jusqu’à ce que Smith lance depuis son siège « garde le nom de ma femme hors de ta putain de bouche ! » L’emploi du mot « fuck », strictement prohibé aux Oscars, démontrant que le comédien était hors de lui et avait vraiment eu un coup de sang. On pouvait alors entendre les mouches voler dans la salle.



    Puis, recevant quelques minutes plus tard l’Oscar du meilleur acteur, Will Smith a alors entamé, en larmes, un discours où il a dit « traverser un moment dans ma vie où je suis amené à protéger les autres » - sa femme notamment. Faisant directement allusion à l’incident - qui devrait avoir des suites dans les jours qui viennent -, il a dit être dans une position où il doit « affronter les moqueries et le manque de respect tout en donnant de l’amour » et a tenu à s’excuser auprès de l’Académie des Oscars. « J’aime ma mère, ma famille, ma femme », a-t-il conclu. L’atmosphère pesante qui s’est ensuivie a été réchauffée par, une fois de plus, Amy Schumer, qui a déboulé en lançant que « l’ambiance semblait avoir changé » et qu’elle avait du « rater quelque chose » !

    Le triomphe de « Coda » sauve la soirée… et la France

    Si les principaux favoris ont gagné - meilleur scénario original pour « Belfast », meilleur film d’animation pour « Encanto », meilleure chanson pour Billie Eilish et « Mourir peut attendre », meilleure réalisatrice pour Jane Campion et « The Power Of the Dog » (troisième femme à obtenir la récompense après Kathryn Bigelow pour « Démineurs » en 2010 et Chloé Zhao l’an dernier pour « Nomadland »), six oscars techniques pour « Dune », meilleure actrice pour Jessica Chastain dans « Dans les yeux de Tammy Faye », l’Oscar attribué à Will Smith après « l’incident » avec Chris Rock semblait avoir tué la soirée.

    Puis « Coda » est arrivé, raflant trois Oscars pour trois nominations : meilleur acteur dans un second rôle, meilleur scénario adapté, et surtout meilleur film. Ce prix, le plus prestigieux, a été salué par toute la salle, les stars, tout sourire, mimant les applaudissements en langage des signes. Avec ce carton du remake de « La Famille Bélier », c’est un peu la France qui est récompensée : sur scène, le producteur français du film, Philippe Rousselet, a rappelé les liens de « Coda » avec notre pays », tandis qu’une jeune femme traduisait son discours en langage des signes, ultime émotion…