Le président des Restos du cœur alerte : « La moitié des bénéficiaires a moins de 25 ans »

Les Enfoirés seront sur TF 1 ce vendredi. Le président des Restos du cœur, Patrice Douret, et Patrick Fiori, Enfoiré depuis un quart de siècle, dialoguent autour du constat d’une précarité toujours plus grande et de l’impérieuse nécessité d’agir.

Une distribution dans un centre des Restos du Cœur. (Illustration) LP/Juliette Duclos
Une distribution dans un centre des Restos du Cœur. (Illustration) LP/Juliette Duclos

    À quelques jours de la diffusion du concert des Enfoirés, ce vendredi à 21h10 sur TF 1 et France Bleu, et de la collecte nationale des Restos du cœur, du 3 au 5 mars, Patrice Douret, président de l’association depuis 2021, et Patrick Fiori, membre de la troupe des Enfoirés depuis un quart de siècle maintenant, se sont réunis pour évoquer avec nous la situation alarmante de la précarité en France.

    Patrice, vous avez publié cette semaine un pré-bilan chiffré des Restos du cœur, ce dont vous n’aviez pas l’habitude. Pourquoi ?

    PATRICE DOURET. C’est la première fois même, mais nous faisons face à une situation jamais connue. Déjà au lancement de cette 38e campagne en novembre, nous alertions sur l’augmentation de 12 % de personnes accueillies après quelques mois d’inflation. Aujourd’hui, treize semaines après, on constate une évolution grave, rapide et inédite de la précarité, avec 22 % de personnes supplémentaires qui ont besoin de nous par rapport à la même période l’an dernier. Par endroits, c’est même 30 %.

    « On ne va pas sauver le monde, on fait ce qu’on peut, en toute humilité, mais on a pris la décision de ne pas lâcher », assure Patrice Douret. LP/Olivier Corsan
    « On ne va pas sauver le monde, on fait ce qu’on peut, en toute humilité, mais on a pris la décision de ne pas lâcher », assure Patrice Douret. LP/Olivier Corsan LP / Olivier Corsan

    Cela représente combien de personnes ?

    P.D. Ce sont ces premières semaines d’hiver 160 000 personnes de plus à avoir besoin d’une aide alimentaire pour survivre. Et, dans l’ensemble, la moitié a moins de 25 ans. Les contacts à la rue, c’est-à-dire les personnes en bas de chez nous qui viennent simplement tendre la main parce que, même en travaillant, elles n’ont pas suffisamment pour finir le mois, sont en hausse de 25 %. Il y a beaucoup de familles et d’enfants.

    Vous voyez aussi beaucoup de bébés dans vos centres…

    P.D. Et de plus en plus. Les 0 à 3 ans étaient 110 000 en début de cette campagne, c’est 16 % de plus en un an. Des bébés et souvent des mamans seules qui ont besoin des Restos du cœur pour survivre. Le constat est plus grave et plus rapide que ce qu’on avait connu lors de la crise de 2008. L’augmentation du nombre de bénéficiaires en trois ans va être atteinte en quelques mois à cause de l’augmentation du coût de la vie.

    Face à cette explosion de la précarité, que pouvez-vous faire ?

    P.D. Déjà, demander des moyens. Nous avons aussi un risque d’effet ciseaux, c’est-à-dire de croisement entre une augmentation forte des besoins et l’évolution, qu’on ne connaît pas encore, de nos ressources. Les Restos du cœur achètent plus du tiers de ce que l’on distribue, avec 20 % de hausse de nos coûts ces derniers mois. Mais nous avons pris la décision de ne pas réduire ce que l’on propose à ceux qui viennent frapper à notre porte. C’est pour cela que la collecte nationale de ce week-end est vitale.



    Patrick, cette situation, ces chiffres, les Enfoirés les ont à l’esprit en montant sur scène ?

    PATRICK FIORI. Évidemment, ces chiffres tétanisent et confirment qu’il faut y aller encore plus. Avec les Enfoirés, pour les Restos, on remet le couvert et on le fera à chaque fois. L’addition de nous tous, avec les bénévoles de terrain, fera qu’on arrivera à maintenir quelque chose d’équilibré dans ce joli pays où malheureusement il faut encore ce genre d’organisme… Il y a ces chiffres malheureux mais, la bonne nouvelle, c’est que les Restos sont là et que les Enfoirés ne lâcheront jamais rien. Mes parents étaient famille d’accueil, on était parfois 10 ou 12 à la maison alors qu’ils n’avaient fait que cinq gamins. Ce don, cette envie d’accompagner l’autre quel que soit le besoin, je l’ai toujours connu. Ce message, je l’ai en moi.

    L'Enfoiré Patrick Fiori en concert à Lyon le 15 janvier 2023 : « Cette envie d’accompagner l’autre quel que soit le besoin, je l’ai toujours connue. »
    L'Enfoiré Patrick Fiori en concert à Lyon le 15 janvier 2023 : « Cette envie d’accompagner l’autre quel que soit le besoin, je l’ai toujours connue. » Sylvie Grobois

    Cette année, c’est le retour du public en salle après deux années de Covid, comment ça s’est passé à Lyon en janvier ?

