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Le prix Goncourt 2023 récompense Jean-Baptiste Andrea pour « Veiller sur elle »

L’écrivain, né en 1971, est distingué pour son quatrième roman, déjà salué par le prix du roman Fnac.

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Publié le 07 novembre 2023 à 12h51, modifié le 08 novembre 2023 à 02h19

Temps de Lecture 3 min.

Jean-Baptiste Andrea, au restaurant parisien Le Drouant, où est remis le prix Goncourt, à Paris, le 7 novembre 2023.

Le prix Goncourt 2023 récompense Veiller sur elle, de Jean-Baptiste Andrea (L’Iconoclaste, 592 pages, 22,50 euros), déjà distingué par le prix du roman Fnac : une fresque métaphysique autour de la sculpture, une méditation sur la présence et l’absence. Etaient également en lice Triste tigre, de Neige Sinno (P.O.L), Humus, de Gaspard Kœnig (L’Observatoire), et Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Eric Reinhardt (Gallimard). Le roman succède à Vivre vite, de Brigitte Giraud (Flammarion), dont le couronnement dans une ambiance tendue, en 2022, avait été un catalyseur des dissensions internes au jury du Goncourt.

Annoncé juste après, et au même endroit, le restaurant parisien Drouant (2e arrondissement), le prix Renaudot a été attribué à Ann Scott pour Les Insolents (Calmann-Lévy).

Le Goncourt vient couronner l’œuvre littéraire de Jean-Baptiste Andrea, né en 1971, par ailleurs réalisateur et scénariste. Il est l’auteur, avant Veiller sur elle, de trois romans publiés à L’Iconoclaste, salués par de nombreux prix. Des épopées intimes, qui se singularisent par leur lyrisme rocambolesque et des héros en déshérence dont l’enfance brisée, narrée avec un réalisme à la Jules Vallès ou Jules Renard, se réinvente en errance, en création artistique ou en aventure extrême, seule véritable appartenance.

Ces orphelins – de parents, d’amour ou d’écoute – éprouvent le besoin de raconter leur vie par écrit pour tricoter, à partir des fugues, abandons et drames qui l’ont trouée, un tissu existentiel. Ils en font un habit dans lequel envelopper leur âme, vaste système d’échos qui fait de leur vie un roman, conte poétique à l’intérieur duquel les rencontres se nouent et se dénouent sur plusieurs décennies.

Dans Ma reine (2017), Shell fuyait pour vivre dans la montagne une vie buissonnière ; Cent millions d’années et un jour (2019) contait l’exploration, par Stan, du cœur d’un glacier, dans les Dolomites, à la recherche de son rêve d’enfant – un fossile de dragon, plus grand que tous les dinosaures connus ; dans Des diables et des saints (2021), un homme de 70 ans hantait les halls de gare, jouant du piano pour personne et tout le monde, se remémorant son enfance à l’orphelinat.

Un tour de prestidigitation

Dans Veiller sur elle, on retrouve ce vagabondage, qui est d’abord, ici, une alternance formelle : se déclinent la confession autobiographique du sculpteur (fictif) Mimo Vitaliani et un récit à la troisième personne sous forme de biographie inattendue. Non pas celle d’un être, mais celle d’une œuvre : une mystérieuse pietà, chef-d’œuvre de Vitaliani, dont sont sondés les pouvoirs hypnotiques… Situant son intrigue en Italie, pays dont sa famille est originaire, Jean-Baptiste Andrea accomplit un tour de prestidigitation : le roman, en ne parlant que de sculpture, évoque en même temps tout autre chose – ce qui fait le prix d’une vie, y compris ses ombres et ses coulisses.

Recueilli tout jeune chez son oncle dans la pierre rose de Pietra d’Alba, l’artiste en devenir se collette aux mille promesses qu’offre le marbre, une pierre qui est partout dans ce « pays d’altitude et de sources », mais aussi aux rêves étincelants de Viola, sa « jumelle cosmique », fille des marquis voisins. Auprès d’elle, il apprend à parler aux morts et construit des machines à voler. Tout au long du XXe siècle, ils se croiseront, se perdront et se retrouveront, Vitaliani partant pour Florence, puis Rome, mais revenant toujours à Pietra d’Alba, où tout a commencé.

Tels les sentiers de ce plateau du Piémont, « qui changent de place à mesure qu’on les foule », le centre de gravité du roman ne cesse de se déplacer : il commence par la fin – la pièta taillée par Vitaliani, nous annonce-t-on d’emblée, fait tomber en pâmoison ceux qui la regardent. Reléguée dans une abbaye, elle suscite des songes troublants chez les moines. Le Vatican la place donc à l’abri des regards…

Les pages décrivant les sculptures de jeunesse de Vitaliani, que ses spectateurs jurent « voir bouger », se lisent comme un roman policier ou une quête du graal : on scrute chaque geste, à la recherche d’un signe annonciateur. La grande beauté du roman se dessine, pour ainsi dire, en pochoir, dans le creux de ce qui n’a pas lieu, de ce qui n’est pas dit – c’est ce qui lui donne sa profondeur cristalline : pour Vitaliani, sculpter revient à « enlever des couches d’histoire », jusqu’à atteindre celle « qui nous concerne tous ».

Le geste irréductible de la création

L’art du sculpteur, ici, rejoint celui de l’écrivain. Sculpter un moineau, ce n’est pas le faire apparaître à partir de rien, mais délivrer l’oiseau qui s’y trouvait. Non pas créer de toutes pièces un être vivant, mais libérer de l’espace pour laisser la pierre se déployer. Les chercheurs et le Vatican auront beau écrire des centaines de pages pour décrypter l’énigme que constitue « l’étrange présence » de cette pièta, ils échoueront à enfermer dans une hypothèse le geste irréductible de la création : la mise en présence d’un être presque vivant qui n’était pas là, et qui soudain mystérieusement se suggère à nous – une visitation.

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Cette pièta affolante est, aussi, un symbole de résistance, Vitaliani l’ayant taillée dans le bloc de pierre prévu d’abord pour une œuvre commandée par le régime de Mussolini, avant que le sculpteur comprenne son erreur et rompe avec le fascisme. La tyrannie – politique, sociale, sexiste – est, aussi, au cœur du livre.

Comme le roman lui-même, l’œuvre de Mimo Vitaliani donne corps à l’espace et au temps, incarnant à la fois le mouvement et sa suspension, la beauté et la mort : la forme que prend la vie qui palpite quand on la saisit à vif. La récompenser par le prix Goncourt, n’est-ce pas la meilleure façon de veiller sur elle ?

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