Guerre de l’eau ou guerre de religions ? Escalade à la frontière Afghanistan-Iran.

Photo d’archives : en octobre 2021, un combattant taliban monte la garde à la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran, au poste frontière de Qala. ©AFP - Hoshang Hashimi / AFP
Photo d’archives : en octobre 2021, un combattant taliban monte la garde à la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran, au poste frontière de Qala. ©AFP - Hoshang Hashimi / AFP
Photo d’archives : en octobre 2021, un combattant taliban monte la garde à la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran, au poste frontière de Qala. ©AFP - Hoshang Hashimi / AFP
Publicité

Des affrontements ont fait plusieurs morts entre l’armée iranienne et les talibans afghans, et des renforts sont envoyés de part et d’autre. En jeu, le début d’un fleuve reliant les deux pays, mais cette affaire réveille une vieille hostilité religieuse et nationale.

Ce ne sont pour l’instant que quelques escarmouches, qui ont tout de même fait plusieurs morts. Mais un conflit de plus grande intensité menace entre l’Afghanistan et l’Iran, deux voisins aux relations difficiles. Chacun accuse l’autre, des renforts militaires sont acheminés vers cette frontière de plus de 900 kilomètres de long : le risque d’escalade est grand.

Comme pour tous les conflits, il y a une cause immédiate, et des explications plus profondes. L’immédiate, c’est l’eau. Téhéran accuse Kaboul de violer un accord remontant à 1973, régissant le débit du fleuve Helmand, une source vitale d’eau. Ce fleuve coule sur plus de 1000 kilomètres, et selon Téhéran, l’Afghanistan, en amont, construit de nouveaux barrages hydroélectriques et d’irrigation : des changements qui affectent le débit en aval, en Iran, dans une région qui souffre déjà de sécheresse.

Publicité

L’Afghanistan dément ces accusations et met en avant des raisons climatiques. On se retrouve ici avec une problématique de plus en plus fréquente dans le monde, l’eau se transformant en matière stratégique pour laquelle on peut se battre.

Mais ce n’est pas la seule explication, car cette région présente une incroyable complexité religieuse et humaine. Les deux pays ont des régimes islamistes, mais la révolution islamique en Iran s’appuie sur la majorité chiite du pays, tandis que les talibans, qui ont repris le pouvoir à Kaboul, sont sunnites, majoritairement de l’ethnie pachtoune.

Le schisme religieux n’explique pas tout, loin de là, mais il ne faut pas non plus l’ignorer. Les vidéos de propagande des talibans, qui multiplient depuis quelques jours les attaques contre le régime iranien, qualifient d’ailleurs les dirigeants chiites d’infidèles et menacent d’aller les attaquer jusqu’à Téhéran. Par le passé, les talibans ont régulièrement été accusés de s’en prendre aux autres minorités en Afghanistan, et en particulier aux Hazaras qui sont majoritairement chiites.

A la victoire des talibans en 2021, l’Iran a réagi avec prudence, cherchant un équilibre entre sa défense des chiites afghans et le besoin de stabilité dans sa relation avec les nouveaux maîtres de Kaboul. Cet équilibre semble rompu.

La rhétorique guerrière ne va pas nécessairement se traduire en affrontements armés. Les deux pays ont leurs problèmes intérieurs, les talibans ne sont toujours pas reconnus par la communauté internationale, et font face à la difficulté de gouverner un pays exsangue ; l’Iran est soumis aux sanctions, et doit toujours faire face au mouvement initié par les femmes, que le régime ne parvient pas à écraser malgré une répression féroce.

Mais cette frontière a une histoire qui se nourrit de violence. Aliyeh Ataei, une romancière d’origine afghane mais de nationalité iranienne, née sur cette fracture entre les deux pays, vient justement de publier « La frontière des oubliés » (éd. Gallimard). Son récit poignant porte sur son histoire familiale, entre les deux pays, sur ces hommes et ces femmes qui fuient une guerre pour tomber sur une autre, éternel recommencement. Lors d’un débat au festival Étonnants Voyageurs ce weekend, elle a eu ces mots terribles : « à force de vivre dans la guerre, le gêne de la guerre est entré en nous ».

Qui peut croire que c’est par les armes que se règlera le problème de l’eau, ou que les peuples enchevêtrés trouveront la paix ? Mais rien ni personne n’a prise sur ces deux régimes bardés de certitudes religieuses.

L'équipe

pixel