    P.F. La vraie star, c’est le public, c’est notre carburant du cœur. Ça a été compliqué de ne pas pouvoir lui offrir ce qu’on avait fabriqué. Là, il était là et c’était exceptionnel. Quand le rideau s’ouvre et qu’on ressent ces vibrations, ce cœur qui bat, parce que c’est un cœur qui bat pour des milliers de personnes venues avec leur générosité abondante. On passait dans les coursives, ils nous disaient merci beaucoup, on avait envie de s’arrêter net, de les regarder dans les yeux et de leur dire merci à vous. On a besoin de vous et vous êtes toujours là.

    Il y aura des surprises, et notamment une pour Mimie Mathy, un joli moment d’émotion. Que représente-t-elle, pour vous et pour les Enfoirés ?

    P.F. Mimie, c’est Goldman en femme. C’est un de ces piliers qui savent comment les choses se passent, elle accompagne la nouvelle génération, la fait grandir rien qu’en les regardant, en les conseillant. Mimie Mathy, c’est notre ange à nous. Elle nous écoute, nous suit, nous conseille, elle est exceptionnelle. Et pour les gens exceptionnels, de temps en temps une petite surprise, ça fait toujours plaisir.

    « Enfoirés un jour, Enfoirés toujours », c’est le titre du spectacle, est-ce que Jean-Jacques Goldman est curieux de ce que vous faites ?

    P.F. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on débarque d’un navire comme ça qu’on le quitte. Les capitaines pour toujours sont Coluche, évidemment, Véronique Colucci (l’épouse de l’humoriste décédée en 2018) et Jean-Jacques, qui nous regarde avec une longue-vue pour voir si tout se déroule bien. Il nous a formés pour être des Enfoirés du cœur. C’est précieux d’être conseillé par un homme avec un tel supplément d’âme, on est capable de mener ce bateau, de faire en sorte qu’il ne prenne pas l’eau, de le mener à bon port. Merci, Jean-Jacques Goldman, Coluche et Véronique.



    P.D. Et merci aux Enfoirés. Au-delà des 12 millions de repas qu’ils ont permis de distribuer en 2022, malgré l’absence de billetterie, une étude menée l’an dernier nous a montré que 17 % de ceux qui un jour ont franchi notre porte pour demander de l’aide l’ont fait grâce à la bienveillance, à l’image et à la confiance que dégagent les Enfoirés. C’est important de le dire.

    N’y a-t-il par un sentiment d’impuissance devant une demande d’aide qui ne fait qu’augmenter ?

    P.F. Que vous voulez faire ? Il ne faut pas lâcher le bateau et il faut continuer à avancer. Il va y avoir de l’inflation, de mauvais chiffres, il risque d’y avoir encore plus que ces 22 % de personnes aidées supplémentaires, on en parlera peut-être encore l’année prochaine, mais on sera là et on ne lâchera rien. On compte sur vous, vous pouvez compter sur nous.

    P.D. C’est certain que, quand Coluche a démarré en 1985, la première année, c’était 8,5 millions de repas. On est à 142 millions sur la précédente campagne. Combien, à la fin de celle-ci ? On ne peut pas se résigner, il ne faut rien banaliser ni considérer que c’est une fatalité, que des générations se succèdent, de crise en crise, tombent dans la précarité et y restent. Les 110 000 bébés, probablement plus cette année, qu’on accompagne les mille premiers jours, on fait tout pour qu’ils ne soient pas les adultes accueillis demain. On ne va pas sauver le monde, on fait ce qu’on peut, en toute humilité, mais on a pris la décision de ne pas lâcher, malgré le contexte difficile et les quelques incertitudes au niveau financier.

    Ces derniers mois, avez-vous constaté une baisse des dons ?

    P.D. Une baisse du nombre de nos donateurs, ce qui peut laisser penser que l’inflation touche les foyers qui jusqu’à présent donnaient un peu. En revanche, cette baisse a été compensée par une hausse du montant du don moyen. On sait que les Français sont généreux, et, avec les 83 000 bénévoles, on attend dans les magasins ceux qui peuvent nous aider ce week-end avec un objectif de 9 000 tonnes de denrées et produits, on sait qu’ils seront au rendez-vous, et chaque don en nature, quel qu’il soit, est aussi essentiel parce qu’utile.

    Que représentent le concert des Enfoirés et ses retombées ?

    P.D. En moyenne entre 8 et 10 % de nos ressources, soit 12 millions de repas servis l’an dernier. Ce n’est pas anodin. Avec, rappelons-nous, 4 millions d’euros de billetterie en moins.

    Les ventes de CD et de DVD ne font que chuter ces dernières années, pour la première fois les chansons et le spectacle seront disponibles dans la foulée de la diffusion en streaming…

    P.D. On essaie de s’adapter à l’évolution du marché et des consommateurs. On a encore beaucoup d’acheteurs de CD et de DVD, et j’en fais partie, bien que n’ayant pas les machines pour les lire, je continuerai à le faire. Beaucoup de personnes consomment du streaming, il nous a paru intéressant de pouvoir leur mettre ce formidable spectacle dans le mouvement de communication tout de suite après sa diffusion sur TF 1 et France Bleu, alors qu’avant on attendait quatre semaines. C’est une première, on en verra le résultat, mais on doit s’adapter à l’évolution de la consommation.