BFMTV
Politique

Mayotte: pourquoi mettre fin au droit du sol comme le souhaite Darmanin ne va pas être simple

En déplacement depuis l'île de l'océan Indien ce dimanche 11 février, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé une révision constitutionnelle à venir, destinée à supprimer le droit du sol à Mayotte. Une procédure complexe, qui contrevient à des principes d'égalité fondamentaux, selon des experts.

Il assume une "décision radicale". Depuis Mayotte, où il est en déplacement, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé une "révision constitutionnelle" destinée à supprimer le droit du sol sur l'île de l'océan Indien, confrontée à une grave crise migratoire et à une situation sociale et sécuritaire explosive.

Pourquoi Gérald Darmanin veut-il mettre fin au droit du sol à Mayotte?
Pourquoi Gérald Darmanin veut-il mettre fin au droit du sol à Mayotte?
4:12

"Il ne sera plus possible de devenir Français si on n'est pas soi-même enfant de parent français", a précisé le ministre, assurant que cela "coupera littéralement l'attractivité" que peut avoir l'archipel mahorais, confronté à une forte pression migratoire en provenance des Comores voisines.

Un droit du sol déjà restreint à Mayotte

L'accès au droit du sol à Mayotte a déjà été durci en 2018: pour qu'un enfant né sur l'île devienne Français, il faut que l'un de ses parents ait, au jour de la naissance, été présent de manière régulière en France depuis au moins trois mois, ce qui n'est le cas nulle part ailleurs. Cette nouvelle annonce du gouvernement va plus loin, en supprimant dans la Constitution le droit du sol à Mayotte.

Pour mener une réforme constitutionnelle, l'initiative doit émaner du Parlement ou du président de la République. Dans ce cas, elle doit être approuvée par référendum, ou par trois-cinquièmes des membres du Parlement, réunis en Congrès, rappelle le site vie-publique.

Mais, selon des experts interrogés par BFMTV, cette réforme constitutionnelle s'annonce extrêmement compliquée à mettre en place, et contreviendrait surtout aux principes de la République.

"Ça bafoue les valeurs de la République"

"C'est inconstitutionnel. C'est une vraie rupture d'égalité des citoyens devant la loi, ce qui est prévu par la déclaration du droit de l'Homme et du citoyen", souligne Me David Libeskind, avocat en droit public.

"C'est avoir une conception racialiste sur le fait d'être Français (...) Ça bafoue les valeurs de la République puisque chaque citoyen est égal devant la loi", ajoute-t-il encore.

"Ça peut porter atteinte au principe d'égalité des territoires. La loi s'applique de la même manière en métropole et en Outre-mer", explique de son côté Me Pierrick Gardien, avocat en droit public.

Pour l'historien Patrick Weil, spécialiste des questions d'immigration et de citoyenneté et directeur de recherche au CNRS, cette future réforme serait "une rupture très importante", vis-à-vis du principe d'"indivisibilité de la République". "Faire un droit différencié - dans une partie du territoire donnée - en matière de nationalité, c'est tout à fait exceptionnel en République, régime fondé sur l'égalité des citoyens et l'unité du territoire", détaille-t-il auprès de l'AFP.

"Une discrimination, une inégalité"

Même constat pour le constitutionnaliste Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble Alpes, qui estime, dans un message sur les réseaux sociaux, que Gérald Darmanin "veut mettre fin au principe le plus constant du droit de la nationalité par les lois républicaines sur un territoire français".

Auprès de franceinfo, Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), dénonce un choix de l'exécutif "extrêmement dangereux", qui remet en cause "un droit fondamental" et qui instaurerait "une discrimination, une inégalité qui ne pourrait être que censurée par le Conseil constitutionnel".

Quid justement des Sages, si cette réforme était adoptée par le Parlement? "En l'état, ce principe est inscrit uniquement dans le Code civil, donc il a la valeur d'une loi. On dit en droit que ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire. Mais ce n'est pas aussi simple, parce qu'il s'agit d'un principe fondamental", détaille pour BFMTV Me Pierrick Gardien, avocat en droit public. Selon ce dernier, le Conseil constitutionnel pourrait donner à ce principe "une valeur constitutionnelle" pour compliquer, voire invalider, la procédure.

Fanny Rocher