“Pourquoi n’a-t-on jamais eu de Ségur de la médecine de ville ?”, s’interroge le Dr Jean-Marcel Mourgues, médecin généraliste dans le Lot-et-Garonne… et surtout vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Fait inédit à souligner, cette organisation, pourtant réputée pour sa neutralité, rejoint le mouvement des docteurs qui fermeront - encore - leurs cabinets et/ou cesseront d’assurer la permanence des soins ambulatoires pour battre le pavé, mardi 14 février.

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Médecins de ville, hospitaliers, internes issus de tous syndicats unissent leurs forces pour protester, d’abord, contre la proposition de loi de la députée Renaissance Stéphanie Rist “portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé”. Adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le texte doit être examiné dès ce mardi 14 février en séance publique par les sénateurs. Ses détracteurs redoutent une “médecine à deux vitesses” car il généralise l’accès direct à d’autres professionnels de santé que les médecins : les infirmiers en pratique avancée (IPA), les masseurs-kinésithérapeutes et les orthophonistes.

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Ils veulent garder la main sur le parcours de soin des patients

“Certains dénoncent un corporatisme médical, nous accusant de ne pas vouloir élargir les compétences des autres professionnels de santé. Mais ce n’est pas du tout le cas”, affirme le Dr Jean-Marcel Mourgues qui pointe “une duperie autour du mot ‘coordonné’”. Car la première mouture validée par les députés du Palais Bourbon autorise l’accès direct aux IPA, kinés et orthophonistes à condition qu’ils exercent dans une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), un centre de santé ou une équipe de soins primaires.

“Adhérer à une CPTS suffirait alors que ces structures regroupent des professionnels de santé qui ne se connaissent pas”, tonne le vice-président de l’Ordre des médecins. Ce dernier accuse la députée Stéphanie Rist, médecin rhumatologue de profession, d’avoir “dévoyé la définition du parcours de soins coordonné” établie par le Comité de liaison des institutions ordinales (Clio), qui réunit les sept ordres de santé (médecins, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes, infirmiers, chirurgiens-dentistes et pédicures-podologues).

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L’automne dernier, le Clio a en effet proposé, dans un communiqué, d’“améliorer l’accès au médecin traitant en développant le partage d’actes et d’activités entre médecins et autres professionnels de santé et accélérer la mise en œuvre des mesures existantes en faveur de l’élargissement des missions des professionnels de santé, des transferts d’activités et assurer la mise en cohérence de la réglementation”.

Mais les présidents des différents Ordres de santé n’ont, a priori, pas la même interprétation du parcours de soins coordonné. Contactée par Capital, la présidente de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, Pascale Mathieu, ne cache pas sa surprise d’apprendre que l’Ordre des médecins rejoint la manifestation des docteurs contre la loi Rist. “Je ne peux pas comprendre ce revirement de situation. D’autant plus que lors des réunions du Clio, l’accès direct était acté car c’est déjà inscrit dans la loi Touraine de 2016 qui prévoit qu’en cas d’urgence et en l’absence d’un médecin, le masseur-kinésithérapeute est habilité à prendre en charge les premiers actes de kinésithérapie.”

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Le Dr Mourgues n’est pas opposé à travailler avec des infirmiers en pratique avancée et des kinés avec des compétences élargies. “Mais dans un parcours de soin coordonné par le médecin traitant”, affirme-t-il. Or plus de 6 millions de patients - dont environ 600.000 souffrent d’une affection longue durée (ALD) - n’en ont pas d’après les chiffres de l’Assurance maladie. L’esprit de la proposition de loi de Stéphanie Rist est donc de combler les manques de médecins en transférant certaines compétences à d’autres soignants. Comme les infirmiers en pratique avancée qui suivent une formation complémentaire de deux ans, de niveau master, à la fac de médecine pour épauler les médecins.

Problème, la majorité des IPA diplômés depuis la première promotion sortie en 2019 travaillent à l’hôpital, car les conditions d’exercice en ville ne sont pas attractives. “Le chiffre d’affaires médian d’un IPA libéral, c’est 17.000 euros annuels, soit 700 euros par mois. Pourquoi ? Parce que des médecins plus ou moins scrupuleux limitent notre activité, refusant de nous adresser leurs patients”, s’agace Laurent Salsac, secrétaire adjoint de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa).

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Ils réclament des hausses substantielles des tarifs de consultation

Les médecins ne manifestent pas seulement contre la proposition de loi de Stéphanie Rist. Car l’examen de ce texte se déroule en même temps que des négociations très conflictuelles de la future convention des médecins libéraux avec l’Assurance maladie. Celle-ci doit, entre autres, fixer les tarifs des consultations qui seront appliqués pour les cinq prochaines années.

Mais les docteurs ont vécu comme “une provocation” la très légère hausse du tarif de la consultation de base, fixée à 1,50 euro par l'équipe de Thomas Fatôme, le directeur général de l’Assurance maladie. Soit 26,50 euros au lieu de 25 pour la consultation chez le généraliste. C’est très loin des 50 euros exigés par le collectif “Médecins pour demain” ou les syndicats de médecins ultra-libéraux tels que l’Union française pour une médecine libre (UFML) et la Fédération des médecins de France (FMF).

Et les propositions tarifaires de la Sécu ne satisfont pas non plus SOS Médecins, qui appelle ses quelque 1.300 membres à cesser leur activité mardi 14 février pour se joindre à la grève initiée par les médecins libéraux. L’association réclame une revalorisation du prix de la visite à domicile, craignant que ce service finisse par disparaître en France. “Nous avons des propositions pour couvrir de plus larges territoires ; maintenir à domicile par la visite les patients fragiles, nos seniors et tous ceux que la maladie empêche de se déplacer en leur offrant ainsi un réel accès aux soins, mais cela ne semble pas intéresser la Cnam (Caisse nationale de l’Assurance maladie, ndlr)”, déplore le Dr Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins, dans un communiqué diffusé le 8 février.

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Ils s’opposent à d’autres textes de loi modifiant l’organisation des soins

La manifestation, qui réunit de nombreux syndicats médicaux de tous bords, sera aussi l’occasion de clamer leur colère contre d’autres textes de loi qui seront bientôt examinés par les parlementaires dans les prochaines semaines. Comme une proposition de loi visant à réguler l’installation des médecins, imaginée par Thomas Mesnier, ex-député de la Charente, puis récupérée par le député Horizons et ex-président de la Fédération hospitalière de France (FHF) Frédéric Valletoux après la défaite de son collègue.

Mais face au tollé qu’elle a provoqué chez les libéraux, et après avoir auditionné plusieurs syndicats, Frédéric Valletoux a annoncé, ce lundi 13 février, dans le Quotidien du médecin, retirer “par sagesse” le texte qui devait être examiné par l’Assemblée nationale dès cette semaine. Mais une autre proposition de loi, cette fois portée par le député socialiste de la Mayenne Guillaume Garrot, et déposée à l’Assemblée nationale en janvier, vise à contraindre l’installation des médecins pour combler les trous dans les déserts médicaux. Comme une dizaine d’autres textes déposés au Parlement depuis l’été dernier.

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