La Croix : Face aux menaces militaires chinoises, Taïwan est-elle en état de guerre ?

Ming-Shih Shen: Non. Mais nous mobilisons toute notre population et améliorons nos systèmes de défense afin d’éviter la guerre avec la Chine. Nous faisons tout pour dissuader la Chine d’envahir militairement Taïwan. De surcroît, ce n’est absolument pas le bon moment pour la Chine et Xi Jinping de lancer une offensive militaire contre Taïwan.

Certes, depuis la visite de Nancy Pelosi à Taïwan en 2022, les exercices militaires chinois dans le détroit de Taïwan se sont intensifiés, mais si la Chine déclenchait une guerre maintenant, son armée ne pourrait pas gagner face aux États-Unis. L’ancien ministre chinois de la défense a dû récemment démissionner pour corruption et, au sein même de l’armée chinoise, de nombreux généraux redoutent un conflit avec les États-Unis car ils ne se sentent pas prêts.

En outre, la Chine en ce moment doit affronter de nombreux problèmes intérieurs. Il existe des luttes de pouvoir au sein même du Parti communiste qui font douter Xi Jinping de la loyauté de ses cadres. Si Xi Jinping lançait une offensive maintenant, elle ferait plusieurs dizaines de milliers de morts.

Comment expliquez-vous que les Taïwanais soient si sereins en dépit du contexte de tension ?

M.-S. S. : Les Taïwanais sont convaincus que notre présidente Tsai Ing-wen ne donnera aucun prétexte à la Chine pour nous attaquer. Elle ne déclarera pas l’indépendance de Taïwan et défendra toujours le statu quo actuel, ni unification ni indépendance. Depuis qu’elle est au pouvoir, elle a mené des réformes militaires audacieuses. Elle vient de décider l’allongement de la durée du service militaire, qui va passer en 2024 de quatre mois à un an. Avec la guerre en Ukraine, il était évident qu’une telle décision serait prise, et la population l’a acceptée.

Nous avons également acheté beaucoup de nouvelles armes, y compris des drones. La volonté de la population pour se battre et défendre Taïwan est très forte en cas d’attaque de la République populaire de Chine. Plus de 70 % du pays est prêt à prendre les armes.

Êtes-vous certain que les États-Unis viendront vous défendre en cas d’attaque chinoise ?

M.-S. S. : Selon les termes du Taïwan Relation Act signé entre la République de Chine (Taïwan) et les États-Unis en 1979, Washington a l’obligation de nous venir en aide sans toutefois préciser si des troupes américaines seraient envoyées à Taïwan. Depuis, les États-Unis ont entretenu une « ambiguïté stratégique » sur le sujet, même si Joe Biden a répété plusieurs fois que les États-Unis interviendraient, sans donner de précision sur l’envoi de troupes. Notre présidente Tsai a toujours défendu le statu quo actuel, et le candidat de son parti Lai Ching-te, qui a des chances de lui succéder s’il remporte la présidentielle le 13 janvier, est lui aussi sur la même ligne.

Mais de toute façon, de mon point de vue, la Chine ne peut gagner une guerre contre les États-Unis. Le rapport de force reste largement en faveur de ces derniers.

Comment analysez-vous le harcèlement militaire permanent de l’armée chinoise dans le détroit de Taïwan ?

M.-S. S. : L’Armée populaire de libération chinoise vise plusieurs objectifs en menant ces manœuvres militaires. Il s’agit d’abord d’un entraînement militaire grandeur nature sur un potentiel futur théâtre d’opérations en cas d’attaque contre Taïwan. Ensuite, la Chine veut nous effrayer et nous prévenir qu’elle se prépare sérieusement à la guerre, pour nous convaincre de « bien nous comporter ». Mais les Taïwanais n’ont pas peur.

Enfin, la Chine veut montrer qu’elle s’installe légalement sur cet espace du détroit de Taïwan et montrer qu’il lui appartient. Elle vise à effacer notre souveraineté sur ce territoire. De plus, la marine et l’armée de l’air chinoises testent nos capacités de réaction et de défense qui sont mises à l’épreuve.

Néanmoins, je pense qu’une invasion de Taïwan serait très difficile à mener à bien par l’armée chinoise. Il lui faudra des centaines de milliers d’hommes, des milliers de bateaux, des sous-marins, des avions de chasse… Nous veillons en permanence.

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